Quand le Covid-19 sera devenu une maladie endémique - autrement dit une
pathologie que l'on sait soigner et provoquant peu de morts -, quand la course aux
variants se sera ralentie et que les dangereuses versions feront l'objet d'un vaccin,
sera-t-on enfin débarrassé du cycle pandémie ? Non !, répondent la majorité des
épidémiologistes, car les épidémies sont des risques que l'Humanité a toujours
connu et dont on n'est pas prêts d'être débarrassés.
Le choc provoqué par cette crise Covid-19 vient du fait qu'on a soigneusement oublié les leçons du passé. La pandémie de grippe espagnole due à une souche H1N1 et ses plus de 40 millions de morts dans les années 1920 semblait appartenir à un lointain passé.
Même avec l'épidémie de CoV-1, la grippe H1N1 et la fièvre Ebola, la menace microbienne nous semblait maîtrisée. Sauf que ce n'est pas tellement ça. Le SARS CoV-1 asiatique n'était pas arrivé en Occident en 2003 parce que le virus était moins contagieux. Or les leçons tirées sur le moment ont fait long feu, comme le souligne Fréderic Keck, anthropologue et directeur de recherche CNRS.
« Après la première crise du SRAS, les États membres de l'Organisation mondiale de la santé étaient d'accord pour se préparer sérieusement à faire face à une pandémie. Mais peut-être par lassitude des populations et face aux règles d'austérité budgétaire, ces bonnes intentions n'ont pas duré et les stocks de masques et de vaccins n'ont pas été renouvelés. »
Pourtant, depuis plus de vingt ans, les spécialistes nous alertent sur les risques pandémiques. La grippe aviaire et son virus influenza, le coronavirus de chauve-souris..., les candidats ne manquent pas. Sans oublier les arbovirus transmis par les moustiques et qui provoquent la dengue ou le chikungunya. Des virus qui pourraient déclencher des pandémies avec des moustiques dopés au réchauffement climatique.
Quelle prochaine zoonose ?
VIH, Zika, Ebola, Grippe A... la majorité des virus à épidémie viennent de zoonoses.
Ils étaient sur des animaux avant de nous rencontrer. Ils se sont adaptés à nos
cellules pour trouver un nouveau terrain d'expansion. On appelle ça un "saut
d'espèce". Nos activités économiques favorisent aujourd'hui ces zoonoses.
La déforestation pousse les animaux privés de nature à se rapprocher des habitations, à la recherche de nourriture. Les trafics mènent des animaux sauvages, rarement en contact avec l'humain, sur le marché économique. Nous sommes ainsi de plus en plus souvent exposés à de nouveaux agents pathogènes.
Ces phénomènes se produisent dans les pays du Sud, mais une fois qu'un nouveau virus s'est bien adapté à l'espèce humaine, les déplacements professionnels et les voyages en gros porteurs l'aident à contaminer toute la planète.
[Les risques pandémiques sont souvent liés à des espaces où les humains côtoient la faune sauvage pour des raisons d'exploitation économique ou de survie alimentaire. Ici une chauve-souris porteur, une espèce souvent porteuse de coronavirus.]
Vers une écologie de la santé
Depuis le SARS CoV-1 et la menace Grippe A, les scientifiques travaillent sur
l'émergence de ces zoonoses. Leurs études ont mis à jour le concept d'écologie de
la santé, un programme qui prend aussi en compte la santé des animaux et des
plantes pour mesurer les risques pandémiques.
François Renaud est biologiste de l'évolution des maladies infectieuses et directeur de recherches au CNRS : « Pour surveiller ces risques, nous devons agir comme les sismologues en déterminant les indices qui indiquent quelles sont les zones à risque, celles qui possèdent un gros potentiel infectieux. Il s'agit de développer l'écologie de la santé. Celle des écosystèmes s'évalue au regard de différents paramètres : densité de population, présence d'élevages et fréquence des échanges entre humains et animaux
domestiques ou sauvages. L'ensemble de ces informations permet de mesurer le
risque d'épidémie. »
La surveillance microbienne permet aussi d'organiser la défense
anti pandémie : « On détermine quels virus et bactéries circulent chez les animaux
sauvages en analysant leurs déjections ou par xéno surveillance, c'est-à-dire en
analysant le contenu digestif des moustiques avec le sang des animaux piqués. »
Cette approche d'une seule santé humaine, animale et environnementale est celle
retenue par la France avec son programme international PreZode (Prévenir les
maladies zoonotiques émergentes). Lancé en janvier 2001, ce programme est co-
piloté par trois organisations* dont le Cirad.
Un programme français à la pointe
L'idée de PreZode consiste à analyser différentes régions à risque, pour donner aux acteurs locaux les moyens de réduire ces risques et d'observer leur évolution. Marisa Peyre est épidémiologiste et coordinatrice de PreZode pour le Cirad :
« Pour prévenir le risque à la source, nous cherchons à comprendre quels facteurs font émerger des zoonoses comme la grippe aviaire afin de trouver les moyens de réduire les risques. En identifiant les zoonoses de manière précoce, on peut éviter de se laisser dépasser. »
Les risques pandémiques sont souvent liés à des espaces où les humains côtoient la faune sauvage pour des raisons d'exploitation économique ou de survie alimentaire.
Apprendre à surveiller la santé globale de ces espaces implique donc d'associer au
mieux les populations locales afin de leur confier le rôle de prévention avec une aide
logistique.
En élaborant un système de surveillance et d'alerte précoce, le programme pourrait éviter la dissémination d'une nouvelle maladie inattendue comme le Covid. Une épidémie qui a clairement manqué d'une alerte précoce pour éviter de se transformer en pandémie. Même si les origines de ce coronavirus restent mystérieuses.
[La densité de population humaine, la fragmentation des biomes forestiers par les activités humaines et le niveau de précarité des populations les plus pauvres dessinent des zones à plus fort risque d'émergence infectieuse. Source : Inrae]
Selon Marisa Peyre, travailler avec les locaux sans leur imposer des procédures inadaptées à leur écosystème est essentiel : « Après avoir défini quels acteurs sont les mieux placés, il s'agit d'élaborer avec eux les pratiques à mettre en place en fonction de leurs besoins et contraintes. En prenant conscience de leur rôle et avec un engagement politique du pays, ils animeront mieux ce système de surveillance ». Sur chaque zone, cette approche intégrée de la Santé associerait les soignants mais aussi les vétérinaires, les agriculteurs, les chasseurs, etc.
Mieux vaut prévenir que guérir
PreZode a été doté de 60 millions d'euros par l'État français qui négocie actuellement
d'autres dotations. Car sa mise en place est évaluée à 10 millions d'euros par pays. Une
fois le système élaboré avec les acteurs locaux, ce sont les pays eux-mêmes qui
devront financer son fonctionnement avec le soutien des aides au développement. Une goutte d'eau à côté des plus de 9 milliards d'euros de l'OMS, dont le budget est pourtant précaire : seulement 20 % sont assurés par ses États membres.
Au-delà du travail de l'OMS ou du projet scientifique international Predict qui évalue la
dangerosité de 800 virus animaux potentiellement zoonotiques, ce programme
s'articulera avec les nombreuses interventions des ONG. Il viendra aussi compléter
les plateformes déjà développées en France contre les épidémies : le réseau médical
Sentinelle pour repérer les maladies atypiques à partir des patients ainsi que les
nombreux réseaux scientifiques et vétérinaires pour observer l'évolution des agents
pathogènes chez les animaux d'élevages et de la faune sauvage, notamment chez
les oiseaux migrateurs.
Selon Marisa Peyre, « la prévention coûterait 100 fois moins cher que le contrôle des futures pandémies ; sans prévenir les maladies émergentes, nous revivrons la même crise sanitaire dans 5 ou 10 ans». Après l'actuelle crise sanitaire, la défense anti-pandémie devra aussi continuer à trouver des financements. Plus facile à décréter qu'à faire : comme il s'agit d'encadrer une activité microbienne dans une dimension microscopique, c'est une défense difficile à valoriser pour les politiques puisqu'elle n'a rien à montrer aux citoyens-électeurs. D'autant que son succès est un phénomène très discret : la prévention des pandémies est une réussite justement... lorsqu'il ne se passe rien.
________
*Notes : les trois instituts à l'initiative de PREZODE sont l'INRAE (Institut national pour
la recherche sur l'agriculture et l'environnement), le CIRAD (Centre de coopération
internationale en recherche agronomique pour le développement) et l'Institut de
recherche pour le développement.
--------------
RETROUVEZ LES AUTRES ÉPISODES DE NOTRE SÉRIE |
ÉPISODE 1 : Coronavirus : quel sera le nouveau variant de la Covid-22 ?
ÉPISODE 2 : Coronavirus : comment le jackpot du vaccin redistribue les cartes des Big Pharma
ÉPISODE 3 : Les leçons de deux années de gestion chaotique de la crise sanitaire bousculées par Omicron
ÉPISODE 4 : Covid-19 : les zones d'ombre de l'enquête sur les vraies origines du coronavirus