À Miami, les Latinos dans les bras de Trump

En Floride, où se tiennent les primaires mardi, la peur du socialisme des exilés rend populaire l’ex-président.
Des supporters de l’ancien président réunis pour l’un de ses meetings, à Miami, le 8 novembre 2023.
Des supporters de l’ancien président réunis pour l’un de ses meetings, à Miami, le 8 novembre 2023. (Crédits : © LTD / Michele Eve Sandberg//Sipa USA via reuters)

Au cimetière de woodlawn park, lézards et couleuvres serpentent entre les arbres tropicaux et les pierres centenaires. Les tombes reposent à l'ombre de drapeaux américains et cubains qui flottent d'un même rythme dans la brise moite. Sur les épitaphes, l'espagnol épouse l'anglais. Ici sommeillent des présidents cubains, nicaraguayens, des premières dames latino-américaines, des vétérans du débarquement de la baie des Cochons... Et autant d'autres exilés, morts en rêvant de rentrer un jour chez eux. « Miami est une collection des échecs de la politique étrangère américaine », explique Eduardo Gamarra, politologue à l'université internationale de Floride.

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Le gouverneur Ron DeSantis a fait de l'« État des fleurs » un laboratoire de sa guerre culturelle contre le wokisme

La plus grosse ville du Sunshine State est aussi un bouillon de cultures : en 1959, la fin de la révolution menée par Fidel Castro a provoqué un important départ de Cubains vers la Floride, et particulièrement vers Miami. Ils ont été rejoints dans les décennies suivantes par des Colombiens, des Dominicains, des Vénézuéliens. L'irrépressible peur du socialismo autoritaire, qui en a jeté plus d'un sur les routes, est un souvenir partagé dont l'évocation irrite des cicatrices mal refermées. Et rassemble efficacement les anciens exilés dans le giron du Grand Old Party (GOP, surnom du Parti conservateur).

Depuis 2016 et l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, la Floride a entamé sa mue vers le rouge républicain. Réélu pour quatre ans en 2022, le gouverneur Ron DeSantis a fait de l'« État des fleurs » un laboratoire de sa guerre culturelle contre le wokisme, ce mot fourre-tout brandi pour disqualifier les porteurs de luttes progressistes. Dans le sud de la péninsule, la plus hispanique des cités floridiennes n'est plus l'irréductible bastion démocrate qu'elle était et tangue vers la droite. Les Latinos, qui comptent pour 58 % de son électorat, représentent 72 % des votants républicains du comté de Miami-Dade. Au 1,4 million de votants cubains, majoritairement conservateurs, s'ajoutent 250 000 électeurs colombiens, 120 000 nicaraguayens, ou encore 75 000 vénézuéliens. Une manne potentielle considérable, pour mieux faire rougir Miami.

Un œil vers l'étranger

Il suffit à Fabio Andrade, stoïque grand-père colombien, d'ouvrir sa voiture pour dévoiler ses préférences politiques. L'habitacle déborde de casquettes aux couleurs du GOP et de tee-shirts à l'effigie de la conservatrice Maria Elvira Salazar, la congresswoman locale. « Les Latinos s'accordent avec les républicains sur un contrôle de l'immigration légale et le désir du retour d'une économie forte, résumet-il, lèvres pincées. De l'autre côté, les démocrates ouvrent les portes à toutes sortes de bizarreries LGBT et détruisent les valeurs familiales auxquelles nous croyons. » Le directeur des Republican Amigos, un groupe voué à donner de l'énergie à la base du parti dans le sud de la Floride, a le bras long. Autour d'un cafecito ou lors d'une fête des voisins, il prend par la main les prétendants conservateurs et les introduit aux électeurs hispaniques pour draguer leur vote.

Si les Latinos de Miami ne peuvent être réduits à un unique bloc, la politique étrangère des États-Unis joue un rôle déterminant dans leurs préférences électorales. Prenant le cas des Vénézuéliens, le politologue Eduardo Gamarra explique que « leurs deux premiers critères de vote sont la politique de Washington à l'égard de Caracas et la situation actuelle du Venezuela ». Un adoucissement des sanctions, acté par Biden alors que l'autocrate Nicolás Maduro se prépare à rafler un troisième mandat contesté, électrise les compatriotes expatriés.

Le vote républicain des Latinos n'échappe pas aux contradictions. Certes, le parti « a été constant dans son opposition aux gouvernements cubains et vénézuéliens », rappelle Guillermo Grenier, professeur de sociologie à l'université de Floride. Mais l'autoritarisme desdits gouvernements est justement ce qui a poussé des millions de familles à quitter leurs pays d'origine. L'intérêt marqué pour Donald Trump dans les différentes communautés hispaniques de Miami semble bénéficier d'un aveuglement sélectif.

Qu'importe qu'« el catire » (l'argot vénézuélien pour « le blond ») ait accueilli Viktor Orbán dans sa résidence voisine de Mar-a-Lago, qu'il qualifie Xi Jinping d'homme « brillant » et Kim Jong-un de « type correct »... « N'écoutons pas ce que Donald Trump dit mais regardons ce qu'il a accompli », évacue Fabio Andrade.

Être progressiste à Miami revient à être socialiste, et donc à être complice des dictateurs Chávez, Castro...

Eduardo Gamarra, politologue

La faillite des démocrates

Le Parti démocrate, lui, périclite. « Il a choisi d'être faible en Floride car cela lui coûte trop d'argent et il a concentré ses ressources vers d'autres États », retrace Guillermo Grenier. À Miami-Dade, la note est salée : « Depuis la dernière présidentielle, les démocrates ont perdu 50 000 voix chez les hispaniques », relève Eduardo Gamarra. Ces électeurs ont rejoint la nébuleuse grandissante des non-affiliés qui, le jour des élections, ont tendance à pencher davantage pour le vote républicain. « La Floride est un État plus facile à perdre qu'à gagner », affirme, en connaissance de cause, Ana Sofía Peláez. La cofondatrice du Miami Freedom Project, une organisation communautaire de gauche, multiplie les campagnes de communication et rapporte un grand besoin de « faire de l'éducation civique » pour récupérer les électeurs délaissés par les démocrates.

D'autant que la linguistique ne joue pas en leur faveur. Les républicains se pourlèchent les babines en entendant Biden et ses pairs se faire les chantres du progressisme. Car progresismo rime, dans la tête des électeurs latinos, avec Chávez, Castro, Morales, Ortega. « Être progressiste à Miami revient à être socialiste, et donc à être un complice de ces dictateurs », étaie Eduardo Gamarra. Alors que l'élection vénézuélienne de cet été risque d'être frauduleuse, le parallèle avec le 6 janvier et la contestation de la dernière présidentielle par Donald Trump est vite arrivé.

Commentaire 1
à écrit le 18/03/2024 à 7:54
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"Je ne m'adresse pas aux gens intelligents dans mes discours, des gens intelligents il y en a combien, 6. 7%, 3 pour moi 3 contre moi ça ne change rien. Non je parle aux c.. et là j'amasse les voix à fond !" Georges Frêche, politicien français tandis...

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