La crise du Covid, en tant que révélatrice, met-elle aussi en lumière une vision partielle de l'indice des prix publié par l'Insee ? Alors que les restrictions liées à la pandémie ont entrainé une perte de revenus de 11 milliards d'euros pour les ménages et les entreprises indépendantes, selon un rapport de l'Observatoire Français des Conjonctures Économiques, l'impact sur le porte-monnaie des foyers a probablement été plus important qu'envisagé. C'est ce que révèle une étude publiée vendredi par la Banque de France qui constate que l'augmentation des prix à la consommation durant les périodes de confinement du printemps et de l'automne 2020 a été plus forte que celle mesurée par l'indice des prix de l'Insee.
Si, pendant le confinement, la consommation finale des ménages s'est réduite de l'ordre 30%, selon l'Observatoire, les prix sur les produits alimentaires - en demande accrue avec la fermeture des restaurants - ne se sont, eux, pas relâchés. Bien au contraire. Le poids de l'alimentation dans la consommation a ainsi atteint 33% en avril, selon la Banque centrale. Or, selon l'Insee, cette part était de 18% dans son indice des prix en France.
Les économistes ont noté cette différence en modifiant le panier de référence qui sert à calculer l'inflation en tenant compte des changements rapides intervenus dans la consommation des Français, qui ont notamment plus dépensé pour s'alimenter et moins pour se déplacer.
« C'est complètement aberrant »
De plus, durant les périodes de confinement, les prix alimentaires, surtout des produits frais, ont connu des hausses importantes tandis que ceux des transports ont baissé, notamment à cause de cours du pétrole déprimés.
« L'Insee a fait comme si le confinement n'avait pas existé, c'est complètement aberrant. Le panier de référence de la ménagère est changé annuellement, alors qu'il est évident que la structure de consommation des Français a changé radicalement pendant les confinements. Le budget alimentaire a explosé et en plus avec des prix à la hausse, l'inflation a été bien supérieure », commente à La Tribune l'économiste Philippe Herlin, auteur de « Pouvoir d'achat : le grand mensonge » (2018, Eyrolles), dans lequel il pointe les défauts des méthodes de calcul de l'Institut national des statistiques.
Et d'ajouter : « L'Insee aurait du faire un correctif ».
Vers un nouvel indice des prix ?
Dans le détail, la différence a été la plus importante au mois d'avril, avec une hausse des prix atteignant 1,5% sur un an une fois tenu compte de cette "déformation" de la consommation, contre 0,4% de hausse de l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) publié par l'Insee, soit un écart de 1,1 point de pourcentage.
Durant le mois de novembre, alors que le confinement a moins ralenti l'activité économique qu'en avril, l'écart a été de 0,4 point, selon les chercheurs de la Banque de France.
"Sur l'ensemble de l'année 2020 l'écart entre la mesure alternative et l'inflation publiée est demeuré contenu en moyenne, à 0,2 point de pourcentage", d'après l'étude réalisée par Barbara Catelletti Font, Youssef Ulgazi et Paul Vertier sous la direction d'Erwan Gautier.
En dehors des périodes de confinement, les effets sur les prix des changements dans la consommation des Français ont aussi évolué en 2020, mais nettement moins. En juin et en juillet, l'écart entre l'indice "alternatif" et l'IPCH n'était ainsi que de 0,1 point.
Pour construire leur nouvel indice, les chercheurs ont utilisé des données de cartes bancaires anonymisées.
Ainsi "on a pu reconstituer mois par mois les évolutions de la structure de consommation", mais "c'est moins précis que la structure utilisée pour le calcul de l'indice des prix publié" par l'Insee, ont déclaré les chercheurs à l'AFP.
En 2021, l'écart devrait être moindre car le panier de référence « a été mis à jour à partir des données de consommation observées sur 2020, et reflète les changements observés de la structure de consommation », ont-ils ajouté.
Quid d'un nouvel indice des prix après la crise Covid ?
« Cela révèle en tout cas qu'il y a des défauts. De la même manière, l'immobilier est sous-estimé, à 6% seulement dans le panier de la ménagère, selon l'Insee. Alors que c'est plutôt de l'ordre de 20%. Cela contribue à minorer l'inflation », affirme Philippe Herlin.
« Nous devons avoir un regard plus critique sur le calcul de l'inflation. Il faut faire en sorte que l'Insee soit en discussion avec d'autres organismes statistiques, telle la Banque de France », conclut-il.
(Avec AFP)