Lionel Fontagné est professeur titulaire d'une chaire à Paris School of Economics (PSE). Il a dirigé le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), de 2000 à 2006. Il est co-auteur de l'étude du CEPII intitulée "Horizon 2050 : où la dynamique actuelle mène-t-elle l'économie mondiale ?"
LA TRIBUNE - Quels sont les principaux enseignements de votre dernière étude sur les perspectives de l'économie mondiale à l'horizon 2050 ?
LIONEL FONTAGNÉ - Ces résultats sont avant tout des projections économiques et non des prévisions. Cet exercice s'appuie sur des déterminants de la croissance économique qui sont relativement assurés comme la démographie. D'autres déterminants comme le progrès technique, l'éducation, l'investissement, l'épargne sont mesurables à l'intérieur d'une maquette de l'économie mondiale. Évidemment, beaucoup d'éléments pourront affecter d'ici 2050 la trajectoire de l'économie mondiale ainsi projetée ou la croissance de certaines régions.
Le premier enseignement de ce travail est la poursuite du rattrapage de la Chine. La Chine pourrait dépasser les Etats-Unis en 2031, c'est très proche. Cette perspective apporte un éclairage sur les relations dégradées entre la Chine et les Etats-Unis en matière de commerce international ou de géopolitique. L'enjeu est le basculement du centre de gravité de l'économie mondiale vers l'Asie.
Comment expliquez-vous un tel basculement du centre de gravité de l'économie planétaire vers l'Asie ?
Outre la Chine, la montée en puissance de l'Inde et de l'Indonésie illustrent ce bouleversement. L'enjeu de ce travail est de regarder ce qu'il s'est passé pendant la dernière génération et d'essayer de comprendre à quoi ressemblera l'économie mondiale dans une génération. A cet horizon, la Chine consolidera sa position de première puissance de l'économie mondiale. Nous avons également essayé de regarder l'impact de la croissance attendue de la Chine, de l'Inde, des Etats-Unis ou de l'Europe en termes de pression sur les ressources mondiales.
Selon votre étude, le Nigéria et l'Indonésie seront à l'horizon 2050 les 7ème et 8ème puissances économiques mondiales, devant la France. Comment expliquez-vous cela ?
La démographie de ces pays peut expliquer une partie de cette montée en puissance. Les jeunes contribuent à la hausse de la population active. Il y a également une accumulation de capital et des gains de productivité importants tirés de la circulation de la technologie.
Où en est l'Europe ?
Du côté de l'Europe, la région est pénalisée par sa démographie. En Allemagne, l'impact de la démographie est défavorable à la croissance économique. L'impact positif des investissements futurs en termes de croissance va être annulé par l'évolution défavorable du marché du travail allemand. Le scénario migratoire retenu à partir de la modélisation centrale des Nations-Unies ne prévoit en effet pas d'arrivées massives de travailleurs issus de régions plus à l'Est de l'Europe.
En France, il n'y a pas d'impact négatif de la démographie sur le marché du travail. La démographie en France n'est ni favorable, ni défavorable à l'horizon d'une génération. Il y a une accumulation du capital qui se fait au rythme de l'Allemagne. Les gains de productivité en France devraient être plus faibles qu'en Allemagne mais la démographie étant plus favorable cela permettra à l'économie française d'absorber les nouveaux arrivants sur le marché du travail. La meilleure performance du Royaume-Uni en termes de productivité prolonge le rattrapage observé avant la crise financière, ce qui constitue une tendance fragile.
La France perd du terrain dans votre classement. Pourrait-on assister à un déclassement de l'économie hexagonale ?
Il n'y a pas vraiment de déclassement de la France. Simplement, le reste du monde grandit plus vite que la France, ce qui offre aussi de vastes marchés potentiels à nos entreprises. Le fait que les progrès de productivité en France soient moindres qu'en Inde n'a rien d'étonnant. L'Inde est dans un processus de rattrapage favorisé par la circulation internationale de la technologie, par les investissements directs, le commerce international et part d'un niveau de productivité bas. Au Japon, la situation démographique et son impact sur le marché du travail pèseront lourdement sur la croissance future dans l'hypothèse où les migrations restent limitées.
Votre travail montre qu'il y a un doublement de la consommation d'énergie à l'échelle mondiale. Les Etats vont avoir des difficultés à parvenir à la neutralité carbone en 2050.
Tous les Etats n'ont pas annoncé la neutralité carbone d'ici 2050. Compte tenu de la démographie, l'accumulation de capital et le rattrapage en matière de productivité, la demande d'énergie mondiale va beaucoup augmenter dans les prochaines décennies en dépit des gains attendus en matière d'efficacité énergétique. Nous sonnons l'alerte. Il faut décarboner très vite notre consommation d'énergie si on veut que la croissance soit soutenable.
Comment appréhendez-vous la notion de découplage ?
Les perspectives de croissance à l'horizon d'une génération, tirées par la démographie, l'investissement et le progrès technique, permettront de distribuer du pouvoir d'achat dans les pays en voie de développement, d'y améliorer l'éducation, de maintenir notre niveau de vie. Mais cette expansion de l'économie mondiale ne sera soutenable que si l'on arrive à découpler cette croissance de la consommation d'énergies fossiles.
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DOCUMENT DE RÉFÉRENCE
(*) Horizon 2050 : où la dynamique actuelle mène-t-elle l'économie mondiale? par Lionel Fontagné, Erica Perego & Gianluca Santoni, in La lettre du CEPII, n° 421 - Octobre-novembre 2021. Retrouvez l'intégralité du document ici