
Après d'interminables heures de suspense, le verdict est enfin tombé. Le Conseil constitutionnel a tranché pour une censure partielle de la réforme des retraites. Parmi les points retoqués figurent sans surprise l'index des seniors et le CDI senior. En revanche, le Conseil constitutionnel a validé l'essentiel de la réforme, notamment le report de l'âge de départ à 64 ans. Le collège des Sages a, ainsi, jugé que les dispositifs relatifs à l'emploi des seniors étaient des « cavaliers sociaux » et n'avaient rien à faire dans un texte de financement de la sécurité sociale (PLFRSS).
Après la décision de l'institution de la rue Montpensier, le gouvernement pourrait tenter d'intégrer ces outils dans la loi « plein emploi » actuellement en préparation. Mais ces dispositifs sont loin d'être approuvés par les partenaires sociaux. Ils pourraient faire l'objet d'âpres négociations dans les prochains jours. Emmanuel Macron a déjà prévu d'inviter les syndicats à l'Elysée la semaine prochaine. L'Intersyndicale a toutefois répondu qu'elle n'acceptera pas de réunion avec l'exécutif avant le 1er mai.
Le report de l'âge légal ne va pas résoudre les difficultés de l'emploi des seniors
Mesure emblématique du projet de loi sur les retraites, le report de l'âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans ne devrait pas modifier considérablement l'emploi des seniors. Le taux d'emploi des 55-64 ans a certes augmenté depuis la dernière vaste réforme de 2010 repoussant l'âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans.
Mais à regarder dans le détail, la situation est toujours très défavorable pour les plus âgés. Dans une récente étude de la direction statistique du ministère du Travail (Dares), les chercheurs ont montré que le taux d'emploi des seniors après 60 ans (35%) décrochait bien plus nettement que le taux d'emploi des personnes âgées de 55 à 59 ans (75%).
En outre, le report de l'âge légal va faire bondir le nombre de chômeurs. L'Unédic a récemment évalué que la réforme paramétrique précitée avait fait bondir le nombre de personnes seniors inscrites et indemnisées par Pôle emploi de 100.000 entre 2010 et 2022. Sachant que les personnes âgées sont bien plus concernées par le fléau du chômage de longue durée (supérieur à un an) que les plus jeunes, cette réforme risque même d'aggraver la situation des plus de 60 ans. Et ces répercussions concernent toutes les catégories professionnelles. Des ouvriers aux cadres, beaucoup peinent à retrouver un emploi après 60 ans.
L'index senior, un outil contesté
Concernant l'index senior, il a pour objectif de tenter d'améliorer la participation de ces derniers au marché du travail. Dans le texte de loi adopté en commission mixte paritaire (CMP), l'exécutif avait introduit un article prévoyant d'obliger les entreprises à publier chaque année un index. Il devait être obligatoire dès cette année pour les entreprises de plus de 1.000 salariés, un seuil abaissé à 300 salariés en 2024.
Sa non-publication pouvait être passible de sanctions pouvant aller jusqu'à 1% du chiffre d'affaires. Inspiré de l'index égalité professionnelle mis en oeuvre lors du précédent quinquennat, cet outil était largement critiqué dans les milieux patronaux et les directions des ressources humaines. « L'index des seniors proposé est très contraignant. Nous ne sommes pas favorables à un index punitif », avait récemment déclaré Audrey Richard, présidente de l'association nationale des ressources humaines (ANRDH).
Côté patronal, le Medef comme la CPME avaient affiché leur hostilité à l'encontre de l'index. « Les entreprises doivent faire des efforts mais l'index ne fonctionne pas! », avait ainsi affirmé Geoffroy Roux de Bézieux. Dans les entreprises, le dispositif peine, en effet, à convaincre. « Je ne sais pas ce qu'il [l'index senior] va devenir dans le contexte actuel. S'il y en a un, nous nous adapterons, nous le mettrons en place et il n'y aura pas de sujet » a confié à La Tribune Stéphane Dubois, directeur des responsabilités humaines et sociétales chez l'équipementier aéronautique Safran. Concernant les indicateurs et la méthode de calcul de l'index, les entreprises étaient encore dans le brouillard. L'exécutif avait notamment prévu une concertation entre les partenaires sociaux pour en fixer les modalités mais la décision du Conseil rebat les cartes des négociations.
Le CDI senior largement critiqué
L'autre dispositif retoqué par le Conseil constitutionnel concerne le CDI senior. Il visait à mettre en place un nouveau type de contrat à titre expérimental. Défendu par la droite (LR) et une partie du Centre, cet amendement prévoit que « dans le cadre de ce contrat à durée indéterminée, l'employeur sera exonéré de cotisations famille, afin de compenser le coût d'un salarié senior qui, compte tenu de son expérience, peut prétendre à une rémunération plus élevée qu'un jeune actif. » Le rapporteur avait précisé que l'amendement « avait été rédigé sur proposition de nombre de partenaires sociaux».
Inspiré du CDD senior mis en oeuvre en 2006, ce nouveau contrat pourrait faire un flop. « Le CDI senior est surtout centré sur l'allègement des cotisations. Le vrai sujet est le frein à l'embauche des seniors dans les entreprises. Le CDI senior est jugé insuffisant, car on n'a jamais vu que l'allègement de charges sur ces profils ait permis à l'emploi de se redresser », avait affirmé Audrey Richard de l'ANDRH.
Chez Safran, la direction des ressources humaines est également dubitative sur ce dispositif. « Nous n'avons pas l'intention d'utiliser le CDI senior. Nous ne sommes pas dans une logique d'économie de charges concernant les 10 % de recrutements de séniors [que Safran veut réaliser], et ce, dans la continuité de ce que l'on a toujours fait » , a expliqué Stéphane Dubois. Après la décision du Conseil, l'emploi des seniors risque de donner lieu à des débats encore houleux.