
Publié il y a moins d'une semaine, le troisième et dernier volet du sixième rapport du Groupe d'expert intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a rappelé l'urgence de la transition écologique, et exhorté le monde à une action immédiate et drastique, sous peine de retombées catastrophiques. Et pourtant, dans une France en pleine campagne électorale, force est de constater que le climat reste largement négligé dans les débats de la Présidentielle, avec moins de 5% du temps médiatique consacré à ce sujet lors des dernières semaines, selon le baromètre de l'institut Onclusive (ex-Kantar), publié à la demande des quatre ONG de l'Affaire du Siècle.
Mais l'environnement n'est en fait pas absent de la plupart des programmes. Car la majorité des candidats formulent, sur le papier, de nombreuses propositions en la matière, parmi lesquelles certaines dépeignent même un budget « cohérent et chiffré ». C'est l'une des principales conclusions des experts de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE), qui a étudié les dépenses que comptent allouer les prétendants à l'Elysée pour assurer la transition écologique du pays, à partir de leurs programmes et d'un questionnaire (que n'ont cependant pas complété Marine le Pen et Eric Zemmour). L'association a ainsi testé la cohérence de la stratégie des sept candidats en tête des sondages début janvier, à travers leur réponse, ou non, à seize défis budgétaires, de l'agriculture à l'énergie, en passant par les transports ou la fiscalité.
« Ce n'est pas un éclairage sur la faisabilité des mesures, mais sur le niveau de préparation des candidats. Autrement dit, il s'agit de comprendre comment ils programment les dépenses que l'Etat va devoir supporter pendant le quinquennat en faveur du climat, et comment ils les incluent dans la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques », précise Benoît Léguet, directeur général d'I4CE.
Et globalement, ces niveaux de préparation sont « très hétérogènes ». Ainsi, alors que les projets de Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot « relèvent la quasi-totalité des défis budgétaires, et que l'impact financier de la quasi-totalité des propositions a été chiffré », Marine Le Pen et Eric Zemmour ne répondent à aucune de ces deux exigences. Anne Hidalgo et Emmanuel Macron chiffrent quant à eux une partie des impacts de leurs mesures, tandis que Valérie Pécresse n'affiche toujours pas de budget complet pour le climat.
Un État plus ou moins interventionniste
Tout d'abord, ce sont les moyens et « philosophies » budgétaires qui varient, avec plusieurs niveaux d'intervention de l'Etat. Valérie Pécresse, par exemple, ne compte pas augmenter significativement les investissements et les subventions publiques pour l'environnement, avec une enveloppe d'1,7 milliard d'euros seulement allouée à cette thématique. Et compte plutôt sur un « choc de compétitivité et de pouvoir d'achat », ainsi que sur « les allocations du budget européen vers des projets nationaux bas carbone » qui sont appelées à jouer « un rôle clef ». La candidate LR privilégie donc « clairement » l'investissement privé plutôt qu'un renforcement de la fiscalité, étant farouchement opposée à l' « écologie punitive ». En témoigne sa mesure phare : faciliter l'accès à l'emprunt privé, et mobiliser l'épargne via un « Livret Vert ».
Emmanuel Macron ne propose pas non plus de renforcer le cadre réglementaire et fiscal, mais, contrairement à Valérie Pécresse, il mise d'abord sur des investissements et subventions publiques. Il propose ainsi une enveloppe de 10 milliards d'euros par an pour la transition écologique, même si « l'additionnalité par rapport aux financements publics déjà prévus ou par rapport au Plan de relance et France 2030 reste à préciser », note I4CE. Mais l'actuel chef de l'Etat entend surtout recourir largement à des mécanismes financiers innovants ou extrabudgétaires, qui visent à maximiser l' « effet levier » de ces financements publics, et à mobiliser des financements privés. Il propose notamment de créer un système de leasing, afin d'aider les ménages à accéder à un véhicule électrique. Mais aussi de faire préfinancer par des « opérateurs de la rénovation » le coût des rénovations des bâtiments, en plus des Certificats d'économie d'énergie déjà mis en place.
Sans surprise, cette vision s'oppose à celle défendue par Jean-Luc Mélenchon, qui assume une forte intervention de l'Etat. Le député LFI entend renforcer la fiscalité et la réglementation, avec une augmentation de plus de 45 milliards d'euros par an des subventions publiques en faveur de la « bifurcation écologique ». Un budget financé notamment par une révision de la fiscalité sur les plus riches, la lutter contre la fraude et l'évasion fiscale, mais aussi par une hausse espérée de l'activité économique, et une réforme pour que l'Etat s'endette plus facilement « en cas de crise ou en anticipation de la montée en puissance des recettes consécutives aux investissements ».
Dans une moindre mesure, Yannick Jadot et Anne Hidalgo assument eux aussi un interventionnisme marqué, avec respectivement 25 et 14 milliards d'euros annuels injectés. Cependant, contrairement au candidat de La France Insoumise, ils ne veulent pas cesser d'appliquer les règles budgétaires européennes actuelles, mais plutôt les réformer pour favoriser l'investissement, note I4CE.
« Dans une logique de tiers-financement, ils comptent par ailleurs sur des opérateurs publics ou privés pour avancer les frais de rénovation des logements voire d'acquisition d'un véhicule électrique, ces opérateurs se remboursant ensuite sur la baisse des factures énergétiques ou lors de la revente du logement dans le cas de la rénovation », ajoute l'institut.
Enfin, ni Marine Le Pen et ni Eric Zemmour ne précisent ou ne chiffrent la part des pouvoirs publics dans la transition écologique - sujet « très peu évoqué » dans leur projet. Et ne formulent aucune proposition réglementaires ou fiscales pour inciter les ménages et les entreprises à réaliser ces investissements. La candidate du RN a bien présenté un chiffrage de son programme - et notamment des baisses de la fiscalité pour limiter la hausse des prix de l'énergie - « mais elle n'a pas mentionné de dépenses pour le climat », souligne l'étude.
« Eric Zemmour et Marine Le Pen ont identifié quelques défis, mais aucune de leurs propositions n'est assez précise. Ils parlent de la rénovation, mais n'évoquent pas de mécanismes de financement ou d'évolution d'enveloppe des aides, ni de niveau de performance visée », explique-t-on à I4CE.
Les défis budgétaires restent nombreux
Surtout, plusieurs zones d'ombre restent à clarifier par les candidats, en dehors des programmes de Marine Le Pen et d'Eric Zemmour. Et notamment sur les mécanismes mis en avant par Valérie Pécresse.
« Dans son projet, il n'y a presque pas d'argent public sur la table, c'est le privé qui doit tout financer. Forcément, ça nous fait lever un sourcil, on se demande comment ça va se passer », s'interroge Benoît Léguet.
De manière générale, les propositions de l'ancienne ministre du Budget de François Fillon sont « trop peu précises et pas chiffrées », note I4CE. Sur la recharge des voitures électriques, par exemple, Valérie Pécresse propose un grand plan de déploiement de bornes, « mais ne dit rien sur la répartition des efforts entre l'Etat et les autres acteurs publics ou privés ». Idem sur l'agriculture, puisque la candidate LR « n'explique pas l'accompagnement des éleveurs dans la transition ». Et pour ce qui est de la rénovation énergétique des logements, l'accès à l'emprunt privé risque de ne pas suffire, alerte l'institut.
« Les ménages modestes sont incapables de s'endetter plus, et les autres ont aussi besoin de bénéficier d'incitations plus fortes, d'un accompagnement technique, mais aussi d'avoir confiance dans la qualité des travaux », fait-on valoir à I4CE.
Par ailleurs, pour Emmanuel Macron, la question principale de son budget pour le climat réside dans l'efficacité du fameux « effet levier » sur lequel mise l'actuel chef de l'Etat. « Ce n'est pas parce qu'on met X millions d'euros d'argent public, que X millions d'euros d'argent privé vont forcément arriver, et rapidement. Il faut regarder concrètement comment ça se passe, secteur par secteur », commente Benoît Léguet, qui considère que la stratégie du Marcheur relève du « pari ».
Enfin, si elles sont plus détaillées, les stratégies d'Anne Hidalgo, de Yannick Jadot et de Jean-Luc Mélenchon posent quant à elles de fortes questions d' « acceptabilité ». A la fois sur le consentement à l'impôt des Français, sur le calibrage de l'accompagnement financier des acteurs privés, mais aussi sur l'aval ou non de Bruxelles et des autres pays européens pour mener à bien une réforme des règles budgétaires, qui permettrait de creuser un peu plus la dette.
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