Le plan de relance a déjà créé un emploi ! Celui de Haut-Commissaire au Plan, confié à François Bayrou, enfin récompensé d'avoir renoncé à briguer l'Élysée en 2017, ce qui a grandement contribué à la victoire d'Emmanuel Macron. Au-delà de la boutade, un esprit libre qui reviendrait d'un voyage sur Mars et retrouverait la France de septembre 2020 serait un peu surpris de découvrir à quel point sous le président en apparence libéral de 2017 se cache un colbertiste qui s'ignore. Certes, l'époque est extraordinaire et nécessite de prendre des mesures inédites et historiques. Mais à découvrir les quelques 75 mesures du plan France Relance, on en vient à se demander dans quel cerveau dément est née cette usine à gaz bureaucratique qui va conduire le pays à dépenser sur deux ans 100 milliards d'euros, soit 4 points de PIB dans de telles conditions apparente d'improvisation voire de bricolage.
Les auteurs du plan sont d'ailleurs tellement conscients de la folie de leur entreprise qu'ils ont décidé de créer une administration dédiée au pilotage de cette monstruosité, conscients que veiller à la bonne répartition de ces dépenses nouvelles ne sera pas une mince affaire. Bruno Le Maire, bombardé ministre de la Relance, pilotera un comité de pilotage hebdomadaire, et Jean Castex, le Premier ministre, aura la haute main sur un conseil de la relance qui fera le point chaque mois sur la bonne exécution du plan. Rassurez-vous, on est bien en France ! De fait, il faudra d'abord et avant tout s'assurer que les sommes prévues sont effectivement dépensées. Alors que l'économie française recommence à ralentir, retrouvant une tendance négative qui préexistait à la crise sanitaire, une course de vitesse s'engage et elle est loin d'être gagnée.
Pour simplifier encore le processus, les collectivités locales et notamment les régions seront invitées à démultiplier le plan au niveau local dans l'objectif, louable, de s'assurer que les bienfaits de la relance profitera à tous les Français, dans tous les territoires. Là encore, le pilotage demandera du doigté et créera de nouveaux jobs, celui de "sous-préfets à la relance"... Seul point rassurant, le chef de gouvernement pourra retirer des crédits aux ministères qui ne parviendraient pas à mettre en œuvre les programmes dont ils ont la charge. Il y aura donc, au moins, un pilote dans l'avion qui pourra réallouer les dépenses là où elles se révèlent les plus utiles et les plus efficaces.
Coup de booster
En deuxième analyse, ce plan de relance a une vertu, celle de donner un coup de booster à une économie française gangrenée par la désindustrialisation. Les 100 milliards mis sur la table, dont 20 milliards de baisse pérenne des impôts de production, sont une formidable opportunité à saisir pour les entreprises qui sont la principale cible du plan avec des objectifs clairs. Accélérer les investissements vers la croissance verte, l'innovation et les relocalisations industrielles, beaucoup en rêvaient ; il aura fallu la crise du Coronavirus pour le faire. La demande ayant déjà été massivement soutenue depuis mars par les mécanismes de chômage partiel, qui ont maintenu à peu près jusqu'ici les revenus des ménages, et donc la consommation, on a échappé pour cette fois au sempiternel débat sur la politique de l'offre. Oui, à l'évidence, c'est bien la capacité d'investissement des entreprises qu'il faut soutenir, sauf à connaître un décrochage durable, voire définitif de l'économie française. Certes, comme d'habitude, les syndicats vont réclamer une conditionnalité des aides, comme ils l'avaient fait sous François Hollande à propos des allégements de charges du pacte de responsabilité. Mais comment exiger des contreparties alors qu'il y a le feu au lac ? L'important, c'est d'arroser les entreprises de subventions, en les appelant à jouer le jeu de l'emploi, celui des jeunes en particulier. En rendant quasi nul le coût d'un apprenti, on peut espérer que les patrons répondent à l'appel. En ciblant en particulier la transition écologique, les filières d'avenir comme les nouvelles énergies, l'hydrogène, ou la rénovation énergétique des bâtiments, le plan adresse des signaux plutôt encourageants au secteur privé. Et peut inciter beaucoup de chômeurs à "traverser la rue" pour se convertir à des métiers d'avenir plutôt que de rester dans des secteurs condamnés par la mondialisation ou les progrès technologiques.
"Big bazooka"
À ceux qui se plaignent de voir l'État keynésien faire ainsi son grand retour, on pourra rétorquer que c'est quand même l'État qui a décidé, unilatéralement, de mettre à l'arrêt l'économie, pour des raisons sanitaires compréhensibles, mais avec des effets catastrophiques qu'il faut désormais panser. Il n'est donc pas illogique de réclamer à l'État de rallumer le moteur par une relance massive. Le « big bazooka » de la Banque centrale européenne atteignant ses limites, c'est désormais aux budgets nationaux de prendre le relais.
Pour Emmanuel Macron, c'est une opportunité politique exceptionnelle, pour tenter de rebondir en 2022. Le seul juge de paix, alors que la crise économique va détruire 800.000 emplois, sera la capacité du gouvernement à faire jouer au plan son rôle contra-cyclique. Les mesures plus structurelles, pour faire naître des filières et des métiers d'avenir, mettront plus de temps pour produire leurs effets.
Trois écueils
Trois écueils devront être évités : le risque bureaucratique, déjà cité, qui rendrait inefficace les mesures prises, le risque d'un trop grand saupoudrage, un mal bien français qui veut qu'à force de vouloir faire plaisir à tout le monde, on finit par ne contenter personne... et enfin, le risque que le plan rate sa cible principale, qui est de rétablir la confiance des ménages et des entreprises, qui, bien plus que l'État, ont les clefs de la réussite.
Le pari de Macron est clair, et il le dit dans l'édito que signe le président de la République dans le dossier de presse :
« La véritable ambition de France Relance n'est pas tant dans l'importance des moyens mobilisés pour soutenir l'activité à court terme, que dans la philosophie de transformation qui sous-tend le plan. Il y a deux façons de concevoir un plan de relance. La première : reconduire à l'identique l'existant, déverser des milliards de subventions, y compris dans des secteurs dont on sait qu'ils ne peuvent plus opérer comme avant. La seconde : transformer le risque en chance, la crise en opportunité, en investissant prioritairement dans les domaines les plus porteurs, ceux qui feront l'économie et créeront les emplois de demain. C'est le choix que nous faisons, celui de l'avenir, de la projection. Avec France Relance, nous voulons construire aujourd'hui la France de 2030. »
Emmanuel Macron a raison, mais a-t-il encore le crédit suffisant pour en convaincre les Français ? Eux seuls ont la réponse...
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