Report des charges sociales et fiscales, report des loyers, moratoire sur les échéances bancaires, Prêts garantis par l'État (PGE), aide de trésorerie... En pleine crise, le gouvernement et les banques ont multiplié les mesures pour éviter une noyade fatale aux entreprises. Au total, quelque 120 milliards d'euros de PGE ont ainsi été distribués par les réseaux bancaires.
Mais six mois après le début de la crise, la question de l'endettement des entreprises tricolores se retrouve au cœur des préoccupations, leur bilan s'étant fortement dégradé. Le risque ? Des entreprises acculées par les dettes, en perte de compétitivité et incapables d'investir durant plusieurs années. Et, in fine, une multiplication des défaillances.
Une envolée préoccupante de l'endettement
Or, dans une note, publiée en mai dernier, la Banque de France relevait déjà pour le premier trimestre 2020 "une hausse marquée de la dette des sociétés non financières [...] plus forte en France que dans les autres pays de la zone euro".
Comment expliquer cette spécificité française ? D'abord par la stratégie du gouvernement, qui a privilégié l'endettement financier, alors que dans d'autres pays voisins les entreprises se sont endettées les unes vis-à-vis des autres. À ce premier élément viennent s'ajouter le grand succès du PGE et un comportement de précaution des entreprises, peut-être plus prononcé en France, consistant à s'endetter en amont pour faire face à d'éventuelles difficultés de trésorerie à venir.
Pour tenter d'éviter tout scénario catastrophe, le gouvernement a présenté jeudi, dans le cadre de son plan de relance, deux dispositifs visant à renforcer les fonds propres (c'est-à-dire le capital) et quasi-fonds propres des entreprises (qui figurent en haut de leur bilan comptable). Objectif : restaurer leur capacité d'investissement.
Les "indispensables" prêts participatifs
Le premier mécanisme consiste à labelliser certains fonds régionaux et nationaux dont la politique d'investissement favorise le renforcement des fonds propres et quasi-fonds propres des entreprises implantées en France. Ces fonds labellisés pourraient alors bénéficier d'une garantie de Bpifrance à hauteur d'un milliard d'euros. De quoi minimiser le risque de perte en capital pour l'investisseur et encourager ce type de financement.
Le second dispositif repose sur le déploiement de prêts participatifs, octroyés par les banques (qui pourront se refinancer auprès d'investisseurs institutionnels) et bénéficiant d'une garantie publique à hauteur de 3 milliards d'euros. Le gouvernement, qui n'intervient donc pas directement au capital des entreprises, estime que cette enveloppe de garantie pourrait créer un effet d'entraînement et susciter entre 10 et 20 milliards d'euros de prêts participatifs financés par des ressources privées. Ces prêts participatifs pourraient être accordés à "10.000 [ou] 20.000 TPE, PME et petites ETI nécessitant un renforcement de leur bilan en sortie de crise", précise le gouvernement dans l'annexe du plan de relance.
"Nous pouvons saluer la mise en place de cet outil qui est indispensable", a réagi François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), interrogé par La Tribune. "Toutefois, l'effet de levier anticipé par Bruno Le Maire n'est pas un pari évident à relever", estime-t-il.
"En renforçant ainsi le haut de bilan des sociétés, le gouvernement espère que les entreprises bénéficiaires seront en mesure d'obtenir d'autres financements et ainsi continuer d'investir", commente Laurent Quignon, responsable de l'équipe économie bancaire chez BNP Paribas.
Un bon outil de gestion de crise
Contrairement aux prêts classiques, les prêts participatifs sont inscrits en haut du bilan de l'entreprise. Ces prêts de long terme sont, en effet, assimilés à des fonds propres. Ils ont été introduits par la loi du 13 juillet 1978, puis sont tombés en désuétude dans les années 1990, avant leur grand retour en 2008, dans le cadre du plan de relance PME adopté à la suite de la crise financière.
"Le prêt participatif est un prêt assorti d'un rang de remboursement inférieur à celui des prêts classiques mais supérieur à celui des actionnaires. Pour le créancier, le prêt participatif présente donc un plus grand risque mais aussi un rendement plus élevé que les financements par endettement classique", explique Laurent Quignon.
Pour l'entreprise qui en bénéficie, l'avantage c'est qu'il ne confère pas de droit de vote car cela reste de la dette d'un point de vue juridique et fiscal, et il n'affecte pas la gouvernance. En revanche, son principal inconvénient, par rapport aux véritables fonds propres, c'est qu'il doit être remboursé.
"C'est donc un bon outil de gestion de crise pour les entreprises qui ont besoin de renforcer temporairement leurs bilans pour financer leurs investissements. Toutefois, il faut bien faire la part des choses entre les entreprises qui présentent des perspectives de développement favorables et les entreprises dont les difficultés préexistantes ont été renforcées par la crise sanitaire", estime Laurent Quignon.
Encore des inconnues
Aujourd'hui, les modalités de ces prêts participatifs, dont le lancement est prévu fin 2020, début 2021, ne sont pas encore connues. Quel en sera le coût ? Le risque pour le prêteur étant plus important, son coût sera forcément plus élevé que celui des PGE (dont le taux d'intérêt devrait osciller entre 1 et 3% selon leur maturité).
Certains acteurs économiques s'inquiètent toutefois des conséquences d'une rémunération trop faible pour les investisseurs. "Ce qui importe, c'est le couple rendement/risque. Si le risque est jugé beaucoup trop élevé par rapport au rendement escompté, cela peut désinciter les investisseurs. La garantie publique est certes un facteur important de réduction du risque mais elle reste bien sûr partielle", prévient Laurent Quignon. Néanmoins, "le taux n'est pas nécessairement administré. Il peut être fixé de manière contractuelle et être assorti d'une clause de participation si l'entreprise dégage un bénéfice", ajoute-t-il.
Un prêt consolidé en complément ?
La CPME, elle, plaide pour l'instauration d'un outil complémentaire.
"Il faut prévoir un autre scénario de sortie de crise qui peut se cumuler aux prêts participatifs. Nous militons pour la création d'un prêt consolidé. Celui-ci permettrait de regrouper toutes les dettes accumulées par l'entreprise [pendant la crise, Ndlr], dont le PGE, au sein d'un prêt unique dont le remboursement pourrait s'étaler sur une période allant jusqu'à dix ans", expose François Asselin. Objectif : "éviter un mur de dettes en avril prochain [soit un an après l'octroi des premiers PGE, Ndlr], impossibles à rembourser même pour les entreprises dont le modèle économique tient la route".
Selon le président de la CPME, cette alternative permettrait de "balayer tous les besoins des entreprises quelle que soit leur taille", les plus petites entreprises étant moins bien outillées pour recourir aux prêts participatifs. "Il faut du prêt à l'emploi", insiste-t-il.