Pour lancer un peu plus sa campagne, et présenter enfin son programme, le président Macron a décidé de convoquer une conférence de presse... aux Docks d'Aubervilliers situé dans le département populaire de Seine-Saint-Denis. Histoire de rappeler qu'en 2016 il avait annoncé sa candidature à Bobigny ? Une petite touche de « populaire » donc pour annoncer un programme à droite toute. Car sur le fond, en dehors de quelques gadgets comme des « voitures électriques en leasing » et des « amendes anti harcèlement » à l'encontre des femmes, le candidat Macron pour sa réélection tend l'élastique du « en même temps » au maximum au risque de casser définitivement son joujou préféré. Nouvelle réforme des retraites avec un passage « progressif » à un nouvel âge légal de 65 ans, RSA conditionné à une « activité » de 15h à 20h (un temps partiel payé en dessous du SMIC ?), de nouvelles baisses d'impôts... Décidément, Valérie Pécresse va avoir du mal à se différencier !
Le candidat Salto avant-Salto arrière
Ces mesures particulièrement néolibérales pour les citoyens français seront associées à un interventionnisme étatique dans certains domaines comme la mise sous tutelle par l'État d'EDF ou les fameux 30 milliards d'investissements dans les filières stratégiques. « J'assume d'avoir une volonté de planification », a affirmé Emmanuel Macron lors de la présentation de son « projet ». Un mot tabou remis au goût du jour il y a déjà cinq ans par un certain Jean-Luc Mélenchon, et aujourd'hui repris en boucle par le patron des patrons, Geoffroy Roux de Bézieux. On retrouve pourtant le « en même temps » sur le dossier de la Corse (voir chronique de la semaine dernière), où Emmanuel Macron se paye le luxe de rassembler autour de lui deux anciens ministres de Lionel Jospin historiquement opposés sur la question, l'ancien ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement et l'ancienne Garde des Sceaux Elisabeth Guigou. « Ce n'est pas le candidat Netflix, c'est le candidat Salto, Salto avant et arrière », persifle un ancien macroniste.
Ce programme « offensif » et pourtant si peu éclairant sur le projet d'ensemble d'un éventuel second mandat d'Emmanuel Macron, permettra-t-il pour autant que cette réélection, présentée comme inévitable, advienne ? Certains aimeraient ne pas croire les fameux sondages qui se succèdent. C'est le cas du député LR Julien Aubert, ancien camarade d'Emmanuel Macron à l'ENA, et aujourd'hui soutien de Valérie Pécresse. Dans un tweet, il rappelle ces derniers jours que les sondages il y a tout juste vingt ans (en mars 2002) donnaient Chirac à 24 % et Jospin à 22 %... et Jean Marie Le Pen à 8%.
Le message est clair : rien n'est joué dans cette élection, les commentateurs politiques qui disent pourtant le contraire sont priés de mettre la sourdine. « Pour Emmanuel Macron, le vent politique est en train de tourner », m'assure ainsi un opposant des origines qui fait dans la méthode Coué. Mais le même me rappelle certaines évidences qui commencent à s'accumuler : « Le prix de l'essence commence à provoquer un mécontentement, et touche énormément les jeunes. Cela risque d'exploser ». Autre exemple : alors qu'un taux d'inflation à près de 5% est désormais annoncé, le livret A plafonne à 1 %.
Le vent tourne selon Lucy
Ce vent qui tourne, l'outil de sondage Lucy, proposé par l'agence Majorelle, co-fondée par les communicants Anne Hommel (ancienne conseillère de DSK) et Sacha Mandel (ancien du cabinet de Le Drian), commence à le mesurer dans ses rapports hebdomadaires. Dans celui daté du 15 mars, on apprend ainsi qu'« une guerre en chasse une autre et promet de perturber les dynamiques de campagne. La guerre des stations service chasse progressivement la crise ukrainienne et s'impose comme le premier fait divers de cette présidentielle ».
En effet, la crise ukrainienne intéresse de moins en moins : un Français sur quatre cette semaine selon ce sondage, contre un sur deux la semaine dernière. Car un nouveau « front » s'ouvre : celui des prix des carburants vient nourrir les préoccupations des Français pour leur pouvoir d'achat, l'inflation, les pénuries, à seulement trois semaines du premier tour : « Ces conversations ont été multipliées par 2,5 depuis la rentrée de septembre », assure le dernier rapport Lucy qui ambitionne de mesurer les sujets échangés hebdomadairement par les Français entre eux. Cette évolution de l'opinion profite principalement à Marine Le Pen et à Jean-Luc Mélenchon.
Conséquence, comme le constate Lucy, le candidat de « l'Union populaire » « progresse et sécurise 13 % des futurs suffrages ». Mélenchon devient « hégémonique à gauche », recueillant 52 % d'audience positive auprès des Français de gauche. Par ailleurs, autre caractéristique de cette dynamique Mélenchon : le candidat de gauche mobilise bien mieux ses partisans que les autres candidats (contrairement à Marine Le Pen qui pourrait davantage souffrir de l'abstention), et étend son influence auprès des publics contestataires, recueillant le soutien de 45 % des Gilets jaunes, 40 % des « sceptiques » de la crise ukrainienne, et 35 % auprès des anti Macron.
Avec la montée des mécontentements sur le front des prix et des matières premières, assisterait-on à une cristallisation des votes contestataires contre l'actuel président ? Une chose est sûre : la candidate de la droite officielle, Valérie Pecresse, s'effondre pour le moment dans les intentions de vote, comme Éric Zemmour qui doit désormais composer entre Marion Maréchal et Sarah Knafo. Face à Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon espère récolter les suffrages des quartiers populaires.
De son côté, Emmanuel Macron semble pourtant se désintéresser de cet électorat, pariant sur le soutien de sa base électorale, le « bloc bourgeois » des métropoles et du grand Ouest. En optant pour un programme à droite toute, son objectif est surtout d'empêcher son nouveau rival Édouard Philippe de gagner des députés en nombre aux prochaines législatives. Objectif du président qui vise sa réélection : capter totalement la droite pour éviter que son ancien collaborateur ne le fasse et l'empêche d'obtenir une majorité absolue... Une stratégie audacieuse, comme si la présidentielle était déjà gagnée...
« Comme à son habitude, Emmanuel Macron tente d'enjamber l'élection présente et cela pourrait lui jouer des tours », commente mi blasé, mi irrité, Jacques Sisteron, notre « gorge profonde » qui a connu la macronie de l'intérieur depuis 2017. Là aussi, le rapport Lucy est riche d'enseignement : « Alors que les Français associent positivement la crise du Covid et celle de l'Ukraine au président Emmanuel Macron, la baisse d'intérêt très significative pour ces deux sujets peut menacer le candidat Emmanuel Macron qui ne compense pas ce reflux avec les préoccupations quotidiennes des Français ». Gare aux effets d'optique donc, qui seraient notamment produits par une trop grande accoutumance des plateaux des chaînes « d'info » !
Cette bulle médiatique autour de « l'effet drapeau » risque-t-elle d'éclater au premier tour ? « Tout n'est pas joué ». Ces mots sont ceux d'Emmanuel Macron auprès de son entourage. Mais l'ambigu président montre pourtant dans son action récente qu'il croit exactement le contraire. Cette assurance l'amènerait-il à faire l'erreur de trop ?