La réforme des retraites risque de laisser des traces. Alors que le gouvernement espérait que la contestation sociale s'essouffle après la promulgation de la loi à la mi-avril, les rassemblements du premier mai partout sur le territoire ont montré que la défiance était loin d'être retombée. Les syndicats sont ressortis galvanisés de ces trois mois de mobilisation. Pour la première fois depuis 2009, les différentes organisations ont manifesté ensemble pour la fête internationale des droits des travailleurs. Et l'intersyndicale a appelé à un nouveau rassemblement le 6 juin prochain à l'issue d'une réunion ce mardi 2 mai.
En face, le gouvernement veut reprendre la main sur l'agenda social en invitant les organisations syndicales à venir échanger sur les lois France Travail et Plein emploi. S'agissant des réformes, la Première ministre a déroulé la semaine dernière son programme copieux des 100 prochains jours et même au-delà. Mais les déplacements des ministres sont toujours émaillés de concerts de casseroles, de vives contestations et d'interpellations.
Dans ce contexte brûlant, la croissance tricolore n'a pas plongé au premier trimestre malgré les 14 journées de mobilisations et de grèves depuis le début du mois de janvier. Sur le plan macroéconomique, les conséquences devraient être limitées. Il faut dire que malgré de fortes mobilisations, un soutien massif de l'opinion dans les sondages et des syndicats unis, ces trois mois n'ont pas abouti à une mise à l'arrêt complet des grands moteurs de l'économie et une désorganisation brutale du travail en France. Les trois semaines de forte contestation en 1995 avaient laissé le souvenir d'un blocage plus massif de l'économie hexagonale.
En revanche, certains secteurs ont enregistré des pertes d'activité importantes. Selon la dernière Grande consultation des entrepreneurs réalisée par OpinionWay pour CCI France, La Tribune et LCI, plus d'un quart (28%) des entreprises affirment avoir subi un impact de la contestation de la réforme des retraites. A l'opposé, 71% n'ont enregistré aucune répercussion.
Les commerçants en première ligne sur le chiffre d'affaires, les services préservés
Dans le détail, ce sont surtout les commerçants (48%) qui expriment le plus de conséquences sur leur chiffre d'affaires. Dans les grandes métropoles et les villes moyennes, des commerces ont pu fermer leurs rideaux temporairement durant les mobilisations.
A ces fermetures temporaires s'est ajoutée la chute de la consommation des ménages minés par l'inflation persistante. Dans l'industrie (23%), les services (21%) ou la construction (19%), les dirigeants sont nettement moins affectés par les mobilisations contre la réforme décriée des retraites du gouvernement.
L'industrie et la construction perturbées par des difficultés d'approvisionnement
Sans surprise, l'industrie (38%) et la construction (32%) ont exprimé plus de difficultés sur les circuits d'approvisionnement. Les commerçants (43%) ont également fait part de problèmes récurrents. En revanche, peu de dirigeants dans le tertiaire ont connu des obstacles pour s'approvisionner.
Au niveau de l'organisation interne, un quart des entreprises disent avoir rencontré des incidents pendant le premier trimestre. Là encore, le commerce (29%) est principalement touché alors que les services (24%) semblent moins affectés.
Le moral des dirigeants peine à se redresser
L'optimisme chez les dirigeants d'entreprise peine à se redresser. L'indicateur synthétique qui prend en compte les questions de confiance à l'égard de l'évolution de l'économie et de la situation actuelle s'établit à 74 points (+2 points par rapport à mars). Après avoir atteint un creux en fin d'année 2022, cet indice progresse mais reste très éloigné de sa moyenne de long terme (100). Surtout, il se de situe en deça du niveau enregistré lors de la crise des « gilets jaunes » à l'automne 2018.
A l'époque, le gouvernement avait dû annoncer une panoplie de mesures à plusieurs milliards d'euros afin de tenter d'éteindre la gronde sociale. Les résultats de l'enquête menée par OpinionWay soulignent que 44% des dirigeants affirment que « c'était mieux hier » (+5 points par rapport à mars). Et sont seulement 22% à déclarer que « ce sera mieux demain ». Ils sont donc très peu à se projeter dans un avenir meilleur. Ce qui laisse présager encore de longs mois défavorables pour l'économie tricolore alors que l'exécutif souhaite tourner la page très rapidement.
(*) Étude Opinionway / CCI France / La Tribune / LCI réalisée auprès d'un échantillon de 1.019 dirigeants d'entreprise. L'échantillon a été interrogé par téléphone du 7 au 18 avril 2023. La représentativité de l'échantillon a été assurée par un redressement selon le secteur d'activité et la taille, après stratification par région d'implantation.