"L'Arabie saoudite sent son influence menacée par l'Iran partout au Moyen-Orient"

Alors que s'ouvre mercredi à Washington un sommet des pays du Golfe, le roi saoudien a fait savoir qu'il ne fera pas le déplacement. Ce geste a été interprété comme une défiance vis-à-vis de l'allié et protecteur américain. Pour Denis Bauchard, spécialiste du Moyen-Orient à l'IFRI et ancien ambassadeur de France en Jordanie, il faut néanmoins se garder de toutes interprétations car l'alliance entre les deux pays reste forte. Et ce, malgré leurs nombreuses divergences stratégiques.
Denis Bauchard estime que les relations entre l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis est parasitée par une méfiance réciproque engagée au lendemain du 11 septembre 2001.

Le roi Salman d'Arabie saoudite a signifié qu'il ne sera pas présent au sommet du Golfe à Washington. Est-ce la traduction d'un nouveau refroidissement des relations entre l'Arabie saoudite et les Etats-Unis ?

Il faut nuancer cette information qui peut effectivement être interprétée comme telle. Cette absence peut également être  justifiée pour des raisons de santé. Mais l'Arabie saoudite sera représentée à très haut-niveau à Washington puisque le prince héritier s'y rendra accompagné du vice-prince héritier, c'est à dire les deux hommes forts de la monarchie. C'est donc le signe que l'Arabie saoudite accorde encore de l'importance à ses relations avec les Etats-Unis, et ce malgré les griefs qui sont néanmoins réels. On peut cependant noter que parmi les six souverains et chefs d'attendus, seuls deux seront présents : l'émir du Qatar et celui de Koweït.

Quelles sont les motifs des tensions entre ces deux pays pourtant alliés ?

Il y a effectivement de nombreuses sources au mécontentement saoudien et qui durent depuis plusieurs années. C'est d'abord la complaisance des Etats-Unis à l'égard d'Israël qui  n'exercent pas sur celui-ci des pressions réelles pour  trouver un accord de paix et  régler le conflit israélo-palestinien. Ce problème s'est accentué ces dernières années. Il y a également la gestion du printemps arabe. Les Saoudiens ont mal perçu la façon dont les Américains ont lâché Hosni Moubarak (ancien président Egyptien, ndlr). Ryad a jugé que la promotion de la démocratie durant cette période a surtout été source de déstabilisation au Moyen-Orient. Sur le dossier Syrien, l'Arabie saoudite s'attendait à ce que Washington intervienne comme il l'avait promis en cas de franchissement de la ligne rouge, à savoir l'utilisation de gaz militaires contre les civils. Le royaume voudrait renverser le pouvoir de Bachar el-Assad et ainsi briser une alliance vieille de plus de quarante entre la Syrie et l'Iran. Enfin, la politique de Barack Obama avec l'Iran a suscité, dès le départ, le mécontentement des Saoudiens. Ils craignent un basculement des alliances dans la région, alors que je ne pense pas que ce soit la volonté des américains. Ces derniers veulent plutôt rétablir la politique des deux piliers, qui était en vigueur à l'époque du Shah d'Iran. Mais pour l'Arabie saoudite, un accord sur le nucléaire est un moyen de renforcer l'influence de l'Iran à travers le monde arabe.

L'Arabie saoudite est-elle à ce point menacée par l'Iran ?

Ryad s'est toujours senti menacé par l'Iran en raison de sa position géographique mais également à cause du déséquilibre démographique. L'Iran pèse près de 80 millions d'habitants, contre une trentaine pour l'Arabie saoudite. Par ailleurs, l'Iran dispose d'une armée beaucoup plus opérationnelle que sa rivale. Le pays a deux armées : une armée régulière et les gardiens de la révolution dont on constate encore la force aujourd'hui en Irak contre Daesh. Enfin, Téhéran n'a pas renoncé à sa volonté d'étendre son influence au Moyen-Orient, c'est là que réside la plus grande crainte de Ryad. Que ce soit au Liban, en Syrie, en Irak ou au Yémen, l'Arabie saoudite sent son influence menacée partout dans la région... D'ailleurs, les deux pays se battent déjà militairement par procuration en Syrie ou au Yémen.

Est-ce que l'Arabie saoudite aurait joué la carte de l'Etat Islamique pour déstabiliser l'Irak par exemple dirigé par un gouvernement chiite proche de l'Iran ?

Aujourd'hui non, car Daesh apparait clairement comme une menace à la sécurité de l'Arabie saoudite. Avant juin 2014 lors de l'avènement du « califat » entre la Syrie et l'Irak, cette organisation a probablement reçu des financements en provenance de pays du Golfe, pas nécessairement à l'initiative des Etats, mais avec leur complaisance comme l'a souligné encore récemment le sous-secrétaire américain au Trésor.

Côté américain, n'y-a-t-il pas une méfiance à l'endroit de l'Arabie saoudite également ?

Effectivement, les griefs existent aussi de ce côté. Avant cela, il faut comprendre qu'il n'y a pas de volonté d'abandonner le Moyen-Orient mais plutôt un désengagement approuvé par l'opinion publique américaine de ce qui apparait de plus en plus comme un bourbier. Il n'est pas dit que Washington serait intervenu en Irak si Daesh n'avait pas décapité un journaliste américain. Mais, l'alliance avec l'Arabie saoudite ne va plus de soit à Washington. Il y a un courant « arabiesaouditophobe » depuis le 11 septembre 2001 : en effet 15 des 19 terroristes étaient saoudiens. Ce pays est perçu comme un promoteur d'un islam intolérant, rigoriste et violent.

Qu'est ce qui retient les Américains en Arabie saoudite ? Le pétrole ?

Les Etats-Unis vont, comme chacun sait, vers l'autosuffisance pétrolière. Mais le Golfe reste une région stratégique sensible où d'autres puissances ont également des intérêts comme la Russie ou la Chine. L'Arabie saoudite est également le seul pays au monde à pouvoir agir sur les prix grâce à l'ampleur de sa production et  sa position de swing producer qui lui permet de réduire ou d'augmenter très rapidement ses exportations

Pensez-vous que l'Arabie saoudite mise d'ores et déjà sur l'après-Obama ?

Non, car les problèmes existaient déjà avant lui, et continueront probablement après lui. Sous Bush fils, l'intervention en Irak ou le soutien à Israel étaient des griefs importants. Il est vrai que si une administration républicaine devait succéder à Obama, l'attitude vis-à-vis de l'Iran serait plus conforme aux attentes du Royaume. Mais Barack Obama travaille à rendre l'accord avec l'Iran irréversible.

Commentaires 2
à écrit le 15/05/2015 à 7:41
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Rien de bien sur prenent , avec la chute de sadam en Irak, la défaite américaine sur le terrain, irack, Afghanistan..... L'Iran est chaque voir plus puissante..... Ils y a aussi derrière tous cela en deuxième ligne les USA en perte de puissance cotee...

à écrit le 13/05/2015 à 11:02
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"es Etats-Unis vont, comme chacun sait, vers l'autosuffisance pétrolière." Cette bonne blague... Vu la tronche du secteur pétrolier, de schiste en particulier (clé pour l'autosuffisance), aux USA, je rigole !

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