France/Égypte, retour à la realpolitik. Le président égyptien, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, doit venir le 8 décembre en France pour rencontrer Emmanuel Macron, selon des sources concordantes. Si cette visite se confirmait, elle mettrait fin à près de deux ans de bouderies entre les deux chefs d'État. Surtout Paris et le Caire ont compris qu'ils ne pouvaient faire l'un sans l'autre sur le plan géopolitique, notamment en Méditerranée orientale et en Afrique (Libye, Soudan...). Cette rencontre doit beaucoup au ministre des Affaire étrangères Jean-Yves le Drian, qui a beaucoup œuvré pour réchauffer les relations entre les deux pays. Le 8 novembre, il était au Caire où il a rencontré le président égyptien avec qui les relations dans un climat de confiance sont excellentes, et le ministre des Affaires étrangères Sameh Shoukry. Cette visite a été effectuée au moment des tensions entre Paris et le monde musulman autour de la publication de caricatures du prophète Mahomet.
Des milliards de contrats perdus
Le relations s'étaient dégradées entre Paris et Le Caire après la conférence de presse du 28 janvier 2019, quand Emmanuel Macron, sous la pression des ONG, s'était autorisé, sans concertation avec son homologue, à faire une leçon de morale sur la société civile et les droits de l'homme au président égyptien le maréchal Abdel Fattah Sissi. "On ne donne pas la leçon au Pharaon chez lui sans le prévenir", nous avait expliqué un industriel à l'époque. Une erreur fatale dans les relations entre la France et l'Égypte, qui a fait payer à Paris pour cette affront le prix fort en arrêtant la plupart des discussions avec les industriels français, notamment dans la défense. Le Caire avait ainsi entamé une nouvelle phase de diversification de ses sources d'approvisionnement avec l'Italie et l'Allemagne, où les Verts au centre des prochaines élections exigent un embargo sur les ventes d'armes à destination du Caire.
La maladresse d'Emmanuel Macron a donc coûté quelques milliards à la France (Rafale, hélicoptères, corvettes Gowind...) alors que Al-Sissi avait très clairement choisi en 2015 l'industrie d'armement française en Europe. L'Italie et l'Allemagne ont été les grands bénéficiaires de cette brouille entre la France et l'Égypte. l'Italie a vendu des frégates FREMM et des hélicoptères aux forces armées égyptiennes. Ainsi, la frégate FREMM n°9 initialement destinée à la marine italienne, la Spartaco Schergat a été débaptisée et renommée Al Galala. L'équipage égyptien s'entraîne actuellement sur cette frégate, qui devrait être livrée courant décembre. La n°10, en attente d'un nouveau nom, doit être remise à la marine égyptienne au printemps prochain. La transaction de ce contrat entre l'Italie et l'Égypte a été réalisée le 7 août dernier pour 1,2 milliard d'euros. Leonardo a également vendu 32 hélicoptères (24 AW149 et 8 AW189) pour un montant de 870 millions d'euros.
En outre, le chantier naval ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS) a également réussi à vendre six frégates Meko A200 (2,3 milliards). Avant la brouille entre la France et l'Égypte, l'avionneur russe Sukhoi avait de son côté vendu 30 Su-35 Flanker-E en 2018 pour un montant de 2 milliards de dollars. L'avionneur russe avait annoncé en mai dernier avoir lancé la production de ces avions de combat destinés à l'Égypte. La Russie reste un des alliés traditionnels du Caire.
La Turquie rabiboche l'Égypte et la France
Les premiers signes tangibles de rapprochement entre les deux pays ont débuté au début de l'été. Ils ont été scellés par les ambitions de la Turquie dans le bassin méditerranéen (dossier Libyen, champs gaziers au large de Chypre et de la Grèce...). Le partage des ressources gazières est un enjeu stratégique pour chacun des riverains du bassin, non seulement pour la Turquie mais aussi pour Chypre, la Syrie, le Liban, Israël, l'Égypte et leurs partenaires. D'ailleurs, l'Égypte avait déployé une frégate et un sous-marin en soutien d'une opération de recherche pétrolière et s'était attachée à en faire la publicité. Le réchauffement avait été progressivement orchestré par Jean-Yves Le Drian. Il était déjà l'homme qui avait rapproché, en tant que ministre de la Défense, Paris et le Caire à partir de 2014 avec le succès que l'on connait dans le domaine de l'armement. "Jean-Yves Le Drian a pris la main", assurait cet été un bon observateur de la région et des ventes d'armes.
La visite du maréchal Abdel Fattah al-Sissi à Paris est une bonne nouvelle dans un contexte de tensions (terrorisme et crises) dans la région du Proche et Moyen Orient. la France a toujours considéré que Le Caire était un verrou stratégique dans la région et, donc, un allié incontournable. "L'Égypte ne se veut plus seulement comme la grande puissance arabe, mais aussi comme une puissance qui compte en Méditerranée, avait expliqué un colonel au sein de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS). La découverte de gisements de gaz l'a conduite à rejoindre l'Eastern Mediterranean Gas Forum ; elle opère pour cela un net rapprochement stratégique avec la Grèce et Chypre, notamment au moyen de ses nouvelles capacités navales".
Égypte, un pays en croissance
L'Égypte s'emploie à juguler tout risque de débordement pouvant atteindre sa stabilité retrouvée et sa croissance forte - + 6 %, l'année dernière -, même si de nombreuses fragilités, notamment démographiques et économiques, hypothèquent encore le moyen terme. La direction générale du Trésor confirme le renouveau économique de l'Égypte. Elle a indiqué en décembre 2019 que le Caire, en quasi situation de défaut de paiement à l'été 2016, a procédé à "un assainissement conséquent de ses finances publiques via des mesures de consolidation budgétaire". En outre, en matière énergétique, elle est devenue exportatrice nette d'hydrocarbures en 2019 à la suite de l'entrée en activité du champ gazier Zohr notamment.
La direction générale du Trésor a également indiqué fin 2019 le retour de l'Égypte sur les marchés financiers internationaux. Et selon le Trésor, "l'ajustement conjoncturel engagé par l'Egypte a permis de restaurer sa crédibilité sur les marchés financiers" : 17 milliards de dollars et 4 milliards d'euros ont été levés sur les marchés internationaux depuis janvier 2017 pour couvrir une partie de ses besoins de financement. Les investisseurs étrangers de portefeuille sont également revenus en Égypte (12 milliards de dollars en 2017/18). Les principales agences de notation ont quant à elles relevé la note souveraine de l'Égypte qui s'établit désormais à B2 "stable" pour Moody's ; B "stable" pour S&P ; B+ "stable" pour Fitch et B+/B "stable" pour Capital Intelligence.
"Dans un environnement mondial momentanément plombé par la situation sanitaire dans de nombreux pays,l'Égypte tire particulièrement bien son épingle du jeu. C'est ainsi sans surprise que le FMI et la Banque Mondiale viennent, conjointement, de revoir à la hausse leurs prévisions économiques pour le pays. De fait, la bonne gestion sanitaire de la crise a participé à contenir la baisse d'activité prévue au deuxième trimestre 2020 permettant une croissance de +3,5% sur l'année fiscale 2019/2020 selon le FMI", a écrit en octobre 2020 Michel Oldenburgh, chef du Service économique du Trésor.