En Argentine, l'« anarcho-capitaliste » Javier Milei rebat les cartes de l'élection présidentielle

Devenu un candidat crédible à la présidence de l'Argentine à l'issue des élections primaires, l'économiste Javier Milei, qui se définit comme « anarcho-capitaliste », a démenti tous les pronostics. Si nombre de questions se posent sur les intentions de ce caméléon politique, sa percée traduit également la lassitude de nombre d'Argentins, qui subissent surtout les effets d'une crise économique persistante où le dernier taux de l'inflation s'affiche à 115%.
Javier Milei a été taxé tour à tour d'extrême droite, d'ultralibéral sur l'économie (contre le salaire minimum), de conservateur (anti-avortement) ou de libertaire (pour tous types d'unions libres). Lui se dit « pour les libertés par-dessus tout ».
Javier Milei a été taxé tour à tour d'extrême droite, d'ultralibéral sur l'économie (contre le salaire minimum), de conservateur (anti-avortement) ou de libertaire (pour tous types d'unions libres). Lui se dit « pour les libertés par-dessus tout ». (Crédits : Reuters)

La spectaculaire percée de l'économiste ultralibéral et « antisystème » Javier Milei, devenu après les primaires de dimanche un candidat sérieux à la présidence de l'Argentine, a placé les partis traditionnels en état de choc avant l'élection d'octobre. Voici quelques clefs pour appréhender le « phénomène » Milei, et les scénarios possibles d'ici au scrutin.

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 Défiant les sondages qui prédisaient au mieux 20% des suffrages, Javier Milei est arrivé en tête des primaires avec 30%. Et s'il était attendu à  Buenos Aires (où il est député depuis 2021) et sa province, il a crée la surprise dans un total de 16 provinces sur 24. Un « tsunami » résume le quotidien argentin La Nacion.

« Personne n'imaginait un tel vote Milei. Il est arrivé premier là où il n'avait aucune structure ni appui, même pas des assesseurs au dépouillement, absolument rien », relève Juan Negri, politologue de l'Université Torcuato di Tella.

« Un éléphant passait sous nos yeux, et nous ne l'avons pas vu », résume de son côté le quotidien Clarin, proche de l'opposition de droite, mettant sur un même plan la cécité des politiciens, des sondeurs et des journalistes. Tous trompés, il est vrai, par les piètres scores des candidats pro-Milei aux élections de gouverneurs de province, en avril, mai et juin.

Très présent sur les réseaux sociaux

Mais Javier Milei n'est pas un visage nouveau. Depuis 5 à 6 ans l'économiste était un participant régulier à des tables rondes, disruptif, iconoclaste, de plateaux TV, « d'où il a su capter et interpréter le scepticisme ambiant, et se bâtir un électorat à partir de rien », résume Gabriel Puricelli, politologue du Laboratoire des politiques publiques. Notamment avec une forte présence sur les réseaux sociaux.

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Ce qui a également joué en faveur de Javier Milei, outre son hyperactivité, ce sont « dix ans de stagnation inflationniste et cinq ans de forte inflation, qui ont alimenté le scepticisme de vastes secteurs de la population sur la capacité de gouverner des deux grandes coalitions », péroniste et de centre-droit, explique le politologue.

« Quelque chose de nouveau », « de différent », « de jamais entendu en politique » : les mêmes mots sont revenus dimanche soir au QG électoral de Milei, dans les propos de sympathisants au profil varié. Jeunes, parfois très, mais très âgés aussi. Issus de milieux modestes, mais aussi de classe moyenne. « Nos pères, nos grands-pères, ont voté pour le péronisme il y a 20 ans, 30 ans, mais le pays reste le même », se justifie Carolina Carabajal, une étudiante de 20 ans.

« Il y a une adhésion émotionnelle à une espérance qu'ils ont perdue, sans lien avec une adhésion rationnelle à ses propositions. C'est "perdu pour perdu", essayons un truc nouveau, puisque les autres ont échoué », estime Carlos Fara, analyste politique indépendant.

Un candidat inclassable

Taxé tour à tour d'extrême droite, d'ultralibéral sur l'économie (étant opposé au salaire minimum), de conservateur (anti-avortement) ou de libertaire (pour tous types d'unions libres), Milei, qui se décrit qui comme « anarcho-capitaliste » et « pour les libertés par-dessus tout », est parfois inclassable.

« Un homme aux dizaines de visages », résume le journaliste Juan Gonzalez, auteur d'une biographie non autorisée, et qui dresse le portrait d'un homme public mais isolé, maltraité et dénigré par ses parents, « qui lui ont appris à ne pas faire confiance à ceux qui l'entouraient ». « Une solitude qui le traverse, l'a accompagné toute sa vie », note-t-il.

Car pour être populaire, médiatique, exubérant, Javier Milei n'en est pas moins méconnu et secret. Peu sociable, vivant seul, avec quatre énormes dogues mastiff qu'il considère comme « ses fils ». Dans son entourage restreint, sa sœur aînée, Karina, est son bras droit.

Aussi, en raison des provocations de Milei, la classe politique « n'arrive pas à le "déchiffrer". Elle débat de ce qu'il dit au premier degré, le prend à la lettre - comme quand il dit qu'il va "dynamiter" la Banque centrale -, sans le prendre au sérieux lui-même. Les partisans de Milei font l'inverse », relève Juan Negri.

Un scrutin ouvert

En réalité, le scrutin du 22 octobre s'annonce ouvert, les trois principaux candidats n'ayant que trois points d'écart, (27 à 30%). Pour être élu au premier tour, un candidat doit atteindre 45% des voix - ou 40% avec 10% d'avance sur le deuxième.

Javier Milei comme Patricia Bullrich, une ex-ministre de la Sécurité, classée à droite, (2015-2019) arrivée deuxième position, seront en compétition pour le vote d'un même électorat dont le centre de gravité a basculé à droite.

Une part contestataire du vote Milei « de bronca » (de colère) pourrait aussi ne pas se répéter à l'élection. A l'image de Lautaro Garcia, étudiant audiovisuel de 18 ans, qui confie à l'AFP « avoir voté davantage pour "faire pression" que pour qu'il gagne ».

Sergio Massa, le ministre de l'Economie, arrivé troisième, peut lui espérer récupérer un électorat modéré, effarouché par les alternatives. Mais une économie précaire, rongée par l'inflation (115%), et une monnaie dévaluée « lui promettent de perdre une nouvelle bataille chaque jour d'ici au 22 octobre », prédit Gabriel Puricelli.

(avec AFP)

Commentaires 2
à écrit le 16/08/2023 à 12:33
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Dans un journal d'économie on s'attendrait qu'on parle des mesures économiques proposés par cet économiste. Mais on dirait qu'on est sur Libération.

à écrit le 16/08/2023 à 12:15
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Internet change la donne car permettant de mieux comparer entre les produits, de consommations ou humains comme les politiciens, et il est plus facile de se renseigner sur quelqu'un qui n'a pas le soutien officiel des financiers sachant que nous somm...

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