"Make the planet great again", déclare Emmanuel Macron le 2 juin 2017. La veille, Donald Trump, alors président des Etats-Unis, avait annoncé sa volonté de sortir de l'Accord de Paris pour le climat. Repris sur Twitter, le slogan devient très vite viral et propulse le nouveau chef de l'Etat français en leader international sur la question environnementale.
Dans son programme de campagne, déjà, Emmanuel Macron affirmait vouloir faire de la transition énergétique et écologique un pilier de sa politique. "Nous ferons de la réduction des émissions de gaz à effet de serre la priorité de la politique énergétique", promet-il avant son élection.
Pourtant, en novembre dernier, l'Etat est condamné pour son inaction climatique.
Alors, que s'est-il passé sur le terrain entre temps ? Sortie des énergies fossiles, déploiement à vitesse grand V des énergies renouvelables, fermeture des dernières centrales à charbon, hausse de la taxe carbone, rénovation énergétique... La Tribune examine, point par point, les promesses "énergétiques" du président, et dresse le bilan.
Énergies renouvelables, la France en retard
Les promesses : En 2017, Emmanuel Macron affirme vouloir booster le développement des énergies renouvelables (ENR) avec notamment pour objectif de doubler la capacité des éoliennes et du solaire photovoltaïque. Le candidat En Marche explique aussi vouloir atteindre, à l'horizon 2030, 32% d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie.
La réalité : Ces deux grands objectifs n'ont pas été atteints ou ne sont pas sur la bonne trajectoire. Fin 2017, la capacité respective du parc solaire et du parc éolien est de 8.136 MW et de 13.688 MW. Doubler cette capacité signifie atteindre respectivement 16.272 MW et 27.376 MW à la fin 2022. Or, selon les derniers chiffres de l'Observatoire des énergies renouvelables électriques, à la fin 2021, les capacités installées étaient de 13.231 MW dans le solaire et de 18.544 MW pour l'éolien terrestre. Pour tenir les engagements faits en 2017, il faudrait donc ajouter 3.000 MW supplémentaires en un an dans le solaire et plus de 8.800 MW dans l'éolien terrestre. Un rythme jamais observé par le passé.
"Les trajectoires de développement ne sont pas au rendez-vous", constate Alexandre Roesch, directeur général du Syndicat des énergies renouvelables (SER). "La France est également le seul pays de l'Union européenne à ne pas avoir tenu son engagement sur la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale", souligne le professionnel.
Dans le cadre du paquet énergie-climat adopté en 2009 par l'Union européenne, les pays membres devaient atteindre 20% d'énergies renouvelables dans leur consommation d'énergie finale en 2020. Il s'agit d'un chiffre moyen différencié suivant les capacités et les situations de départ des différents pays membres. En France, l'objectif est fixé à 23%. Elle est le seul pays sur les 27 à ne pas avoir tenu cette obligation légale puisque, selon les chiffres d'Eurostat, les ENR ne représentaient que 19% de la consommation d'énergie finale en 2020.
Selon le directeur général du SER, cet objectif a été manqué en raison de notre retard en matière de chaleur renouvelable. La chaleur (résidentielle et industrielle) représente, en effet, 45% de notre consommation d'énergie et sa production reste encore très carbonée, puisque 70% est produite à partir d'énergies fossiles.
"Ce qu'il a manqué pendant ce quinquennat, c'est de mettre les moyens humains dans les services de l'Etat et ses services déconcentrés pour accélérer le temps d'instruction des projets des énergies renouvelables", estime le directeur général du SER.
Il faut "avoir l'honnêteté de reconnaître que nous avons pris du retard", a lui-même reconnu le chef de l'Etat lors de son déplacement à Belfort en février dernier.
"Des signaux très ambigus n'ont pas, non plus, facilité le développement de la filière des éoliennes terrestres", ajoute Alexandre Roesch.
En effet, après avoir vivement encouragé le développement des infrastructures des énergies renouvelables au début de son mandat, Emmanuel Macron change de ton. Début 2020, il critique le développement erratique des éoliennes terrestres. À Pau, le chef de l'Etat déclare :"Soyons lucides : la capacité à développer massivement l'éolien terrestre est réduite. (...) Le consensus sur l'éolien est en train de nettement s'affaiblir dans notre pays". Le 27 juillet suivant, il enfonce le clou lors d'un déplacement en Polynésie durant lequel il recommande d'adapter, voire de renoncer, aux parcs éoliens "là où ils dénaturent, défigurent le paysage, parce que parfois ça arrive".
Si, au fil de son mandat Emmanuel Macron s'est montré de plus en plus réticent au développement des éoliennes sur terre, il s'est affiché beaucoup plus enthousiaste à l'égard de l'éolien en mer. "En 2017, il indiquait au WWF qu'il lancerait des appels d'offres à hauteur de 25 GW, et nous sommes à peu près dans ces volumes-là. L'éolien en mer, c'est là où le président-candidat a le plus de crédit", affirme Alexandre Roesch. Le chef de l'Etat vise d'ailleurs "de l'ordre de 40 gigawatts en service en 2050, soit pas moins d'une cinquantaine de parcs en mer" en 2050.
Mais, pour l'heure, au large des côtes françaises, aucun parc n'est encore entré en service.
Sortie du charbon : deux centrales font de la résistance
La promesse : "Nous fermerons les centrales à charbon restantes en cinq ans", affirme Emmanuel Macron en 2017. L'Hexagone compte alors encore quatre centrales en activité.
La réalité : Les centrales du Havre et de Gardanne ont bien été fermées. La première a définitivement arrêté sa production le 1er avril 2021, il y a tout juste un an. La seconde, celle de Gardanne dans les Bouches-du-Rhône, a été remplacée par une unité de biomasse. Elle n'a fonctionné que trois semaines depuis 2019 en raison d'un conflit social.
En revanche, la centrale de Cordemais, en Loire Atlantique, qui devait fermer en 2022 poursuivra elle son activité jusqu'en 2024, voire en 2026. Un projet de reconversion a été abandonné par EDF, tandis que RTE, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité, estime que le soutien de la centrale au réseau est nécessaire alors que la région pâtit des onze années de retard cumulées sur le chantier de l'EPR de Flamanville.
Enfin, la centrale de Saint-Avold, en Moselle, vient tout juste de fermer ses portes. Toutefois, cette dernière pourrait de nouveau fonctionner ponctuellement l'hiver prochain pour assurer la sécurité du système électrique alors que l'Hexagone veut mettre fin à sa dépendance au gaz russe. C'est une option actuellement étudiée par le gouvernement. Une piste d'autant plus sérieuse que le parc nucléaire tricolore est énormément affaibli. Fin mars, seuls 30 réacteurs étaient actifs tandis que 26 étaient à l'arrêt.
Fin de l'exploration des hydrocarbures : une loi trop souple
La promesse : "Nous ne délivrerons aucun nouveau permis d'exploration d'hydrocarbures", promet Emmanuel Macron dans son programme de campagne en 2017.
La réalité : La loi Hulot est publiée dans ce sens fin 2017. La portée de ce texte est avant tout symbolique car, en 2016, la production nationale de pétrole s'élevait à un peu plus de 800.000 tonnes et celle de gaz à 380 millions de mètres cubes. Ce qui ne représentait que 1% de la consommation annuelle française. Mais la loi est très rapidement critiquée par les ONG environnementales car le texte autorise le renouvellement des concessions en cours, sous réserve que leur échéance n'excède pas 2040. Plusieurs d'entre elles ont été discrètement renouvelées selon les informations du Monde.
Hausse de la taxe carbone : un projet abandonné
La promesse : "Nous ferons évoluer les comportements en augmentant le prix du carbone", affirme Emmanuel Macron en 2017.
La réalité : Macron souhaitait augmenter la taxe carbone. Mais, face à l'ampleur du mouvement social des gilets jaunes, le projet a été abandonné. En juillet 2020, dans un entretien accordé à Ouest France, le chef de l'Etat reconnaît que cette hausse ne pourra pas voir le jour d'ici la fin de son quinquennat. "Cela doit être un débat de la prochaine élection présidentielle. Si une taxe carbone qui est pertinente d'un point de vue économique peut exister, elle doit exister d'abord au niveau européen. (...) Ensuite, elle ne peut exister en France que dans le cadre d'une réforme fiscale en profondeur qui soit environnementale et juste. Donc elle passe par la réforme d'autres impôts mais ce n'est pas la priorité du moment", détaille-t-il alors.
Baisse du nucléaire : un revirement majeur
La promesse : En 2017, Macron s'engage à poursuivre la politique de François Hollande, avec la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, et la réduction de l'atome dans le mix électrique de 75% à 50% d'ici à 2025, soit l'arrêt d'une vingtaine de réacteurs.
La réalité : Le chef de l'Etat a bien entériné dès 2018 sa décision de fermer les deux réacteurs de Fessenheim, pourtant encore opérationnels, qui ont fini par être déconnectés du réseau en juin 2020. Il a également choisi de repousser, dans un premier temps, la décision de construire ou non de nouveaux EPR (des réacteurs de troisième génération) à la mise en service de celui de Flamanville, soit au quinquennat suivant.
Il n'empêche qu'« en même temps », Emmanuel Macron a revu dès 2017 son engagement de campagne de limiter à 50% la part du nucléaire dans le mix électrique - condition qui avait d'ailleurs été imposée par Nicolas Hulot, un temps ministre de la Transition écologique, pour rejoindre le gouvernement -, et repoussé l'échéance à 2035 au lieu de 2025 dans la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Puis déclaré fin 2020, lors d'une visite chez Framatome, au Creusot, que « notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire » aussi bien que « notre avenir industriel et stratégique ».
Mais ce n'est qu'au second semestre 2021 qu'un véritable virage s'est opéré, et que le chef de l'Etat a renoncé à ses promesses de candidat. Car alors que la crise du coronavirus a remis au premier plan l'enjeu de la souveraineté, Emmanuel Macron s'est tourné plus clairement vers l'atome. D'abord, en allouant une enveloppe de 1 milliard d'euros aux petits réacteurs modulaires (SMR), annoncée en grande pompe début octobre. Surtout, à la fin de ce même mois, le président de la République n'a pas manqué de s'appuyer sur les scénarios « Futurs Energétiques 2050 » publiés par le gestionnaire de réseau RTE, qui conclut que la trajectoire vers la neutralité carbone la moins coûteuse et la moins risquée serait celle d'une construction de nouvelles installations nucléaires, aux côtés des énergies renouvelables. Quelques jours plus tard, lors d'une allocution télévisée aux airs de campagne électorale et en pleine COP26, Emmanuel Macron a donc acté son choix en faveur de l'atome, affirmant vouloir « relancer la construction de réacteurs dans [le] pays ».
Dernier chapitre en date : son annonce du rachat de la partie nucléaire de l'américain GE par EDF, dont l'Etat est actionnaire à plus de 80%, qui devrait permettre de ramener ces précieuses activités dans le giron de la France. Et, surtout, la présentation du programme énergétique du président candidat, le 10 février dernier, dans lequel il affirme son souhait de « prolonger tous les réacteurs nucléaires qui peuvent l'être » - enterrant définitivement sa promesse de réduction de la part de l'atome dans le mix électrique français -, ainsi que son intention de commander 6 nouveaux EPR, plus 8 en option, en cas de réélection.
Rénovation des bâtiments : une accélération, mais des travaux encore trop légers
Les promesses : En 2017, Emmanuel Macron candidat promet de lancer un grand plan de rénovation des bâtiments publics, de l'Etat et des collectivités locales pour 4 milliards d'euros. Son programme vise également la rénovation de la moitié des logements-passoires thermiques des propriétaires les plus modestes dès 2022, afin de diminuer les émissions et de faire baisser les charges (électricité, fioul, gaz).
La réalité : Sur « la rénovation thermique des bâtiments, le début du quinquennat n'a pas été marqué par des résultats », a récemment reconnu Emmanuel Macron. Et pour cause, en 2019, le crédit d'impôt transition énergétique (CITE), une aide importante pour la rénovation, a vu son budget divisé par deux. Une baisse qui menaçait la dynamique globale et risquait d'augmenter la probabilité de mauvaise qualité des travaux, selon le CLER (Réseau pour la transition énergétique).
Mais en janvier 2020, un dispositif de prime, appelé « MaPrimeRénov' » a finalement remplacé le CITE. Versé en fin de travaux et forfaitaire, il permet désormais de calculer précisément et de diminuer le reste à charge des ménages précaires voulant réaliser certains travaux d'économies d'énergie.
Surtout, le secteur a été officiellement identifié comme « stratégique » par le nouveau gouvernement dans le cadre du plan de relance post-Covid de septembre 2020, date à laquelle MaPrimeRénov a été élargie à tous les ménages, quelles que soient leurs ressources.
De manière générale, le plan de relance a ainsi augmenté le budget prévu pour la rénovation, en le portant à 6,7 milliards d'euros - dont 4 milliards d'euros dédiés aux bâtiments publics. Une somme présentée comme « exceptionnelle », mais qui, en fait, est venue « rattraper » une baisse continue depuis deux ans. Néanmoins, les lois de finances de 2021 et 2022 ont à leur tour permis de rehausser ce budget, avec 2 milliards de plus pour la rénovation énergétique cette année.
L'enveloppe allouée spécifiquement à MaPrimeRénov' a, elle aussi, augmenté. Ainsi, selon le dernier bilan de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (Anah), qui centralise la gestion de cette aide, 644.000 primes ont pu être accordées cette année-là via ce dispositif, pour un montant de 2,06 milliards d'euros, contre seulement 141.000 en 2020. Un bilan régulièrement vanté par le président sortant, qui veut porter à environ 700.000 le nombre de primes accordées par an lors de son prochain mandat, en cas de réélection.
Reste que ce bilan n'est pas exempt de critiques. Car si le nombre de rénovations financées par MaPrimeRénov' a bien bondi en 2021, elles ont en réalité inclus très peu de rénovations globales, qui sont pourtant les plus efficaces pour réduire les émissions de CO2 et augmenter le confort de l'habitat. Il s'agit en effet le plus souvent de petits travaux d'amélioration. D'après une évaluation publiée par la Cour des comptes en septembre dernier, 86% des dossiers n'ont ainsi concerné qu'un seul geste d'efficacité énergétique (comme par exemple le changement de chaudière, l'isolation des combles ou l'installation de nouvelles fenêtres).
« MaPrimeRénov' concerne principalement des changements de chauffage (72%) et accessoirement un renforcement de l'isolation (26%) », souligne la juridiction financière.
Surtout, les débats font rage sur la méthodologie choisie pour établir le diagnostic des bâtiments. En janvier 2021, le gouvernement a en effet publié un décret qui fixe le seuil de « décence énergétique » qu'un logement devra respecter en France métropolitaine à partir de 2023. Mais le plafond au-delà duquel celui-ci serait considéré comme indécent, fixé à 450 kilowattheures d'énergie finale (EF) par mètre carré de surface habitable par an, serait trop élevé, et permettrait toujours à de nombreuses passoires énergétiques de passer sous les radars, dénonce régulièrement le CLER.
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