État islamique : « Quand ils voient une brèche, ils tapent » (Wassim Nasr, journaliste à France 24 et chercheur au Soufan Center)

L’auteur d’« État islamique, le fait accompli » n’est pas surpris de l’attentat à Moscou. Depuis la perte de son califat territorial, l’EI s’est exporté dans le monde entier.
Garance Le Caisne
Wassim Nasr.
Wassim Nasr. (Crédits : CAPTURE D'ECRAN FRANCE 24)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Nous avions donc oublié que l'État islamique pouvait frapper la Russie?

 WASSIM NASR - Oui, ceux qui avaient arrêté de le suivre l'avaient oublié. La Russie fait absolument partie de ses cibles habituelles. Il y a un vieux contentieux entre la Russie et l'État islamique qui remonte à plusieurs années. Tant à propos du conflit en Syrie ou de l'aide russe aux talibans contre lui en Afghanistan qu'en raison du conflit actuel au Sahel. L'État islamique a essayé à plusieurs reprises de commettre des attentats d'ampleur en Russie. Il en a réussi quelques-uns, mais pas de cette ampleur, en 2016, 2017, 2018. Sans parler de celui déjoué contre une synagogue à Moscou en 2024. Là, ils ont réussi une attaque importante.

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Ce n'est donc pas un leurre des Russes eux-mêmes ?

Ce n'est pas un false flag, non. Quand on veut faire une telle opération, on pose une bombe, on piège une voiture. On n'envoie pas des hommes dans la nature qui risquent d'être arrêtés, de parler, grâce auxquels on peut remonter aux commanditaires. Ce qui s'est passé ne colle pas du tout, il faut arrêter avec cette thèse. D'autant que l'État islamique a revendiqué.

Comment pouvez-vous confirmer le communiqué de l'État islamique ?

Il a été publié dans leur canal officiel. La syntaxe colle parfaitement à la leur, le contenu aussi, ce qu'ils ont écrit sur le déroulé de l'attentat, le fait que les terroristes étaient dans la nature alors que beaucoup de médias russes disaient qu'ils avaient été arrêtés... Et les sites miroirs de l'État islamique ont repris l'info. S'il y avait un problème quelque part, le communiqué n'aurait pas été repris comme ça. Ce sont des indicateurs. Il y aura d'ailleurs d'autres revendications, avec des références religieuses plus élaborées, peut-être des vidéos comme c'est le cas habituellement. Ils ont déjà diffusé une photo des quatre assaillants.

Il y a donc un processus habituel ?

Oui, il y en a un, cela fait douze ans que je les suis. D'ailleurs, avant chaque revendication d'un grand attentat, les sites miroirs de l'État islamique sont tous renouvelés. Ils anticipent que les anciens vont être fermés dès la publication de la revendication. Des dizaines et des dizaines de nouveaux comptes Telegram miroirs sont créés. Grâce à eux, ils peuvent continuer à partager. À chaque fois, on est surpris de leurs attaques, comme en Iran [janvier 2024], en Israël [mars 2022]. Mais ces pays font partie de leur palette d'ennemis.

Le 7 mars, les Américains avaient alerté contre des activités de IS-K [État islamique au Khorasan]. Quelle est cette filiale?

C'est une filiale de l'EI implantée au Khorasan depuis 2015. Ils ont été durement combattus par les talibans, et par les Américains aussi d'ailleurs, quand Trump a lancé « la mère de toutes les bombes » [avril 2017 dans l'est de l'Afghanistan]. Ils sont bien installés là-bas, ils recrutent beaucoup d'Afghans, de Pakistanais, mais aussi des ressortissants des Républiques d'Asie centrale.

Ce n'est pas un « false flag », non. Quand on veut faire une telle opération, on n'envoie pas des hommes grâce auxquels on peut remonter aux commanditaires

Les autorités russes disent que les assaillants sont tadjiks...

Ils peuvent être tadjiks, bien sûr, ou ingouches, ouzbeks... Il y a beaucoup de gens d'Asie centrale et du Caucase dans les rangs de l'EI à des niveaux de commandement assez importants. Les viviers de recrutement sont énormes. Des personnes pour commettre l'acte, d'autres pour commander, d'autres pour créer des filières financières, etc. Un patron de la sécurité présidentielle d'une République de la fédération de Russie a même été recruté.

Comment fonctionne l'État islamique aujourd'hui ?

Depuis qu'ils ont perdu leur califat territorial [à cheval entre l'Irak et la Syrie], ils sont devenus une filiale mondiale. Ils ont réussi à s'exporter dans le monde entier, au Sahel, au Yémen, en Somalie, en Afghanistan, dans le Caucase, les Philippines.

Ces franchises se centralisent-elles à un moment ?

Comme au sein d'Al-Qaïda, elles ne se réunissent pas pour des dîners de famille. Il y a des filiales, avec des groupes préexistants qui vouent allégeance à l'EI pour telle ou telle raison. Ils agissent en leur nom et suivent les objectifs généraux stratégiques, comme de frapper la Russie. Au niveau opérationnel, chaque filiale, chaque unité, chaque groupe fait ensuite ce qu'il peut pour atteindre cet objectif. Ce qui fait qu'ils sont résilients. Si un chef est tué, tout ne s'écroule pas derrière. Ça fonctionne comme dans tous les mouvements de guérilla ou de terroristes - ou les deux ensembles, car l'un n'exclut pas l'autre.

Pourquoi viser la Russie aujourd'hui ?

L'État islamique fait ce qu'il fait depuis quinze ans. S'il voit une brèche, il capitalise dessus et il tape. Il se fiche de la guerre en Ukraine, de l'élection de Poutine, mais les brèches sont évidemment plus importantes quand les pays concernés sont occupés par autre chose, comme la guerre en Ukraine ou des élections.

Garance Le Caisne
Commentaire 1
à écrit le 24/03/2024 à 13:13
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L'avantage avec "la république islamique" c'est que l'on peut tout lui coller sur le dos, car ses commentaires ne seront jamais repris pour éviter le prosélytisme ! ;-)

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