"L'économie chinoise va profiter de la baisse des prix des matières premières"

Le ralentissement économique de la Chine accélère la chute des cours des matières premières : pétrole, minerai de fer, cuivre, soja... Si les partenaires commerciaux de Pékin, comme le Brésil et la Russie, en pâtissent, cette baisse peut toutefois favoriser la relance d'une consommation intérieure atone en Chine, estime Mylène Gaulard, maître de conférences à la Faculté d'économie de Grenoble, et auteure de "Karl Marx à Pékin" (éd. Demopolis).
"La Chine est le premier importateur mondial de minerai de fer, de charbon, de cuivre et de soja, et le deuxième importateur de pétrole brut derrière les Etats-Unis", explique Mylène Gaulard.

La Tribune - La chute des cours des matières premières est en partie due à la baisse de la demande de la Chine, notamment en raison du ralentissement économique, selon les analystes. Le modèle est-il à bout de souffle ?

Mylène Gaulard : La Chine présente effectivement un ralentissement certain de sa croissance depuis 2011, avec, selon les statistiques officielles, une croissance du PIB de 7,4% en 2014, son plus bas niveau depuis 1990, alors même qu'on soupçonne encore cette croissance d'être surestimée. Le déclin de la compétitivité de l'appareil productif chinois, lié en partie à une hausse du coût de la main-d'œuvre supérieure à celle de la productivité, explique que la croissance de la production industrielle est régulièrement inférieure à celle du PIB depuis 2014.

Dans le secteur de l'immobilier, la situation apparaît encore plus grave : la croissance de l'investissement immobilier n'était plus que de 10,5% en 2014, contre plus de 20% les années précédentes, et 67 des 70 villes étudiées par le Bureau national des statistiques connaissent une baisse des prix des logements neufs depuis juillet 2014. La croissance économique chinoise, qui reposait depuis quelques années sur le vif essor du secteur de la construction, semble donc bien actuellement à bout de souffle.

Or, si la baisse mondiale du cours des matières premières observée en 2014 - avec des cours atteignant pour la plupart des produits des niveaux aussi bas qu'en 2010 - est multifactorielle (anticipations pessimistes des investisseurs sur les marchés des matières premières, bonnes conditions climatiques, forte augmentation de l'offre de matières énergétiques liée aux conflits au sein de l'OPEP et à la production croissante de gaz de schiste aux Etats-Unis, etc.), le ralentissement économique de la Chine a évidemment contribué à renforcer cette tendance à la baisse, que ce soit indirectement en créant des anticipations pessimistes parmi les spéculateurs, ou directement par une moindre croissance des importations chinoises.

Le géant asiatique est effectivement le premier importateur de minerai de fer, de charbon, de cuivre et de soja, et le deuxième importateur de pétrole brut derrière les Etats-Unis. Or, les difficultés économiques chinoises impliquent une moindre croissance de ses importations, voire une baisse pour certains produits ; l'affaiblissement de ses importations de métaux depuis 2010 s'est par exemple accentué en 2014 pour se transformer en véritable baisse. Rien qu'entre décembre 2014 et janvier 2015, les importations de pétrole brut, de minerai de fer et de charbon ont baissé en volume de respectivement 8%, 9,5% et 38%.

Les vacances du Nouvel an chinois, débutées le 19 février 2015 et terminées le 5 mars, ont accentué encore davantage le ralentissement des importations, avec notamment des importations de cuivre ayant chuté de 35% en février par rapport à celles du mois précédent. Pourtant, n'exagérons pas l'impact de la Chine sur l'évolution des cours : les importations de ce pays ont atteint un record en 2014, bien qu'elles aient globalement connu une moindre croissance que durant l'année précédente. Pour l'instant, la baisse de la demande en matières premières reste assez ponctuelle.

La chute des cours des matières premières profite-t-elle toutefois à l'économie chinoise?

Si le ralentissement économique de la Chine explique en partie la baisse du cours des matières premières, le pays peut évidemment profiter de ce recul, notamment afin de relancer sa consommation intérieure aujourd'hui très faible et responsable d'une situation quasi-déflationniste (l'indice des prix à la consommation augmente à un rythme inférieur à 1% depuis le début de l'année).

Profitant d'une baisse des prix du minerai de fer de 19,8% en 2014, les importations en volume de ce produit se sont par exemple accrues de 16,5% sur l'année, alors qu'en valeur elles chutaient de 5,3%. Le ministre des Finances déclarait au début du mois de mars qu'il souhaitait augmenter les dépenses de 33% pour accroître les réserves de certains produits stratégiques comme les céréales ou les huiles alimentaires.

Notons également que les grandes entreprises pétrolières chinoises profitent de la chute du prix du pétrole brut pour accroître leurs importations, notamment celles en provenance du voisin russe en difficulté avec lequel la Chine souhaite renforcer ses liens. Cette stratégie commerciale vise surtout, là encore, à constituer des stocks (le gouvernement vise des réserves équivalant à une consommation de 90 jours) afin de faire face à la volatilité des cours et à une prochaine hausse des prix.

La Chine va-t-elle et peut-elle rationaliser son économie ? Elle semble s'orienter vers moins de grands projets et une baisse de ses émissions de gaz  à effet de serre également...

Rappelons qu'avec plus du quart des émissions de gaz à effet de serre, la Chine est le premier émetteur mondial. Or, pour la première fois, le pays s'est engagé en novembre 2014 à réduire ses émissions d'ici 2030. Selon l'Académie des sciences sociales de Pékin, cet objectif aurait de toute façon été obtenu sans beaucoup d'effort d'ici 2025-2030 du fait du ralentissement de l'urbanisation.

Il est vrai cependant que le gouvernement a récemment adopté des mesures visant à réduire la consommation nationale de charbon (assurant encore 70% des besoins en énergie du pays). L'exploitation de mines de charbon dont la production est inférieure à 300.000 tonnes par an est par exemple désormais interdite, et dans de grandes villes comme Pékin, Shanghai et Canton, on prévoit même de supprimer l'utilisation de charbon d'ici six ans ; notons également que depuis janvier 2015, l'usage de charbon contenant plus de 3% de soufre est interdit sur tout le territoire.

Toutes ces mesures contribuent donc à expliquer la chute des importations de charbon, mais aussi des émissions de plus en plus faibles de dioxyde de carbone, passées d'une croissance annuelle de 9% en 2011 à moins de 3,5% depuis 2012. Néanmoins, on peut craindre que la transition énergétique ne se révèle beaucoup trop coûteuse en cas de poursuite du ralentissement économique, même si l'objectif d'utilisation de 20% d'énergies non fossiles (nucléaire, solaire, éoliennes etc.) en 2030 (contre 11% aujourd'hui), présenté en novembre dernier, n'est pas très ambitieux.

Quelles sont les conséquences de ces baisses de cours de matières premières et de commandes de la Chine (sur le court et long terme) pour la croissance des autres émergents comme le Brésil et la Russie ?

Aujourd'hui, les émergents se divisent clairement en deux blocs : ceux qui, comme la Chine, ont fondé leur croissance sur le développement de leur industrie manufacturière, et ceux qui au contraire se sont désindustrialisés ces dernières années afin de profiter pleinement de l'augmentation du cours des matières premières.

Dans cette deuxième catégorie, nous trouvons le Brésil et la Russie, deux pays membres du groupe des BRICS mais dont la croissance était presque nulle en 2014. Les exportations brésiliennes sont actuellement constituées à 64% de produits agricoles et miniers (n'oublions pas qu'à la fin de la décennie 1990, le Brésil exportait encore majoritairement des produits manufacturés...), et la Chine est devenue en 2009 son premier partenaire commercial en raison de cette nouvelle spécialisation, absorbant par exemple 30% des exportations brésiliennes de soja. Conjuguée à des importations croissantes de produits manufacturés, la baisse du cours des matières premières fut responsable en 2014 du premier déficit commercial brésilien depuis 2000.

De même, les exportations russes se composent à 74% de pétrole et de produits miniers, et les récentes sanctions internationales ainsi que la baisse du prix du pétrole estimée à plus de 60% depuis juin 2014 risquent de provoquer une sévère récession en 2015.  Alors que ces deux pays profitaient de cette nouvelle division du travail lorsque les cours des matières premières augmentaient, leur fragilité est donc incontestable aujourd'hui.

Notamment, la dépréciation du real et du rouble, de respectivement 40% et 70% depuis un an face au dollar, est causée aussi bien par la chute de leur solde commercial que par les sorties de capitaux étrangers ; et les politiques monétaires restrictives adoptées pour lutter contre la fuite des capitaux et une inflation importée (liée au renchérissement du prix des importations) ne font qu'accentuer les difficultés économiques de ces deux pays. Si le ralentissement économique de la Chine se poursuivait, maintenant dans le même temps les anticipations des spéculateurs au plus bas sur le marché des matières premières, l'"émergence" de nombreux pays serait de la même manière remise en question.

   Lire aussi >> "La bulle immobilière chinoise risque d'éclater bientôt"

Commentaires 2
à écrit le 25/03/2015 à 14:03
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Mme Gaulard est elle sinologue ?

à écrit le 25/03/2015 à 10:44
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Bonjour Madame Gaulard. Toujours un plaisir de vous lire ou vous écouter. Je pensai que vous alliez nous donner quelques pistes sur la possibilité qu'aurait les dirigeants de dynamiser la demande intérieure, mais... non. J'ai loupé un truc, ou..?? Ce...

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