Bataille sur le marché des semi-conducteurs : la Chine frappe un grand coup en bannissant Micron

L’organisme chinois chargé de la cybersécurité dans le pays a épinglé, dimanche, le géant américain des puces mémoires Micron, l’accusant de faire courir des risques pour la sécurité des réseaux chinois. Une décision qui s’avère, en réalité, très politique, dans un contexte de guerre économique avec les Etats-Unis et qui annonce une volonté d’indépendance de Pékin sur le segment des semi-conducteurs.
Maxime Heuze
L'épinglage de Micron en Chine est un symbole de la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis
L'épinglage de Micron en Chine est un symbole de la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis (Crédits : BRIAN SNYDER)

Bien que Joe Biden estime que les relations entre Washington et Pékin devraient connaître un « dégel très prochainement », les tensions entre les deux puissances semblent être à leur paroxysme. Et le secteur des semi-conducteurs, véritables cerveaux de nos machines, en fait les frais.

Dimanche, en Chine, l'organisme chargé de la cybersécurité a annoncé qu'une enquête avait mis à jour « des problèmes potentiels pour la sécurité des réseaux relativement sérieux » provenant des semi-conducteurs du fabricant américain Micron et a appelé les entreprises travaillant avec des données sensibles à arrêter d'acheter ses puces. Pour l'instant, cette interdiction se cantonne aux opérateurs d'infrastructures dites « sensibles » - autrement dit à toutes les grandes entreprises chinoises -. Mais elle pourrait avoir un impact beaucoup plus large. « D'autres clients nationaux peuvent également considérer cela comme un signal politique pour arrêter d'acheter, voire remplacer, leurs produits », a déclaré au Wall Street Journal, Lester Ross, avocat basé à Pékin chez WilmerHale, qui conseille les entreprises américaines en Chine.

Au final, Micron risque de perdre gros étant donné qu'il réalise 10,8% de son chiffre d'affaires (trois milliards d'euros) en Chine continentale et 5% a Hong-Kong.

Une contre-mesure aux sanctions américaines.

Cette décision aux lourdes conséquences « est autant politique et géopolitique qu'économique », affirme Sylvain Bersinger, consultant chez Astares, spécialiste de l'économie chinoise. Cette interdiction brutale, qui devrait nuire à l'Américain Micron, est en réalité une réponse à l'annonce de Joe Biden de limiter les exportations de semi-conducteurs très complexes américains vers la Chine. « Le gouvernement veut montrer aux Américains qu'il ne reste pas les bras croisés face aux sanctions », explique le consultant. Le timing est d'ailleurs parfaitement trouvé puisque cette annonce chinoise a été publiée dimanche 21 mai, juste après la clôture du sommet du G7 dont les membres se sont montrés très critiques envers Pékin.

Économiquement, cette annonce n'augure cependant rien de bon pour la Chine, à court terme. Les semi-conducteurs, se déclinent en différentes catégories (processeurs, mémoires, capteurs, etc) plus ou moins complexes à fabriquer. Et rien qu'en 2021, l'empire du Milieu a importé pour plus de 430 milliards de dollars de semi-conducteurs, soit une somme plus importante que celle qu'elle a accordé au pétrole. Dans ce vaste marché qui se décline en différentes catégories (processeurs, mémoires, capteurs, etc) Micron fait office de mastodonte spécialisé dans la mémoire, un composant peu complexe à confectionner. L'Américain est le quatrième plus gros fabricant mondial de semi-conducteurs et alimente 20 à 25 % du marché des mémoires DRAM, très présentes dans nos ordinateurs et autres téléphones. « A court terme, la Chine ne peut pas remplacer Micron par ses entreprises nationales », prévient d'ailleurs Chantal Néri, consultante indépendante spécialisée en technologie.

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Pour compenser un éventuel manque des produits Micron, la Chine devrait faire appel à des entreprises coréennes (Samsung Electronics, SKhinix) ou japonaises qui regorgent de ces composants moyenne gamme. Une alternative qui reste néanmoins rattachée à la condition que ces deux pays, proches des Etats-Unis, ne lui ferment pas leurs marchés dans une optique de guerre économique. Se couper de ce géant américain reste donc un choix économiquement risqué pour Pékin. Mais Sylvain Bersinger l'assure : « La Chine est prête à prendre des décisions qui pourraient nuire à sa croissance pour des raisons géopolitiques. »

La Chine souhaite un grand bond en avant dans la production de semi-conducteurs

A moyen terme, l'Empire du milieu vise un objectif clair : être autonome sur le segment des mémoires. « Avec cette décision, Pékin montre une volonté de forcer les producteurs chinois à investir dans ce type de puces. Tant que les entreprises pouvaient acheter des semi-conducteurs à l'étranger, elles avaient moins besoin d'investir dans ce secteur, mais maintenant elles vont être obligées de le faire », souligne Sylvain Bersinger. Pékin, aujourd'hui très largement dépendant de l'étranger, a déjà dépensé des milliards de dollars ces dix dernières années pour sa propre industrie de semi-conducteurs, afin de ne plus dépendre des importations étrangères pour ses puces électroniques. Et le gouvernement souhaite à présent mettre les bouchées doubles. A défaut de pouvoir créer des processeurs et autres semi-conducteurs très complexes, « la Chine possède la technologie et les entreprises pour concurrencer Micron [car les mémoires ne sont pas très complexes à confectionner, ndlr]. Immédiatement, ils n'ont pas la capacité de remplacer l'Américain sur le marché des mémoires mais ils pourront construire des usines et devenir indépendant dans quelques années », explique Stéphane Martinez, président de l'Alliance des Composants et Systèmes pour l'Industrie Electronique (Acsiel).

De grands groupes chinois comme CMXT ou YMTC, Oppo ou Huawei commencent déjà à émerger, en concurrence frontale avec des groupes étrangers comme Micron « les entreprises de production de mémoire du pays vont sans doute bénéficier de cette décision du gouvernement en prenant une part du marché aujourd'hui détenu par Micron » anticipe Estelle Prin, directrice observatoire européen des semi-conducteurs. Pour se mettre à niveau et devenir autonome, la Chine devra néanmoins être capable de construire de nouvelles fonderies sur son sol. Un pari loin d'être gagné étant donné que les Etats-Unis interdisent aux constructeurs de machines de confection de semi-conducteurs de vendre certains équipements de pointe à la Chine.

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La bataille pour la guerre des puces semble donc être montée encore d'un cran et sera certainement évoquée par Wang Wentao, le ministre chinois du Commerce qui doit se rendre à Washington cette semaine.

Maxime Heuze
Commentaires 5
à écrit le 24/05/2023 à 17:07
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Voici venir le temps où les faibles d'hier qui subissaient les sanctions des USA et de leurs alliés européens, peuvent maintenant rendre coup pour coup !!! Il est donc temps de créer des dialogues avant d'arriver aux conflits sinon personne n'en sor...

à écrit le 23/05/2023 à 9:48
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Ce n'est pas un grand coup : c'est la réponse au bannissement de HuaWei, le jour où on peut fabriquer soi-même ce que fabrique Micron. Le temps ne compte pas, pour les Chinois. Ce n'est pas comme par chez nous où on vit dans l'instant tellement nos ...

à écrit le 22/05/2023 à 21:12
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Bonjour, que ce soit les américains ou les chinois, dans le jeux des hypocrite, ils sont très très forts... Une grande partie des décisions sont dans tous les cas politique... Dire le contraire serai ne pas vouloir voir la vérité...

à écrit le 22/05/2023 à 19:39
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La Chine prend les devants elle sait qu'elle va se retrouver rapidement sous sanction, elle préfère accuser Micron et indirectement les US d'atteinte à leur sécurité avant que les interdictions ne tombent. Tout cela sur fond de guerre en Ukraine, ...

le 23/05/2023 à 6:31
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La clairvoyance de Valbel me laisse sans voix.

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