LA TRIBUNE - Plus d'un an après l'éclatement de la guerre en Ukraine, quel bilan tirez-vous pour les entreprises accompagnées par le réseau Initiative France ?
GUILLAUME PEPY - En 2022, il y a eu une forte hausse du nombre de projets accompagnés (+7%) alors que le nombre de créations d'entreprises a augmenté de 4% en France. Dans le détail, ce sont surtout les reprises d'entreprises existantes qui ont soutenu cette hausse. Le nombre de reprises a augmenté de 22%. Reprendre une activité peut être synonyme de sécurité. Les reprises sont un moyen de sauver de l'emploi et de l'activité locale. Les porteurs de projets sont extrêmement attachés à ces objectifs.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises depuis un an ?
La situation est contrastée. La crise énergétique, la transition environnementale et le retour du local peuvent être autant d'opportunités pour des nouveaux entrepreneurs de se lancer. Ils ont rapidement compris ce que sera l'économie de demain. Ce sera une économie de proximité où les circuits-courts et le recyclage seront dans les esprits de tous. En revanche, la guerre en Ukraine, l'inflation et les difficultés d'approvisionnement représentent des obstacles sur le parcours de la création d'entreprise. Loin de décourager, ces freins ont plutôt renforcé l'envie des entrepreneurs de réussir.
La réforme des retraites a-t-elle mis sur pause les initiatives chez les porteurs de projets et les entrepreneurs ?
Les trois mois de conflit sur les retraites ont pesé sur la psychologie collective. La crise sociale a eu un impact sur la volonté d'entreprendre. Le moteur de l'entrepreneuriat est la confiance en soi et la confiance dans la société et l'économie. Ces derniers mois, la société s'est déchirée sur ce projet qui a occupé une grande partie de l'espace médiatique.
Les prix de l'énergie sont retombés ces derniers mois. Malgré cet essoufflement, beaucoup d'indépendants continuent d'alerter sur les risques en cascade de cette inflation. Comment aidez-vous les entreprises confrontées à cette explosion des prix ?
Tout le monde a désormais conscience que l'on va vivre dans un monde d'énergie chère. Il y a peu de chances pour que l'on revienne à une énergie quasi-gratuite. La vraie réponse est dans la sobriété énergétique. Nous conseillons à nos porteurs de projet de réfléchir à l'optimisation de la consommation d'énergie. Il ne faut pas compter sur des aides pérennes et le retour à une énergie bon marché.
Quels sont vos principaux chantiers pour 2023 ?
2023 pourrait être plus difficile. On remarque beaucoup de signes de procrastination. Il faut mettre le paquet sur le local et sur les jeunes, les femmes, les habitants des quartiers de la politique de la ville. On a lancé en fin d'année 2022 une campagne de recrutement de bénévoles pour accompagner les porteurs de projet. 100% des projets doivent avoir un impact positif sur la société. Nous demandons aux porteurs de projet de réfléchir sur les actions qu'ils apportent pour leur territoire, pour faciliter la transition environnementale.
Dans le monde de l'entrepreneuriat, les femmes sont toujours victimes de discrimination. Comment expliquez-vous la persistance de ce phénomène ?
La part des projets portée par des femmes est passée à 43% l'année dernière. C'est toujours 7 points de moins que les hommes mais c'est en progrès. Les difficultés rencontrées sont principalement les clichés et les préjugés. 25% des femmes qui entreprennent disent ressentir ces clichés. Les femmes peuvent également s'auto-censurer. Elles peuvent s'interroger sur leur propre légitimité, leur compétence. Il faut donc aider les femmes à avoir confiance en elles. Mon objectif est de parvenir à la parité dans la création d'entreprise d'ici trois ans.
Depuis plusieurs années, les démissions se multiplient dans plusieurs secteurs. Assistez-vous à une montée en puissance des reconversions chez les nouveaux entrepreneurs accompagnés par votre réseau ?
Oui, il y a une montée incontestable des reconversions. Entreprendre se fait désormais à tout âge, quelle que soit la situation dans la vie d'avant. On trouve beaucoup de gens qui avaient des postes en CDI et basculent tout d'un coup dans l'entrepreneuriat. Les personnes en préretraite ne se voient pas forcément sans activité professionnelle.
Certains veulent donner un sens à leur vie professionnelle. De plus en plus de personnes se lancent dans des projets collectifs. Un tiers des entreprises accompagnées sont des reconversions. Autrement dit, la reconversion ne fait plus peur.
Cette volonté de reconversion illustre-t-elle un nouveau rapport au travail ?
Cette hausse des reconversions montre qu'il n'y a plus de choix faits pour toute la vie. L'idée qu'on va choisir son métier entre 20 et 30 ans pour toute la vie est révolue. Beaucoup de personnes changent désormais de secteur professionnel. Cela montre une ouverture.
L'économie française marque le pas depuis plusieurs trimestres. D'un côté, certains secteurs ont réussi à tirer leur épingle du jeu. D'autres n'ont toujours pas retrouvé leur niveau d'activité d'avant crise sanitaire. Ce coup de frein ne risque-t-il pas de favoriser une économie à plusieurs vitesses ?
Les très grands groupes français s'en tirent très bien car ils ont pu anticiper. Ces groupes ont des contrats de long terme. En revanche, les TPE et les PME prennent tous les chocs de plein fouet. Face au choc économique et au choc de confiance, l'année 2023 pourrait être plus incertaine pour l'entrepreneuriat.
Propos recueillis par Grégoire Normand