Taylor Swift : l’idole qui inquiète le camp Trump

La chanteuse Taylor Swift, qui compte 281 millions de fans sur Instagram, va-t-elle soutenir Joe Biden comme en 2020 ? La menace d’un vote jeune anti-Trump fait trembler les partisans de l’ancien président républicain.
Concert de Taylor Swift à rio de Janeiro (Brésil) le 20 novembre.
Concert de Taylor Swift à rio de Janeiro (Brésil) le 20 novembre. (Crédits : © Backgrid USA / Bestimage)

Les débats autour de la présidentielle américaine sont entrés en collision avec une nouvelle comète. Une super-étoile. Une star planétaire qui a commencé à briller au Tennessee en 2006 avec un premier album country, avant de conquérir la pop et le reste du monde. Élue personnalité de l'année par le magazine Time en décembre 2023, Taylor Swift, 34 ans, a profité de la cérémonie des Grammy Awards le 4 février, où elle a été couronnée artiste la plus récompensée pour ses albums (du jamais-vu), pour annoncer la sortie d'un prochain disque. Ovation gigantesque, réseaux sociaux en extase, la chanteuse à frange blonde maîtrise son marketing au poil.

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Peut-être est-ce cela qui fait peur à une certaine droite conspirationniste en manque de carburant. Depuis plusieurs semaines, un vent de nervosité souffle sur les plateaux télévisés conservateurs : Taylor Swift serait au cœur d'un grand complot ayant pour but de faire réélire Joe Biden en novembre prochain, et elle attendrait le moment opportun pour annoncer son soutien officiel au démocrate. Un événement hypermédiatisé, comme la cérémonie du Super Bowl de ce soir, par exemple. Travis Kelce, joueur de football américain et compagnon de la chanteuse, sera justement sur le terrain (lire ci-contre). Il suffirait que son équipe gagne le match, que Taylor Swift le rejoigne sur scène, qu'il lui demande sa main... et les yeux du monde entier seraient enfin braqués sur eux. De quoi garantir le succès de cette « opération de guerre psychologique » crainte par une frange conspirationniste de la droite américaine.

Un « pouvoir d'influence astronomique »

Vivek Ramaswamy, candidat déchu de la primaire républicaine, a d'ailleurs relayé cette théorie sur laquelle Fox News et consorts planchent depuis plusieurs semaines, quitte à instiller, sinon une réelle crédulité à l'égard de cette histoire, au moins un doute dans les esprits. Et la machine Maga (Make America Great Again) s'est remise en marche. De hauts dignitaires trumpistes se sont lancés dans une « guerre sainte » contre la mégastar, rapportait Rolling Stone fin janvier.

Il faut dire que la force de frappe de Taylor Swift est considérable. Si elle était un pays, ses seules ventes de billets feraient d'elle la 199e plus grande économie du monde, explique la revue Pollstar. Ses shows créent des emplois, et les dates de The Eras Tour, son dernier pèlerinage musical, ont attiré en moyenne 54 000 fans chaque soir. Cette tournée, la plus lucrative de l'Histoire, a déjà encouragé 4,6 milliards de dollars (4,28 milliards d'euros) de dépenses favorables à l'économie américaine, selon un rapport de la Bank of America. Non contente d'avoir provoqué un tremblement de terre dû à la liesse de ses supporters lors d'un concert à Seattle en juillet, la chanteuse est aussi une puissante négociatrice qui a su faire frissonner Apple et Spotify, les contraignant à revaloriser les droits d'auteur.

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Taylor Swift, qui affiche plus de 281 millions d'abonnés sur Instagram, bénéficie - ou pâtit - d'une couverture médiatique sans pareille et possède un « pouvoir d'influence astronomique », pointe David Allan. Le codirecteur du département d'industrie musicale de l'université Saint-Joseph (Philadelphie) a rédigé une étude clé sur la manière dont Taylor Swift gère la commercialisation de son image. Il rappelle que la chanteuse a contribué à faire du maillot de son petit ami le numéro un des ventes, rien que pour l'avoir arboré en public. « Mais si porter un tee-shirt est une chose, voter en est une autre », tempère le professeur Allan. Une enquête du sondeur Redfield & Wilton Strategies, publiée fin janvier, établit pourtant que « 18 % des électeurs se disent susceptibles de voter pour un candidat soutenu par Swift ». La pop star parle, ses adeptes écoutent.

Les « Swifties » - du nom de ses adorateurs - pourraient-ils avoir un impact sur la prochaine élection présidentielle ? Le Pew Research Center, think tank non partisan, notait en juillet 2022 que « près de 68 % des électeurs de moins de 30 ans ont soutenu les démocrates » cette année-là. Or les jeunes sont surreprésentés dans la démographie Swift. Ils constituent ainsi une manne non négligeable de voix potentielles, dans une bataille électorale qui s'annonce pour l'instant serrée.

Mais les partitions politiques sont fluctuantes, et Joe Biden n'est plus assuré du soutien décisif de certains blocs d'électeurs comme en 2020, dont les jeunes. « Les républicains trumpistes, eux, iront voter en novembre », avance le docteur en science politique Randall Miller, qui co-anime avec David Allan un cours sur l'influence de Taylor Swift. « La question qui se pose est : y aura-t-il assez de monde en face ? » C'est là que la trentenaire préférée des moins de 30 ans entre en scène : « Elle a la capacité de remobiliser les jeunes », estime Randall Miller, qui précise que « la participation démocratique est l'un des combats de Taylor Swift ». Après qu'elle a encouragé ses fans à s'inscrire sur les listes électorales en vue de la prochaine présidentielle, le site Vote. org, chargé de ces enregistrements, a recensé 35 000 nouveaux votants potentiels en une journée l'automne dernier. Même si une inscription ne garantit pas un déplacement au bureau de vote le jour J.

Elle défend les droits des femmes et des personnes LGBTQ

Le lundi 10 mars 2003, les Chicks, un groupe de country texan, disaient sur scène leur honte d'être originaires du même État que le président Bush, dont elles rejetaient la politique avant l'invasion imminente de l'Irak. Menaces de mort, annulation de concerts... « Elles se sont retrouvées du mauvais côté par rapport à la sensibilité idéologique de leur public et elles ont perdu leurs fans », narre Randall Miller. Et le professeur Allan d'ajouter : « C'est peut-être une des raisons pour lesquelles Taylor Swift a toujours fait très attention à ce qu'elle laissait transparaître de ses opinions. »

Le 7 octobre 2018, le téléphone de Lisa Quigley se met soudainement à vibrer nonstop. La cheffe de cabinet du démocrate de Nashville Jim Cooper, candidat à sa réélection pour la Chambre des représentants, n'en croit pas ses yeux : « Taylor Swift venait d'annoncer publiquement son soutien à mon patron », raconte la conseillère politique à La Tribune Dimanche. Ce jour-là, la chanteuse adoube aussi un autre candidat démocrate du Tennessee, en campagne pour le Sénat, Phil Bredesen. Le premier est élu, pas le second. Taylor Swift n'avait jamais ouvertement pris position auparavant, cette incartade marque une rupture.

« Parce qu'elle vient du country, les gens supposaient naturellement qu'elle était républicaine, expose Lauren Lipman, une Swiftie professionnelle qui produit quotidiennement du contenu lié à son idole. Or, à mesure qu'elle grandissait, ses opinions personnelles se sont affirmées et ont évolué. » Il est loin le temps où l'enfant de l'industrie musicale s'efforçait de rester dans le sérail. Aujourd'hui, la superstar défend ouvertement les causes qui lui tiennent à cœur, à commencer par les droits des femmes et des personnes LGBTQ. « Je veux à la fois porter du rose et dire ce que je pense de la politique », confiait « Miss Americana » dans un documentaire du même nom censé retracer l'éveil de ses convictions. Exit l'image de la bonne copine consensuelle dont Taylor Swift a toujours fait son miel ?

La théorie du complot dépeignant Taylor Swift en agent du Pentagone à la solde des démocrates fait grincer les dents de ses fans, de gauche comme de droite. Alex Clark, présentatrice d'un podcast culturel conservateur, lève les yeux au ciel : « J'aimais beaucoup Ramaswamy lors-qu'il s'est présenté à la primaire, mais le fait qu'il adhère à cette théorie d'opération de guerre psychologique... J'ai d'abord cru à une blague ! » L'animatrice est « frustrée » que « cette conspiration stupide éloigne les électeurs des vrais sujets ». Pire, cela pourrait « énerver Taylor à tel point qu'elle décide de soutenir un candidat et en fasse plus pour les démocrates qu'elle ne l'a jamais fait », maugrée Alex Clark.

Une bouffée d'air bienvenue pour remobiliser les électeurs

Cette cabale a pris racine alors que la campagne présidentielle est en peine. Les primaires semblent jouées d'avance, et le pays soupire à l'idée d'un nouveau match Biden-Trump. Au lieu d'une confrontation de projets d'avenir, l'élection s'annonce comme un référendum visant à évincer l'un des deux candidats. Aussi baroque que l'idée paraisse d'abord, certains stratèges espèrent que l'« effet Taylor Swift » apportera une bouffée d'air bienvenue et remobilisera les électeurs.

En 2020, la chanteuse du Tennessee avait voté pour Joe Biden. Le président candidat espère une nouvelle dédicace à l'automne prochain, mais « Taylor Swift n'est pas prête à lui apporter son soutien maintenant, étant donné l'impopularité de Biden », souligne Randall Miller. À droite, l'ex-numéro trois du parti républicain, la très anti-trumpiste Liz Cheney, fait de Taylor Swift un « trésor national ». Nikki Haley, la dernière candidate encore en lice contre Donald Trump pour incarner le vote républicain, n'a pas non plus compris cette « obsession » qui pousse les conspirationnistes à saquer la pop star, et tente de se rassurer en affirmant que « personne ne sait encore qui elle soutiendra ». Qu'importe l'appel des sirènes, Taylor Swift ne se risquera probablement pas dans l'arène de sitôt. « Elle sait aussi qu'il vaut mieux soutenir un joueur qu'une équipe, un politicien plutôt qu'un parti », résume David Allan.

Pour l'heure, la Swiftosphère a d'autres chats à fouetter. Leur déesse a donné un concert à Tokyo hier soir. Pourra-t-elle bénéficier d'une nuit complète de repos, survoler neuf fuseaux horaires et arriver à Las Vegas avant le coup d'envoi du Super Bowl, à 15 h 30 ? Il ne faudrait pas que Taylor Swift rate la performance de son amant. Il y va de la stabilité de son couple, encore plus que de celle de l'Amérique.

La santé mentale de Biden en question

Une fausse bienveillance peut nuire bien plus qu'une simple accusation. En prétendant qu'un jury accorderait le bénéfice du doute à « un homme âgé sympathique, bien intentionné avec une mauvaise mémoire », le procureur spécial Robert Hur savait ce qu'il écrivait à propos de Joe Biden. Dans son rapport de 388 pages, publié jeudi, consacré à l'enquête sur les documents confidentiels conservés à la fin de sa vice-présidence de Barack Obama en 2017, l'ancien avocat républicain, nommé par Donald Trump, a conclu que Biden ne serait pas poursuivi. Informations « fausses », « gratuites », « motivées par des intentions politiques »... Depuis trois jours, les démocrates, furieux, tentent de limiter les retombées catastrophiques de cette petite phrase. Elle alimente l'une des principales inquiétudes de leur camp. Âgé de 81 ans, Joe Biden est le plus vieux président américain en exercice. Ses bourdes ne datent pas de cette campagne, et d'autres présidents - Trump entre autres - en ont fait avant lui. Mais l'homme n'ayant jamais réussi à s'imposer comme une forte personnalité, ses maladresses sont aujourd'hui associées à son âge et à sa démarche parfois mal assurée. La décision de renoncer à donner la traditionnelle interview très médiatisée lors du Super Bowl la nuit prochaine est perçue comme un aveu de faiblesse par certains observateurs. G.L.C.

Commentaires 2
à écrit le 12/02/2024 à 10:46
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Comme si une escorte musicale, aussi séduisante que non représentative de la femme américaine en proie à l'obésité du fait de la consommation à outrance de junk-food, allait radicalement changer la campagne d'un candidat à la présidentielle améric...

à écrit le 11/02/2024 à 7:58
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Non bien au contraire cela ne pourra que conforter la sémantique de Trump.

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