Logement : la continuité pour Emmanuel Macron, l'ambiguïté pour Marine Le Pen

Les problématiques liées au logement sont telles qu'elles devraient faire consensus chez les deux finalistes, mais ce n'est pas le cas. Le président-candidat souhaite par exemple un acte fort de décentralisation tandis que la celle du Rassemblement national fait campagne sur la démétropolisation et "la France des propriétaires". Si Emmanuel Macron et Marine Le Pen se retrouvent sur l'idée de parcours résidentiels adaptés en fonction des réalités de chacun et des territoires, et notamment pour les jeunes adultes, ils divergent radicalement de méthode sur la rénovation thermique ou l'attribution de logement social.
César Armand
(Crédits : DR)

C'est une anecdote qui révèle le serpent de mer auquel doivent faire face les candidats Emmanuel Macron et Marine Le Pen à l'élection présidentielle. En 1995, déjà, l'avocat Philippe Pelletier interroge le candidat Edouard Balladur sur son programme présidentiel en matière de logement. Réponse de celui qui arrivera en troisième place de l'élection de l'époque : "Mais comment voulez-vous qu'un politique généraliste s'empare d'un sujet aussi technique ?" Réplique du juriste : "Mais monsieur le Premier ministre, je vous ai entendu parler de la PAC (politique agricole commune, Ndlr) ou des retraites qui sont des sujets techniques." Vingt-sept ans se sont écoulés depuis cette citation, et l'avocat, présent à la Villette, le QG de campagne d'Emmanuel Macron, le soir du 10 avril, a conservé sa vision et sa capacité d'alerte.

"Le logement est un sujet sur lequel nous n'avons pas vraiment de prise. Nous avons un ministère du Logement qui n'a pas le pouvoir de loger, car ce pouvoir est écartelé entre des départements qui distribuent des aides, des élus locaux qui décident de l'installation ou non de populations, des agences qui financent la rénovation et un Etat qui feint de gouverner tout cela. C'est pour cela que c'est un sujet aride et difficile. Le moment est venu de décentraliser profondément ce sujet", déclare Philippe Pelletier à La Tribune.

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Macron souhaite un acte fort de décentralisation

C'est précisément ce que propose le président-candidat. Emmanuel Macron souhaite en effet un acte fort de décentralisation de la compétence logement aux intercommunalités et aux communes en donnant les compétences et les moyens qui vont avec.

"L'idée consiste à donner les moyens financiers en délocalisant les aides et subventions au niveau de l'intercommunalité. Son dimensionnement fait qu'elle est plus à même que la commune de gérer les problèmes de plan local d'urbanisme, de mobilité, de localisation des logements, des infrastructures, des bureaux et des commerces", explique, à La Tribune, Xavier Lépine, référent "logement" d'En Marche.

Aujourd'hui, le maire détient encore le pouvoir de délivrer, ou non, un permis de construire, de même qu'il définit et applique un plan local d'urbanisme (PLU), tout comme l'intercommunalité élabore et vote un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi). En revanche, ni l'un ni l'autre ne possèdent les aides à la pierre, à la rénovation, à l'hébergement ou le droit au logement opposable (DALO).

En cas de réélection du finaliste, l'histoire ne dit pas si le maire décidera encore de l'octroi du permis de construire (PC), ou si la décision se prendra au niveau de l'intercommunalité. Dans ce domaine, seul Bruno Deletré, l'ancien directeur général du Crédit Foncier de France et auteur d'une note intitulée "Logement : rebâtir nos ambitions" pour l'Institut Montaigne, estime que le PC est accordé par "une autorité trop proche du terrain" et que "l'intercommunalité est le bon niveau de proximité pour se dégager de la pression électorale trop forte sur les maires".

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Le Pen fait campagne sur la démétropolisation et "la France des propriétaires"

Parallèlement, l'actuel chef de l'Etat refuse d'opposer des choix de vie par rapport à d'autres. "Il n'y a pas une France des propriétaires contre une France des locataires, une France des grandes métropoles contre une France des petites villes", a-t-il pris l'habitude de répéterEn cela, il cherche à se démarquer de la candidate du Rassemblement national qui fait campagne sur les thèmes de la démétropolisation et de "La France des propriétaires".

Auditionnée par la Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM) en décembre 2021, Marine Le Pen s'est ainsi érigé en avocate des petites villes et des centres-bourgs, appelant à repeupler ces territoires de néoruraux, à rouvrir des écoles, à remettre des services publics, à installer la fibre optique et à mettre fin aux déserts médicaux, via des contrats "gagnant-gagnant" entre les collectivités, l'Etat et les nouveaux venus.

"Il faut rendre possible le rêve des Français de devenir propriétaires d'une maison, avec son jardin, son garage et, pour ceux qui le peuvent, sa piscine", déclarait, à l'époque, Marine Le Pen.

Le président-candidat promet, lui, d'enclencher un "grand programme de revitalisation et de rénovation des zones périurbaines et des entrées de ville" en y ramenant des commerces et des activités de proximité, en les reliant aux transports en commun et en les rénovant et en les rendant attractifs. Et ce dans la continuité des programmes de revitalisation "Action Cœur de ville" - 5 milliards d'euros pour les villes moyennes - et "Petites villes de demain" - 3 milliards sur la table.

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Des parcours résidentiels en fonction des réalités de chacun et des territoires

En réalité, de la même façon qu'il défend la différenciation dans la conduite de l'action publique, Emmanuel Macron entend permettre des parcours résidentiels en fonction des réalités de chacun et en fonction des territoires. "Le vrai sujet, c'est la production de logements et l'adéquation avec son mode de financement", décrypte le marcheur Xavier Lépine.

"Depuis cinquante ans, nous avons vécu une révolution démographique et sociologique sans précédent et notre modèle de production comme de financement n'a pas suffisamment évolué créant une pénurie de logements dans les zones tendues et une cherté du logement du fait de sa rareté", enchaîne le relais du président-candidat.

Il ne croit pas si bien dire. Du fait de l'allongement de la durée de la vie, les Français n'héritent plus à l'âge de 35-40 ans, mais vers 50 ans au moment où le besoin de logement est moins prégnant.

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Les jeunes adultes, cibles des deux finalistes

Pour toucher ces jeunes adultes, c'est-à-dire âgés de moins de 30 ans, chacun des deux finalistes a sa méthode. Marine Le Pen veut déployer des offres de prêt touchant les jeunes actifs en mettant en place des prêts "portables" du vendeur à l'acheteur. Ou encore permettre aux parents et aux grands-parents de donner, à leurs enfants et petits-enfants, sans impôts 100.000 euros tous les dix ans pour "mettre le pied à l'étrier aux futurs propriétaires". Dans ce même esprit familial, la candidate du Rassemblement national supprimerait les droits de succession à partir de 300.000 euros sur le patrimoine immobilier pour favoriser la conservation des biens.

A la différence de la candidate du RN, Emmanuel Macron espère accélérer la transformation de bureaux vacants en logements pour étudiants et jeunes actifs et créer une plateforme pour identifier l'ensemble des logements disponibles sur le modèle "1 jeune 1 solution".

Dans les zones les plus tendues, c'est-à-dire où la demande est supérieure à l'offre, cela pourra notamment passer par des lois d'exception, comme celle sur les Jeux de Paris 2024 qui assure la réversibilité des immeubles. La philosophie ne changerait pas :  accélérer et simplifier afin de lancer les projets.

Par ailleurs, ni le président-candidat ni sa rivale n'avancent de chiffres sur la production neuve. Entre la réglementation environnementale des bâtiments neufs dite "RE2020"la non-artificialisation nette des sols (ZAN) et la guerre en Ukraine qui perturbe les approvisionnements en matériaux, le secteur de la construction se trouve dans une période difficile. Aussi misent-ils sur la rénovation thermique des logements existants pour la rebooster.

Deux approches (très) différentes sur la rénovation thermique...

Dans la lignée du dispositif Ma Prime Rénov' doté de 4 milliards d'euros - 2 milliards de France Relance et 2 milliards dans le budget 2022 -, l'actuel chef de l'Etat se fixe l'objectif de 700.000 logements rénovés par an, contre 650.000 en 2021. D'autant que le temps presse : aux horizons 2025, 2028 et 2034, les habitats classés G, F et E seront considérés comme des passoires thermiques et donc interdits à la location.

Un angle d'attaque pour la candidate du RN qui qualifie cette politique "d'écologie punitive" et de "contre-sens" visant à "exclure jusqu'à 2,5 millions de logements d'ici à 2028". Marine Le Pen préconise, a contrario, de baisser la TVA sur l'énergie de 20 à 5,5% - quitte à faire des promesses en trompe-l'œil - et d'arrêter de subventionner les éoliennes en mer au profit des pompes à chaleur électrique.

Marine Le Pen milite enfin pour un produit d'épargne "Logement vert" pour financer la rénovation au moment de la mutation. Un dispositif qui existe déjà. La Banque postale commercialise déjà le "prêt avance rénovation", une avance remboursable soit au moment de la cession du bien soit de la succession. Une idée émise dès mars 2021 par le directeur général de la Banque des territoires (groupe Caisse des Dépôts) dans un rapport remis aux ministres de l'Economie, de la Transition écologique et du Logement.

... et sur l'attribution de logement social

En matière d'habitat social, ce n'est guère mieux. En France, 10 millions de personnes vivent dans près de 4,7 millions de logements sociaux et au moins un Français sur deux réside ou a résidé en HLM au cours de sa vie. Le quinquennat qui s'achève aura été marqué, pêle-mêle, par la baisse de 5 euros des aides personnalisées au logement (APL), le regroupement des offices HLM et la réduction de leur loyer de solidarité.

Lors d'un débat enregistré et filmé avec Christophe Robert, le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, Emmanuel Macron - pas encore déclaré candidat - a d'ailleurs concédé ne pas être "allé suffisamment loin"  dans la production de logements sociaux.

Malgré le volontarisme de sa ministre du Logement Emmanuelle Wargon, qui voulait construire 250.000 logements d'ici à fin 2022, seules 104.800 autorisations à construire au lieu de 120.000 ont été délivrées en 2021 auprès des bailleurs sociaux. Ces derniers estiment même qu'il en faudrait 150.000 par an pour répondre aux 2,2 millions de demandes de logements sociaux.

Marine Le Pen reprend, elle, la "préférence nationale" défendue déjà par son père. Au chapitre "préserver le peuple français de la submersion migratoire" de son programme comme dans son livret "famille", la candidate de l'ex-FN écrit que "la mise en place de la priorité nationale pour les foyers dont au moins l'un des parents est Français permettra de remettre rapidement sur le marché les 620.000 logements sociaux occupés par des étrangers selon des chiffres de l'Insee pour 2017".

C'est doublement faux, souligne Frédérique Lahaye responsable "Logement" chez Terra Nova dans une note intitulée "Marine Le Pen et le logement : la cruelle réalité de la priorité nationale". D'une part "puisqu'il faut à la fois des papiers et des ressources pour accéder à un logement social". D'autre part, parce que "les documents de l'Insee de cette année-là indiquent simplement que 31% des ménages dont la personne de référence est née à l'étranger, qu'elle soit de nationalité française ou étrangère, occupent un logement social". Est-ce à dire enfin que ces familles seront expulsées de chez elles ?

La situation devient explosive

Invitée de l'émission « Ma France » sur France Bleu le 18 avril, la candidate du RN, citée par Le Monde, a confirmé vouloir "mettre en place la "priorité nationale" dans les logements sociaux", mais a, en même temps, affirmé que ce ne serait pas "rétroactif".  "Ca veut dire que, lorsqu'un logement social se libérera, eh bien oui, il sera prioritairement accordé aux Français par rapport aux étrangers", a-t-elle embrayé, revenant sur sa position de départ.

Toujours est-il que la situation devient explosive. Quel que soit le type d'habitat, le logement demeure le premier poste de dépenses contraintes des Français. Selon la Fondation Abbé Pierre, il reste en outre 12 millions de résidents en situation de précarité énergétique, 4 millions de mal-logés - en cohabitation forcée, en suroccupation... - et  près de 300.000 sans domicile fixe (SDF). Sans compter les demandeurs de logement social.

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César Armand
Commentaires 3
à écrit le 22/04/2022 à 10:24
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La continuité pour Macron : aucun doute sur l'évolution de la crise du logement. Avec Macron, rien ne va changer. C'est rassurant. Merci La Tribune de cette analyse synthétique.

à écrit le 22/04/2022 à 4:55
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ça va on a compris, vous pouvez nous lâcher maintenant ?

le 22/04/2022 à 10:14
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Visiblement non, ils veulent nous faire voter le Pen, cela reste étrange quand même leur attitude...

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