Le climat, ce sujet très mal compris des candidats à la présidentielle

Très peu abordée dans les médias pendant la campagne électorale, la question climatique est largement sous estimée par la plupart des candidats. Elle semble aussi être mal comprise. Les rares débats sur la transition écologique et énergétique se sont focalisés sur la place du nucléaire dans notre mix électrique, alors que la marge de manœuvre pour décarboner davantage notre économie se situe ailleurs. Les éoliennes ont souvent été décriées alors qu'elles sont indispensables à la neutralité carbone et la question de la sobriété énergétique reste encore trop taboue. Explications.
Juliette Raynal
(Crédits : Fabrizio Bensch)

Alors que l'urgence climatique n'a jamais été aussi prégnante, la thématique demeure parfaitement invisible à seulement quatre jours du premier tour de l'élection présidentielle. Début février, pourtant, quelque 1.400 chercheurs de différentes disciplines tiraient déjà la sonnette d'alarme. Dans une tribune, ils s'inquiétaient de l'absence de débats démocratiques portant sur le climat, la biodiversité ou encore les pollutions et pressaient les candidats à s'exprimer sur ces sujets cruciaux.

Efforts vains. Le message n'a pas été entendu. Au plus fort de la campagne, le climat n'a représenté que 5% du temps médiatique, selon le baromètre de l'institut Onclusive (ex-Kantar), publié à la demande des quatre ONG de l'Affaire du Siècle.

Cette absence flagrante de débat autour de la transition écologique pendant la campagne électorale est d'autant plus déconcertante que le dernier rapport des experts du climat de l'ONU (GIEC), publié lundi 4 avril, exhorte justement à agir immédiatement. Le message est très clair : l'humanité dispose de moins de trois années pour inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre (GES), principales responsables du changement climatique, si elle veut conserver un monde vivable.

Ce texte, le troisième opus d'une publication initiée l'été dernier, est sans doute le plus politique car il se penche sur les stratégies et mesures concrètes à mettre en place pour transformer la société et l'économie. Il porte ainsi sur la transformation de nos modes de consommation, de production et de nos infrastructures.

Des programmes pas à la hauteur

Cet enjeu crucial, très peu de candidats à l'élection présidentielle s'en sont emparés.

"Seuls deux candidats, Yannick Jadot [Les écologistes, ndlr] et Jean-Luc Mélenchon [La France insoumise, ndlr], présentent des plans d'action détaillés et complets permettant une lutte efficace sur le changement climatique", estime Anne Bringault, coordinatrice en France des programmes de l'ONG environnementale Réseau Action Climat (RAC), qui a épluché les programmes des différents candidats à l'aune du climat.

"Dans le programme de Marine Le Pen, le mot climat n'apparaît qu'une seule fois. La candidate d'extrême droite propose même des mesures qui contribueront à augmenter les émissions de GES, comme rehausser la limitation de vitesse sur les routes", ajoute Anne Bringault.

Le groupe de réflexion The Shift Project est encore plus sévère que l'ONG. Selon son analyse (basée cette fois-ci sur la description, en quelques pages, par les candidats de leurs principales propositions pour décarboner la France), aucun d'entre eux ne propose une stratégie à la hauteur du danger de la crise climatique. Le think tank, présidé par le consultant pro-nucléaire Jean-Marc Jancovici, est catégorique : aucun aspirant n'expose une approche systémique, articulée, précise et chiffrée nécessaire à la transition écologique et énergétique. Transition encore plus cruciale à l'heure où la guerre en Ukraine souligne notre grande dépendance aux énergies fossiles, qui financent le régime de Vladimir Poutine.

Seuls Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon et Valérie Pécresse (LR) présentent une approche assez précise de certains enjeux majeurs, reconnaît néanmoins le centre de réflexion. La présentation d'Emmanuel Macron, envoyée hors délai, n'a pas été prise en compte dans le décryptage du Shift Project. Quant à son programme, l'association RAC dénonce sa pauvreté en la matière. "Il n'y a que quelques mesures très symboliques, mais qui ne sont pas du tout suffisantes pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre", estime Anne Bringault. Dans son programme, le président-candidat explique vouloir "planifier la transition écologique" et propose notamment la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires"une offre abordable de voitures électriques pour tous grâce à une filière 100% française" ou encore de rénover 700.000 logements par an.

De rares débats monopolisés par le nucléaire

Non seulement le climat est le grand oublié de cette campagne, mais c'est aussi un sujet mal compris de la plupart des candidats. En effet, les rares fois où les aspirants débattent de la question climatique, ces derniers se concentrent quasi exclusivement sur le nucléaire et la place qu'il pourrait occuper. Or, le nucléaire représente moins de 20% de l'énergie finale utilisée par les Français. Dans sa dernière publication, RTE (le gestionnaire du réseau de transport électrique) rappelle aussi que "maintenir durablement un grand parc nucléaire permet de décarboner massivement, mais est loin de suffire pour atteindre la neutralité carbone".

"Philippe Poutou, par exemple, propose de sortir du nucléaire dans dix ans, mais pas des énergies fossiles. Cela montre bien le fort prisme du nucléaire", pointe Nicolas Goldberg, expert énergie chez Columbus Consulting.

Au-delà du clivage idéologique autour de l'atome, de nombreux professionnels regrettent que les discussions se focalisent sur la production électrique alors qu'elle est déjà très décarbonée (92% de la production électrique dans l'Hexagone est bas carbone, grâce au nucléaire, en grande partie, aux barrages hydrauliques et, dans une moindre mesure, aux parcs éoliens et solaires).

En revanche, la chaleur, utilisée dans le résidentiel et les process industriels, est très carbonée. 70% de sa production est réalisée à partir d'énergies fossiles. Elle représente 45% de notre consommation d'énergie finale, contre seulement 25% pour l'électricité

"Aujourd'hui, dans les débats, les candidats n'ont pas perçu l'importance de la chaleur ou encore celle des transports, qui fonctionnent à 90% à partir d'énergies fossiles. Ce sont des secteurs que l'on va pouvoir électrifier mais il y aura besoin de toutes les solutions", observe Alexandre Roesch, directeur général du Syndicat des énergies renouvelables (SER).

Les énergies renouvelables instrumentalisées

Et Anne Bringault, du Réseau action climat, de renchérir :

"Il y a une grande méconnaissance des [personnalités, ndlr] politiques sur l'origine des gaz à effet de serre et des actions à mener".

Autre illustration de cette méconnaissance : les énergies renouvelables. "Elles sont évoquées par les candidats dans leurs discours, mais souvent en mal", soulève Nicolas Goldberg. Or, le dernier rapport du Giec est sans équivoque : les technologies solaires et éoliennes seront efficaces et peu chères pour décarboner, leur coût ayant chuté de 85% depuis 2010.

"Le moratoire sur l'éolien était réservé à Marine Le Pen en 2017. Désormais, l'extrême droite souhaite carrément démanteler les éoliennes existantes et Marine Le Pen franchit un cap en proposant un moratoire sur le solaire. On voit très bien à quel point l'énergie peut correspondre à un positionnement plus politique que climatique", observe le consultant.

La sobriété encore trop taboue

Dernière lacune dans les rares discours sur le climat : la question de la sobriété énergétique. "Certains politiques ont commencé à prononcer ce mot alors qu'il était complètement tabou il y a encore peu de temps", note la militante écologiste.

Selon Nicolas Goldberg, historiquement, l'énergie a toujours été pensée sous le prisme de la sécurité de l'approvisionnement énergétique, avec pour principal objectif la diversification des sources d'approvisionnement. Désormais, "la meilleure sécurité d'approvisionnement du système énergétique, c'est d'en avoir moins besoin, explique-t-il. La sobriété est un mot très amish, mais nous ne pouvons pas résumer la sobriété à des actes moraux et individuels. Il faut une offre publique de sobriété", poursuit-il.

Cette politique publique de sobriété correspond au développement des transports en commun, à l'aménagement du territoire, au plan vélo, à l'obligation d'utiliser des thermostats ou encore à l'interdiction des terrasses chauffées. Elle est au cœur du troisième volet du rapport du Giec.

"Sur la question des véhicules, par exemple, il est extrêmement frappant lorsqu'on entre chez un concessionnaire automobile de constater qu'il est impossible de trouver une voiture neuve légère. Les rendements des moteurs thermiques s'améliorent, mais le poids des véhicules augmente. Il y a un manque de régulation pour diminuer leur poids", regrette Nicolas Goldberg.

 "Jusqu'à présent, les politiques se sont concentrées sur des incitations, parfois peu lisibles, mais utilisent très peu la contrainte. À un moment donné, il faut avoir la carotte et le bâton", abonde l'expert en énergie. Selon lui, il est urgent "de jouer sur la demande", comme le recommande le dernier rapport du Giec, "tout en préservant des cadres de vie souhaitables". Un défi complexe auquel les politiques n'ont plus le choix que de s'y confronter.

Juliette Raynal

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Commentaires 19
à écrit le 07/04/2022 à 10:20
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Il faut dire que dans candidat il y a candide. Sujet pour mal comprenant mais à ce niveau là le blabla appelé "wishfull thinking" par les anglo en toute abstraction l'emporte largement sur la réalité. Faut comprendre, ils paufinent leur capacité à ...

à écrit le 07/04/2022 à 9:30
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On n'en revient toujours a cette "politique de l'offre" qui crée et individualise les besoins, au dépend de notre environnement naturel qui conditionne l'humidité et les températures locales!

à écrit le 07/04/2022 à 8:48
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d'habitude je vote à droite mais comme vous le dites, force est de constater qu'il n'y a que la France Insoumise et les écolos pour parler quotidiennement de ces problèmes... et surtout apporter un plan d'action. Il y a une grande démission des libér...

le 08/04/2022 à 15:10
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"d'habitude je v0te à dr0ite mais ..." Ah, ah, aaahh, aaAAAHHHH !!!

le 08/04/2022 à 15:11
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"d'habitude je v0te à dr0ite mais ..." Ah, ah, aaahh, aaAAAHHHH !!!

à écrit le 07/04/2022 à 8:48
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d'habitude je vote à droite mais comme vous le dites, force est de constater qu'il n'y a que la France Insoumise et les écolos pour parler quotidiennement de ces problèmes... et surtout apporter un plan d'action. Il y a une grande démission des libér...

à écrit le 07/04/2022 à 8:07
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je dirais plutot ' la guerre civile economique, sujet tres peu compris des climatologues' qui n'ont pas compris que tuer son industrie quand la chine fait tourner du charbon, c'est du suicide inutile, et que les gens ne veulent pas vivre comme au moy...

le 07/04/2022 à 9:52
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@churchill Nier l'évidence n'a jamais fait avancer les choses. Mais rassurez vous, vous pourrez continuer à polluer vu que trop de monde pense comme vous et les choses ne changer qu'à la marge.

le 08/04/2022 à 7:55
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churchill a raison. Si on veut maintenir la hausse des temperatures dans les 1.5-2 deg il faut une chute drastique du niveau de vie dans nos pays (ou une epidemie qui elimine 50 % de la population, ce que meme la peste noire n a pas reussit a faire a...

à écrit le 07/04/2022 à 5:54
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Je crois au contraire, que les candidats, ont très bien compris qu'on ne pouvait rien faire pour le climat, et que la plupart des français s'en fichent éperdument. Mais les bien-pensants sont incapables de comprendre ça

à écrit le 06/04/2022 à 20:31
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'Les éoliennes ont souvent été décriées alors qu'elles sont indispensables à la neutralité carbone' Dès le début de l'article, on comprend que l'auteur n'a vraiment rien compris ou qu'il milite pour le lobby 'éolien'. L'éolien terrestre est la filiè...

le 06/04/2022 à 23:34
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Sur quelles données scientifiques vou s basez vous pour prétendre cela ? Citez vos sources Comment expliquez vous qu’ au Danemark l éolien fournit + de 30 % de la consommation électrique ?

à écrit le 06/04/2022 à 20:28
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Seul le candidat communiste reprend totalement les conclusions du GIEC en relançant le nucléaire civil, et donc c'est le seul candidat rééllement écologiste pour lutter contre le CO2 et le réchauffement climatique et de renationaliser EDF-GDF dans un...

le 07/04/2022 à 9:47
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@Snowden On reconnaît bien là vos penchants soviétiques, communistes dorénavant d'inspiration Poutinienne. Les communistes ont toujours été des productivistes de base, le climat est bien loin de leurs préoccupations.

à écrit le 06/04/2022 à 20:05
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Il y a quelques années Claude allègre disait que le GIEC avait un goût de lobbie ,il jouait sur les peurs pour avoir des subventions. Les décisions prises sous pressions de lobbies n'étaient jamais les bonnes , pensait il.

à écrit le 06/04/2022 à 19:13
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"Seuls deux candidats, Yannick Jadot [Les écologistes, ndlr] et Jean-Luc Mélenchon [La France insoumise, ndlr], présentent des plans d'action détaillés et complets permettant une lutte efficace sur le changement climatique" En effet je trouve la FI p...

le 06/04/2022 à 21:07
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SI présenter des plans détaillés qui privilégient les énergies renouvelables intermittentes et aléatoires permet une lutte efficace pour diminuer les émissions de CO2, alors je crois qu'ils non rien compris. Pourtant la situation actuelle avec une ...

le 06/04/2022 à 21:20
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Exact Fi n est pas ma tasse de thé mais ils ont fait un vrai travail de fond sur le climat D ailleurs un second tour avec Mélenchon serait intéressant

le 08/04/2022 à 8:40
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"une lutte efficace pour diminuer les émissions de CO2, " Non justement ils ne se focalisent pas que sur les GES exposant comme le dit l'article qu'ils prennent plus en compte le problème environnemental. C'est la première fois que j'entends remettre...

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