La lutte contre le changement climatique nécessite des investissements colossaux. Partout dans le monde, les Etats vont devoir encore plus faire face à des montagnes de dépenses pour freiner les émissions de gaz à effet de serre responsables du réchauffement. Aux Etats-Unis (IRA) et en Chine, les autorités ont engagé des plans gigantesques pour accélérer cette bataille. Et la France devra également appuyer sur l'accélérateur des investissements pour remplir ses objectifs. L'Etat s'est déjà fait condamné pour « inaction climatique » et les sanctions pourraient continuer de pleuvoir. Dans ce contexte, la question du financement devient cruciale.
Dans un récent rapport remis à la Première ministre Elisabeth Borne, les économistes Jean-Pisani Ferry et Selma Mahfouz ont chiffré les investissements annuels supplémentaires en France à 66 milliards d'euros d'ici 2030. Sur ce total, la part des investissements publics est estimée entre 25 et 34 milliards d'euros. Comment financer cette avalanche d'investissements dans un environnement budgétaire contraint ? Faut-il privilégier des taxes ou de l'endettement ? Le président de l'Observatoire français des conjonctures économiques Xavier Ragot privilégie dans une note dévoilée ce vendredi 2 juin un financement diversifié pour limiter les risques.
Hausse de la fiscalité du capital
Parmi les pistes explorées figure la hausse de la fiscalité du capital. Sur ce point, l'économiste interrogé par La Tribune plaide pour « une taxe temporaire sur le capital » qui permettra de financer des investissements futurs. Il rejoint ainsi la proposition des économistes Pisani-Ferry et Mahfouz de mettre en place un prélèvement exceptionnel sur les 10% les plus riches avec un rendement de 5 milliards par an. En revanche, le responsable du centre de recherches de Sciences-Po n'avance pas de modalités précises sur le taux, l'assiette et le rendement attendu de cette fiscalité
Dans sa note, Xavier Ragot prend l'exemple des périodes de guerre où les Etats-Unis ont dû financer des efforts sans précédent en mettant en place des taux d'impôts exceptionnels. La fiscalité du capital est ainsi passée en moyenne de 44% à 60% lors de la Seconde guerre mondiale par exemple. La puissance américaine avait également eu recours à l'endettement pour financer l'effort de guerre. Aux Etats-Unis, l'administration Biden prévoit de financer l'enveloppe de subventions de l'Inflation Reduction Act (IRA) de 400 milliards de dollars par une hausse de la fiscalité sur les entreprises.
La hausse de la fiscalité sur le travail, un risque social explosif
S'agissant du travail, le patron de l'OFCE défend « une hausse modérée et permanente de la fiscalité ». Une augmentation de la fiscalité sur les travailleurs pourrait prendre plusieurs formes. Mais compte tenu du climat social explosif en France, une augmentation, certes modérée des prélèvements, pourrait mettre le feu aux poudres.
La crise des « gilets jaunes » à l'hiver 2018 est resté gravée dans les esprits du gouvernement. A l'époque, le relèvement de la fiscalité indirecte sur le carburant frappant une grande partie des travailleurs en région, obligés de prendre leur voiture pour se rendre sur leur lieu de travail, avait provoqué une vague de contestation partout sur le territoire. Malgré cette expérience amère pour l'exécutif, l'idée est revenue dans le débat sur le financement de la transition. Le Fonds monétaire international (FMI) a récemment défendu la tarification du carbone faisant confiance au signal prix pour orienter les investissements des ménages et des entreprises.
Le gouvernement continue de miser sur le travail, un pari risqué pour 2023
Le gouvernement continue de faire du « plein emploi » un levier de financement de la transition. Les différentes réformes (assurance-chômage, retraites) menées au pas de charge depuis le début du second quinquennat et loi France Travail à venir visent à faire baisser le taux de chômage en France et améliorer l'emploi des seniors selon l'exécutif. L'argument de la Macronie consiste à dire qu'une hausse de l'emploi permet plus de cotisations et de prélèvements pour améliorer les finances publiques.
Plusieurs économistes et institutions ont contesté les effets bénéfiques de ces réformes sur le plan budgétaire. Surtout, plusieurs instituts de prévision ont dégradé leurs prévisions de chômage pour 2023 et 2024. En France, les créations d'emploi ont nettement marqué le pas depuis la fin de l'année 2022. Et l'essoufflement de la croissance pourrait faire flancher le marché du travail.
Dette : des marges de manoeuvre limitées
Le recours à l'endettement pour financer la transition écologique semble périlleux dans le contexte actuel. Dans son programme de stabilité envoyé à Bruxelles au mois d'avril, le gouvernement table sur une baisse de la dette rapportée au produit intérieur brut (PIB) de 111,6% à 108,3% entre 2022 et 2027 et une baisse du déficit 4,7% du PIB en 2022 à 2,7% en 2027. Mais ces projections ont été jugées optimistes par le Haut conseil des finances publiques. De son côté, l'OFCE plaide pour « un financement partiel et modéré par la dette publique » mais considère cette option« risquée ».« La gestion de l'incertitude conduit plutôt à un financement par des maturités longues à un coût certes plus élevé afin d'assurer la dette publique contre le risque de remontée des taux », souligne Xavier Ragot.
Le resserrement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) a durci les conditions de financement des Etats depuis le printemps 2022. Même si l'inflation a commencé à refluer dans la zone euro, la BCE n'a pas l'intention de mettre sur pause son tour de vis monétaire. Et la poursuite de cette politique restrictive devrait encore freiner la croissance de l'activité pendant encore un long moment.
La croissance de la zone euro a atteint péniblement 0,1% au premier trimestre 2023 et celle de la France a augmenté de 0,2%. Entre une inflation élevée et une croissance atone, l'Etat français dispose de marges de manoeuvre réduites pour emprunter sur les marchés. La hausse du coût de la dette à prévoir pour 2023 et 2024 devrait mettre Bercy sous pression pour financer les investissements faramineux de la transition.
Le gouvernement dans l'impasse budgétaire
Face à cette montagne d'investissements, le gouvernement se retrouve dans une impasse. Après la proposition du rapport de l'économiste Pisani-Ferry de mettre en place une taxe sur les 10% les plus riches, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a rapidement mis son véto sur cette option, pourtant défendue par des élus de la majorité parlementaire et des membres du gouvernement. Sur la question de l'endettement, Matignon a demandé à chacun des ministères des coupes de 5% destinées à faire des économies. Ces coupes permettraient de dégager 7 milliards d'euros, qui serviront notamment à financer la transition écologique.
Un plan de lutte contre la fraude fiscale, présenté début mai, doit également permettre à l'État de récupérer des ressources supplémentaires. Mais il a également prévu des baisses sur les impôts de production (10 milliards), les classes moyennes (2 milliards) et des hausses budgétaires importantes dans la loi de programmation militaire.
Au micro de France Info ce jeudi premier juin, le ministre des Comptes publics Gabriel Attal a expliqué que la priorité « c'est le désendettement du pays. On ne peut pas se le permettre [un endettement massif pour financer la transition écologique] ». Du côté de l'exécutif, « le discours est de flécher l'épargne vers la transition », rappelle Xavier Ragot. « Mais j'attends de voir les ordres de grandeur. Le gouvernement doit formuler des propositions plus claires. La critique [sur le rapport Pisani Ferry] sont faciles. Les propositions sont plus délicates ». Pendant ce temps, le réchauffement climatique avance à grand pas.