Ce dimanche, les Argentins se rendent aux urnes pour élire leur nouveau président. Ils devront choisir entre Javier Milei, le candidat antisystème que les sondages placent en tête, et ses principaux opposants, Patricia Bullrich, candidate de centre droit, et Sergio Massa, l'actuel ministre de l'Économie du gouvernement péroniste.
La campagne a pris une dimension inhabituelle en raison de la personnalité de Javier Milei. Cet économiste de 53 ans, qui se définit comme « anarcho-capitaliste », partisan d'une société sans État organisée par le système d'échanges qu'est le marché, a habilement utilisé les réseaux sociaux pour défendre ses positions d'outsider auprès de ses quelque 7 millions d'abonnés, dans un pays de 46 millions d'habitants. Dans ses meetings qui attirent les foules, il propose un remake de Massacre à la tronçonneuse - il brandit une vraie machine - à destination de la « caste », comme il désigne la classe politique. Depuis des décennies, celle-ci a été incapable de sortir le pays du marasme caractérisé par une inflation record, un endettement abyssal, un taux de pauvreté de plus de 40 % et une corruption endémique. Le discours sans nuances de Milei fait un tabac auprès des jeunes et d'une partie de la population tentée par le dégagisme.
« Les Argentins savent qu'ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes depuis 2001 », explique Cecilia, septuagénaire résidant dans la capitale. Lors de la « grande crise » de 2001 qui avait vu le pays faire défaut sur sa dette, le gouvernement de l'époque avait gelé les retraits bancaires, privant des millions de ménages de leurs économies. « Ma génération a tout connu, décrit Cecilia. Des périodes de croissance et de stabilité, et d'autres à devoir compter les centimes. "Débrouillard", c'est le mot qui me vient pour décrire notre état d'esprit d'Argentins. » Comme ses administrés, l'État est pareillement surendetté sur fond d'incurie des services publics. « La grande classe moyenne qui faisait notre fierté, parce qu'elle était unique en Amérique latine, n'existe plus », déplore Cecilia.
Moins d'État, plus de dollars
C'est pourquoi le programme du candidat libertarien - moins d'État et plus de dollars - rencontre un puissant écho auprès d'une population excédée de voir fondre son pouvoir d'achat. Pour celui qui a titré son livre programme La Fin de l'inflation, le peso argentin a moins de valeur que « des excréments ». La proposition phare de Javier Milei consiste à remplacer la monnaie nationale par le dollar, comme l'ont déjà fait le Panama ou l'Équateur. Mais dans un texte publié début septembre, 170 économistes qualifiaient cette dollarisation de « mirage », en raison du manque de dollars en circulation dans le pays et dans les coffres de la banque centrale. Elle pourrait même avoir l'effet contraire, la déflation, en obligeant les vendeurs de produits et services à entrer dans la course à la baisse des prix pour attirer les dollars en circulation.
Sociétalement, le candidat du parti La Libertad Avanza se range parmi les très conservateurs : opposition à l'avortement, doutes sur l'origine humaine du changement climatique, l'homosexualité considérée comme un handicap... « Le mouvement de Milei est nationaliste et illibéral, il célèbre des politiciens comme Viktor Orbán, Giorgia Meloni ou encore Marine Le Pen », rappelle Antonella Marty, chercheuse argentine associée au think tank Atlas Society. « Les populistes exploitent le mécontentement social, en l'occurrence la crise économique », explique-t-elle. Une colère contre les membres de la « caste » du système politique traditionnel qu'a su capter Milei. « Qu'ils s'en aillent tous, qu'il n'en reste plus un ! », concluait-il lors de son dernier meeting mercredi.