Une nouvelle arme contre la fraude au détachement des salariés étrangers

Une nouveau décret vient renforcer la responsabilité solidaire entre les différentes entreprises intervenant dans la chaîne du détachement de salariés étrangers en France. Elles seront considérées comme co-responsables en cas de non respect de certaines règles du droit du travail.
Jean-Christophe Chanut
Si l'inspecteur du travail constate que l'employeur de salariés détachés n'a pas respecté le Smic ou les minima conventionnels, le maître d'ouvrage pourra être tenu solidairement responsable du paiement de ces salaires.

Et un texte de plus pour tenter de lutter contre le fléau de la fraude au détachement des salariés étrangers. De fait, un décret relatif aux obligations des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre dans le cadre de la réalisation de prestations de services internationales par des salariés détachés vient d'être publié. Il met ainsi « en musique » une disposition prévue par la loi Macron de l'été 2015 qui tend ainsi à renforcer la responsabilité solidaire entre les différentes entreprises intervenant dans la « chaîne » du détachement.


220.000 à 300.000 salariés étrangers détachés illégalement

La fraude au détachement des salariés étrangers est une véritable plaie. Ce sujet rend folles les entreprises, notamment dans le BTP, tant le phénomène prend de l'ampleur malgré un arsenal législatif sans cesse renforcé. Le fléau est de fait très consistant. Un rapport du Sénat de 2013 estimait qu'entre 220.000 à 300.000 travailleurs seraient détachés illégalement en France. Mais le travail détaché c'est quoi ?


Une directive européenne de 1996 - que la France et d'autres pays européens souhaitent totalement revoir - prévoit qu'une entreprise peut envoyer provisoirement des salariés dans un autre pays de l'Union européenne (UE), à condition d'appliquer certaines règles du pays d'accueil (salaires, conditions de travail). Problème : pendant une durée de deux ans, ce sont les règles de protection sociale du pays d'origine qui peuvent continuer de s'appliquer.


Résultat, ces salariés et leurs employeurs n'ont à acquitter aucune cotisation sociale à la Sécurité sociale française, ce qui peut conduire à des situations de "dumping social" de moins en moins acceptées par les entreprises... et par les salariés français en ces périodes de faible croissance.
Déjà, en 2013, Michel Sapin, alors ministre du Travail, avait réussi à faire bouger les lignes en faisant adopter une "directive d'application" de la directive de 1996, qui permettait à chaque Etat membres d'exiger les documents de son choix auprès d'une entreprise étrangère qui souhaite détacher des salariés dans un pays d'accueil. Surtout, elle crée une responsabilité solidaire entre donneurs d'ordre et sous-traitants dans le secteur de la construction en cas de fraude au détachement. Une mesure qui a été précisée quelques mois plus tard, en juillet 2014, dans une « loi Savary » qui tenait à éviter au donneur d'ordre de se « défausser » sur le sous-traitant.
Concrètement, par exemple, en cas de fraude, un donneur d'ordre dans le bâtiment sera obligé de payer les salaires (ou compléments de salaires) ainsi que les cotisations sociales non payées par des sous-traitants employant frauduleusement des détachés.

Une obligation pour le donneur d'ordre de payer les salaires

 Le nouveau décret, lui, concerne tous les secteurs. Désormais, si un employeur établi à l'étranger n'a pas réalisé la déclaration de détachement rendue obligatoire par le code du Travail français pour chaque salarié détaché avant le début de sa prestation sur le territoire français, c'est le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre qui doit y procéder. Il a alors quarante-huit heures pour réaliser une déclaration subsidiaire. S'il n'effectue pas cette déclaration, il sera passible d'une amende pouvant aller jusqu'à 2.000 euros par salarié détaché. Et le plafond de l'amende pourra atteindre un total de 500.000 euros pour l'ensemble des salariés concernés.
Pour le ministère du Travail, l'existence même de la déclaration subsidiaire constituera un signal d'alerte pour les services de contrôle qui seront ainsi dans le même temps avertis du fait que l'employeur n'a pas rempli son obligation de déclaration de détachement. L'efficacité des contrôles devrait donc en être donc grandement renforcée.... Sauf que l'inspection du travail manque de moyens et d'effectifs pour mener ces contrôles.

Le décret prévoit aussi une responsabilité du maître d'ouvrage et du donneur d'ordre accrue en matière de rémunération. Concrètement, si l'inspecteur du travail constate que l'employeur de salariés détachés n'a pas respecté le Smic ou les minima conventionnels, il appartiendra au maître d'ouvrage ou au donneur d'ordre d'obtenir de l'employeur une régularisation de la situation. Si le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre ne parvient pas à obtenir cette régularisation dans un délai de sept jours, il aura le choix entre cesser sa relation contractuelle avec son sous-traitant ou être tenu solidairement responsable du paiement de ces salaires.
Reste qu'il y a encore beaucoup à faire pour lutter contre le détachement illégal et l'opposition des pays de l'Est de l'Europe nuit à la réforme en profondeur souhaitée de la directive fondatrice de 1996.



Jean-Christophe Chanut
Commentaires 6
à écrit le 09/02/2016 à 9:07
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Et pourtant ce sont aussi les salariés français détachés en France qui sont visés par les contrôles (j'en suis témoin). Avec un salaire bien plus élevé qu'en France, des impôts sur le revenus plus élevés réglés en France, des cotisations et rembourse...

à écrit le 20/01/2016 à 18:54
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Au moins 400 000 salariés détachés .....un grand nombre sont payés au lance-pierre par des grands groupes du BTP par le truchement de sous-traitants...la fin de cette mascarade et de ce spectacle affligeant c'est pour quand svp ?

à écrit le 20/01/2016 à 18:38
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"si l'inspecteur du travail constate que l'employeur de salariés détachés n'a pas respecté le Smic ou les minima conventionnels" Quelques chiffres :Le rapport sur l’activité de l’inspection du travail en France vient de paraître. La Direction géné...

le 20/01/2016 à 22:32
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Vous avez parfaitement raison, il n'y a pas assez d'inspecteurs du travail, faute de moyens, pour assurer que tout le monde respectent les règles de façon à assurer une saine concurrence. Mais, alors il ne faut pas grogner contre le nombre trop élev...

le 21/01/2016 à 6:47
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Certes les inspecteurs du travail ne sont peut être pas assez nombreux. Néanmoins, il y a des gisements de productivité importants afin de leur permettre de se concentrer sur leur raison d'être : servir l'intérêt de toutes les parties prenantes de l'...

à écrit le 20/01/2016 à 17:34
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L'EPR de Flamanville a été construit en grande partie par des travailleurs détachés, on sait dans quelles conditions et le nombre de morts qui en a résulté... On sait les 6 années de retard, et le surcoût de 6 milliards; qui sont allés dans les poche...

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