Inflation : comment la guerre en Ukraine change la donne aux Etats-Unis et en Europe

Le président de la Fed, Jerome Powell, se dit prêt à accélérer la remontée des taux si nécessaire, tandis que Christine Lagarde, présidente de la BCE, se montre plus prudente. La hausse continue des prix ces derniers mois en raison d'un choc de l'offre va trouver un nouveau relais avec la hausse des prix de l'énergie et de l'alimentation créée par la guerre en Ukraine et les sanctions imposées à la Russie, qui perturbent aussi les chaînes d'approvisionnement en créant des goulots d'étranglement.
Robert Jules
Protestation de camionneurs en Allemagne contre la cherté du diesel le 19 mars dernier à Bergheim dans le land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.
Protestation de camionneurs en Allemagne contre la cherté du diesel le 19 mars dernier à Bergheim dans le land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. (Crédits : Reuters)

Après la crise de la pandémie du Covid-19 - loin d'être terminée comme l'atteste le cas de la Chine -, la guerre en Ukraine est en train de redistribuer les cartes de l'économie mondiale, avec les sanctions imposées à la Russie pour stopper son offensive. "Au-delà des souffrances et de la crise humanitaire provoquées par l'invasion de l'Ukraine par la Russie, l'ensemble de l'économie mondiale va ressentir les effets du ralentissement de la croissance et de l'accélération de l'inflation", ont averti les économistes du Fonds monétaire international (FMI), la semaine dernière.

Sujet de préoccupation

C'est précisément ce dernier point qui est le sujet de préoccupation de Jerome Powell. Le président de la Fed ne rate plus désormais une occasion de répéter son mantra : l'inflation est là pour durer, et l'institution monétaire des Etats-Unis est prête à accélérer le relèvement de ses taux directeurs si la situation l'impose. "Le marché du travail est véritablement solide et l'inflation beaucoup trop élevée", a-t-il indiqué dans une déclaration préparée en vue de son intervention devant la National Association of Business Economics.

Le taux d'inflation s'est affiché à 7,9% sur un an aux Etats-Unis, sa plus forte progression depuis janvier 1982, et celui de l'inflation sous-jacente (hors énergie et alimentaire) à 6,4%, au plus haut depuis août 1982. Quant au marché de l'emploi, sa bonne tenue se reflète dans un taux de chômage à 3,8% en février, selon les statistiques du Bureau du travail américain. En février 2020, juste avant la pandémie du Covid-19, il était de 3,5%. Dans le même temps, le taux de participation de la population au marché du travail s'élevait en février dernier à 62,3%, son niveau le plus élevé depuis mars 2020.

Anticipations d'inflation

Mais ce qui inquiète Jerome Powell, ce sont les anticipations d'inflation. Autrement dit, comment les ménages et les entreprises perçoivent la hausse des prix et la façon dont ils s'y adaptent. En effet, s'ils considèrent qu'elle va continuer à progresser, ils peuvent choisir d'épargner plutôt que de consommer pour les premiers et attendre pour investir pour les deuxièmes.

Dans ce cas, le risque de stagflation est élevé - poursuite de la hausse de l'inflation et croissance en berne, voire une récession -, et évidemment c'est ce que les banquiers centraux veulent à tout prix éviter.

La Fed qui a relevé en mars ses taux directeurs pour la première fois depuis 2018 - de 25 points de base pour les porter entre 0,25% et 0,50% - pourrait donc accélérer le rythme et l'ampleur des relèvements si besoin. Aujourd'hui, le consensus du comité des gouverneurs vise 1,75% à la fin de l'année, mais Jerome Powell a évoqué 2% et 2,5%, précisant qu'il ne craignait pas que cette hausse des taux freine l'activité car il manque encore 5 millions de personnes sur le marché de travail des Etats-Unis, selon lui.

Conséquences plus lourdes de la guerre en Ukraine pour l'Europe

L'inflation inquiète aussi de l'autre côté de l'Atlantique, d'autant que, contrairement aux Etats-Unis, les conséquences de la guerre en Ukraine sont plus lourdes pour l'Europe et le Royaume-Uni en raison de la dépendance de nombreux pays européens, comme l'Allemagne ou l'Italie, aux importations de gaz et pétrole russes. "Les Etats-Unis et la zone euro se situent à des points de cycle différents", indiquait lundi Christine Lagarde, lors d'une conférence organisée par l'Institut Montaigne à Paris.

La présidente de la Banque centrale européenne (BCE) a reconnu que l'inflation durera plus longtemps qu'anticipé dans la zone euro, mais elle a écarté le scénario d'une stagflation. "Compte tenu de la reprise qui était engagée, on ne voit pas à l'horizon de 2022, ni 2023, ni 2024, de stagnation de l'économie", a-t-elle estimé. Elle a souligné que "la reprise de l'emploi est spectaculaire", avec un taux de chômage dans la zone euro qui est tombé à 6,8% en janvier, son plus faible niveau depuis la création de la monnaie unique. "La crise de la pandémie avait détruit 5 millions d'emplois, mais 5,5 millions ont été créés depuis. Il y a une vraie surchauffe dans certains secteurs pour recruter, avec des hausses de salaires", a-t-elle rappelé. Selon les dernières estimations de la BCE, la croissance est prévue à 3,7% en 2022, 2,8% en 2023 et 1,6% en 2024.

Toutefois, la guerre en Ukraine change les perspectives. Elle augmente les incertitudes économiques et risque d'alimenter l'inflation à court terme en raison "de la hausse des prix de l'énergie (gaz et pétrole) et de l'alimentaire (notamment le blé), et de la persistance des goulets d'étranglements dans les chaînes d'approvisionnement", a listé Christine Lagarde, remarquant, à juste titre, que "la hausse des prix de l'énergie joue le rôle d'un impôt sur toute l'activité économique".

La BCE table désormais sur une inflation de 5,1% en 2022, qui pourrait s'envoler à 7,1% selon le scénario le plus pessimiste sur le conflit, avant de refluer à 2,7% en 2023 et 1,9% en 2024, retrouvant l'objectif cible fixé à l'institution monétaire.

Le président de la Buba plus offensif

Si lors de la dernière réunion de la BCE, Christine Lagarde avait adopté un ton plus offensif quant à un prochain resserrement de la politique monétaire, elle avait toutefois précisé que cela passait d'abord par la fin du programme d'achats d'actifs obligataires prévue à la fin du troisième trimestre, avant d'envisager toute hausse des taux.

Mais cet attentisme n'est pas partagé outre-Rhin par le président de la Banque centrale allemande, Joachim Nagel, qui lundi mettait en garde sur le risque de la hausse des prix. "A mon avis, le risque d'agir trop tard a augmenté", a-t-il averti, considérant que cela "ouvre la possibilité de relever les taux directeurs cette année si nécessaire".

Une position qui s'explique en partie par le biais national. A la différence des Etats-Unis, la politique monétaire de la zone euro doit aussi composer avec des Etats-membres qui se trouvent dans des situations asymétriques. Car si le taux d'inflation a atteint 5,9% en février dans la zone euro, selon Eurostat, celui de la France est le plus bas (4,2%), tandis que ceux de l'Allemagne (5,5%), de la Belgique (9,5%), des Pays-Bas (7,3%), de l'Espagne (7,6%) et de l'Italie (6,2%) sont plus élevés, rendant plus urgente pour ces pays la lutte contre la hausse des prix.

Robert Jules
Commentaires 5
à écrit le 23/03/2022 à 8:28
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La guerre en Ukraine ne touchera en rien l'économie russe. Pire les décisions et sanctions contre la Russie vont avoir 3 conséquences majeures : 1° La Russie va être poussée à sortir de sa passivité économique via l'envahissement des majors US (GAFA...

le 23/03/2022 à 10:06
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@Snowden. Excellent resume, rien de mieux a dire. Les europeens vont devoir payer leur energies bcp plus cheres. Petrole, gaz electricite. Recul assure pour les decennies a venir.

à écrit le 22/03/2022 à 17:35
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Inflation a 5 en Europe et 7,9 aux usa ? En Russie on est à 15 % avec ses pénurie de beurre sucre composants électronique ( leurs data dont en stop faute de pièces)….

à écrit le 22/03/2022 à 17:24
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"Le président de la Fed, Jerome Powell, se dit prêt à accélérer la remontée des taux si nécessaire" : Cette accélération était prévue de longue date, il ne faut pas être naïf en pensant que ce sont les circonstances qui l'exigent, Jerome Powel a fait...

le 22/03/2022 à 19:45
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