Covid-19 : des répercussions profondes sur l'économie mondiale

Récession record, panique sur les marchés boursiers, risques bancaires, chamboulement des chaînes de valeur planétaires... la pandémie a bouleversé en quelques mois les cadres de l'économie mondiale. Le risque "d'un désastre économique" plane au-dessus des États selon le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII).
Grégoire Normand
Depuis le début de la crise, les économistes bouleversent leurs méthodes et leurs modèles pour tenter de comprendre toutes les conséquences économiques et sociales de cette pandémie planétaire aux multiples dimensions.
Depuis le début de la crise, les économistes bouleversent leurs méthodes et leurs modèles pour tenter de comprendre toutes les conséquences économiques et sociales de cette pandémie planétaire aux multiples dimensions. (Crédits : Reuters)

La diffusion du coronavirus sur l'ensemble des continents fait disjoncter l'économie mondiale. La plupart des institutions internationales ne cessent d'assombrir leurs perspectives économiques depuis le début du confinement, annonçant une récession sans précédent depuis le krach boursier de 1929.

Lors d'une visioconférence organisée vendredi 15 mai, les économistes du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) ont de nouveau tiré la sonnette d'alarme.

"Il s'agit d'une crise majeure, les superlatifs ne manquent pas. Les conséquences seront profondes pour l'économie mondiale. C'est une période inédite en temps de paix depuis les années 30. Les prévisions des institutions économiques témoignent de cette torpeur. Le choc économique touche tout le monde mais de manière inégale. C'est un choc asymétrique [...] Il existe un vrai risque politique avec cette épidémie. J'ai été frappé par les sondages sur le sentiment des Italiens à l'égard de l'Union européenne" a expliqué Sébastien Jean, directeur du centre de recherches.

Depuis le début de la crise, les économistes bouleversent leurs méthodes et leurs modèles pour tenter de comprendre toutes les conséquences économiques et sociales de cette pandémie planétaire aux multiples dimensions.

Le spectre du "désastre"

Il est encore complexe à ce stade de mesurer l'ampleur de la crise et les répercussions de cette maladie infectieuse sur l'économie internationale. Beaucoup d'économistes s'attendent à une crise historique et redoutent que la récession se transforme en dépression semblable à la crise des années 30.

L'économiste du CEPII Fabien Tripier évoque la notion de "désastre", parfois difficile à quantifier sur le plan macroéconomique. Il a évoqué un recul du PIB de 10% pour qualifier une crise de "désastre", un seuil retenu par l'économiste américain Robert Barro qui a étudié les phénomènes de récession pendant près de deux siècles dans plus de 40 pays. "Le regard historique est important pour comprendre le déroulement des événements [...]. Ce sont des phénomènes rares mais pas négligeables", signale le chercheur. "Le désastre économique est en cours avec le confinement. Il faut éviter que cette crise débouche sur une crise financière" ,ajoute-t-il. L'universitaire a identifié trois principaux risques :

  • Le risque boursier : "Il y a déjà un gros krach. La crise boursière a déjà eu lieu aux États-Unis et en Europe. Sur le plan des marchés boursiers, il y a déjà eu une crise violente".
  • Le risque bancaire : "Les banques ont une position duale dans la crise. Les économies ont besoin d'elles pour affronter la crise et en même temps, elles constituent un facteur de risque. Actuellement, les banques sont mieux capitalisées et mieux régulées qu'en 2008 mais le risque de propagation des conséquences de l'économie réelle sur le secteur bancaire existe. Le risque de transmission du défaut du secteur privé réel au secteur bancaire est bien présent. Il y une augmentation inquiétante du risque systémique".

Lire aussi : "On ne va pas pouvoir éviter une explosion des faillites": les banques européennes se préparent au choc

  • Le risque des dettes souveraines, notamment en zone euro.

Face au risque de désastre, "l'État est assureur en dernier ressort. Il se substitue aux employeurs avec le chômage partiel, aux consommateurs en compensant une partie des pertes du chiffre d'affaires, aux actionnaires en rentrant dans le capital. La question importante est de savoir comment financer toutes ces dépenses publiques pour que l'État joue ce rôle d'assureur en dernier ressort" conclut Fabien Tripier.

La déroute de l'économie européenne

Le plongeon de l'économie européenne s'aggrave de semaine en semaine. Les dernières estimations de la direction statistique de la Commission européenne (Eurostat) publiées vendredi 15 mai signalent que le PIB a baissé de 3,8% au cours du premier trimestre dans la zone euro et de 3,3% dans l'Union européenne. Eurostat informe que c'est le recul le plus important depuis la mise en oeuvre des séries trimestrielles en 1995.

Tous les pays n'ont pas été frappés de la même manière. À ce stade, le tableau communiqué par la Commission n'est pas exhaustif mais il montre déjà de véritables lignes de fracture. Dans les pays du sud de l'Europe, le repli de la croissance est considérable. En France (-5,8%), en Espagne (-5,2%) ou en Italie (-4,7%), l'activité a particulièrement souffert des semaines de confinement sans compter le bilan humain et sanitaire désastreux. Dans l'Europe du Nord (Danemark, -1,9% ; Pays-Bas, -1,7%, Suède ,-0,3%, Allemagne, -2,2%) et Europe centrale (Hongrie, -0,4% ; Bulgarie 0,3%, République Tchèque, -3,6%), les dégâts semblent moins colossaux à première vue, même si ces chiffres sont susceptibles d'être fortement révisés.

Face à cette crise, les États ont multiplié les annonces pour tenter de venir soutenir les entreprises et les ménages. "Les mesures fiscales mises en oeuvre pour absorber ce choc et les plans de relance en préparation vont largement peser sur les dettes publiques (20 points pour la France dans les prévisions économiques optimistes et 40 points dans des prévisions pessimistes). Les économies sont parfois capables de supporter des forts niveaux de dettes publiques. La vraie question est la soutenabilité de la dette. Les investisseurs font-ils assez confiance aux États pour maintenir les taux bas et contrôler le service de la dette ? Sur ce dernier point, la situation de l'Italie, l'Espagne, le Portugal et la Grèce nous inquiète", a déclaré l'économiste Anne-Laure Delatte lors de sa présentation. "Les réactions de la Commission européenne et du parlement ont été assez tardives avec des prêts, des dispositifs de chômage partiel et des engagements de la Banque européenne d'investissement. La stratégie est plutôt orientée pour l'instant sur des prêts plutôt que sur des transferts. Certaines interventions domestiques ont permis de soutenir les économies. On assiste à des situations très hétérogènes. L'Allemagne dépense beaucoup plus que l'Espagne ou l'Italie ou le Portugal" ajoute l'économiste.

Sur le front monétaire, "la réponse de la BCE a été la plus rapide et la plus efficace" selon l'enseignante "avec un couac le 12 mars dans le discours de Christine Lagarde. Le nouveau programme, appelé le PEPP annoncé le 18 mars (pandemic emergency purchase program, qui correspond à une injection de liquidités de 750 milliards) est une petite part de ce qui est mis (Quantitative easing, QE) en place depuis la crise de 2008. C'est un véritable bazooka [...]. La BCE est le pompier de la zone euro et a permis de réduire la tension sur les spread".

Il demeure que les derniers rebondissements concernant la cour constitutionnelle de Karlsruhe en Allemagne sur les décisions de politique monétaire de l'institut de Francfort ne sont pas de nature à rassurer les agents économiques sur l'avenir de la zone euro. "Le 5 mai, la cour constitutionnelle allemande a jeté un pavé dans la mare et remet en question le programme de rachats des titres publics par la BCE. Elle demande par l'intermédiaire du gouvernement allemand que la politique monétaire n'empiète pas sur les compétences particulières des États", explique Anne-Laure Delatte. "Si l'Allemagne devait se retirer de ce programme, on serait dans un scénario catastrophe avec un risque de rupture de la zone euro". Cette affaire ravive les débats relatifs à la primauté du droit communautaire sur le droit national.

> Lire aussi : Arrêt contre la BCE : face à l'offensive des institutions européennes, la Cour suprême allemande persiste et signe

Une réorganisation des chaînes de valeur

La diffusion du virus en Chine a provoqué un chamboulement des chaînes de valeur mondiale. "Dans le monde d'avant, le niveau de mondialisation était extrêmement élevé avec des taux d'ouverture de l'ordre de 60%. Le processus de mondialisation était néanmoins sur un plateau depuis 2008. La Chine est dans un processus de normalisation depuis 2008 et se situe actuellement sur un recentrage de son marché domestique avec une montée en gamme des produits", a expliqué Vincent Vicard. "Ce recentrage a entraîné une stagnation des taux d'ouverture. Le conflit commercial qui a opposé la Chine et les États-Unis depuis plusieurs années n'a pas entraîné une chute drastique des taux d'ouverture", ajoute l'économiste.

Pour beaucoup d'économies développées, "le choc chinois a d'abord constitué un risque d'approvisionnements d'intrants chinois et de rupture dans la production, puis cela est devenu un choc domestique lié au confinement". À l'avenir, les entreprises pourraient revoir leur stratégie d'approvisionnement pour atténuer ces risques. "Les incitations à la réduction des coûts pour les entreprises ne vont pas disparaître. Les risques sur l'approvisionnement vont sans doute être réévalués. Il s'agit sans doute de diversifier les lieux d'approvisionnement mais cela ne correspond pas forcément à une relocalisation". L'économiste estime que "la production en flux tendu par les entreprises pourrait être remise en cause et une constitution des stocks par les États pourrait être mise en avant. On pourrait assister à un renforcement de la régionalisation des chaînes de valeur dans les prochains mois".

Grégoire Normand
Commentaires 2
à écrit le 18/05/2020 à 9:08
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A vous lire, on devrait se jeter du haut d'une falaise pour ne rien voir! La panique vient souvent de rumeur non fondé!

à écrit le 18/05/2020 à 7:16
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Le Covid-19 est le bouc émissaire idéal pour y refourguer tous les problèmes qu'à l'humanité aujourd'hui.

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