Elections américaines : malmenée par Trump et par Biden, la Silicon Valley reste démocrate

Si Joe Biden a haussé le ton à plusieurs reprises face aux Gafam et promet de réduire l'influence de l'industrie des nouvelles technologies, il demeure bien plus populaire que son rival dans la Silicon Valley.
Si Biden n'a rien d'un champion de la Silicon Valley, il apparaît incontestablement comme un moindre mal face à l'éventualité d'un second mandat de Trump.
Si Biden n'a rien d'un champion de la Silicon Valley, il apparaît incontestablement comme un moindre mal face à l'éventualité d'un second mandat de Trump. (Crédits : DR)

À l'heure où l'échéance présidentielle américaine approche, tous les regards se braquent sur les « swing states », ces états qui votent tantôt républicain, tantôt démocrate, et qui déterminent souvent le résultat final de l'élection. En 2016, Donald Trump l'a ainsi emporté sur Hillary Clinton en s'imposant d'une courte tête en Pennsylvanie, dans le Michigan et en Floride, trois états où Biden a désormais de bonnes chances de gagner. La Californie, par contraste, offre peu de suspens, tant le Golden State semble acquis à la cause démocrate. Et au sein de cet état parmi les plus progressistes de l'Union, San Francisco et sa région, où se trouve la Silicon Valley, penchent encore plus à gauche que la moyenne. Lors de la dernière élection, Hillary Clinton a ainsi remporté 85% des suffrages à San Francisco, contre seulement 9% pour Donald Trump.

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L'argent de la Silicon Valley à 95% pour Joe Biden

Pour cette nouvelle échéance, la préférence de la Silicon Valley pour Joe Biden ne fait guère de doutes. Une récente analyse menée par le magazine américain Wired conclut ainsi que 95% des donations effectuées par les employés de six grandes entreprises des nouvelles technologies (Alphabet, Amazon, Apple, Facebook, Microsoft et Oracle) sont allées au candidat démocrate. Les employés de Google se sont montrés les plus généreux en la matière, versant un total de 1,8 million de dollars à Biden.

Plusieurs dirigeants d'entreprises ont suivi leur exemple. Dustin Moskovitz, cofondateur de Facebook et désormais CEO d'Asana (un gestionnaire de communication d'équipes), Laurene Powell Jobs, entrepreneuse et ex-femme de Steve Jobs, ou encore Mark Pingus, le fondateur de Zynga (un développeur de jeux vidéos sur les réseaux sociaux), ont ainsi tous donné le maximum légal (620 600 dollars) lors d'une levée de fonds organisée pour Joe Biden en avril dernier. Et si, de Mark Zuckerberg à Jeff Bezos en passant par Elon Musk, les milliardaires de la tech les plus célèbres ne se sont publiquement prononcés en faveur d'aucun candidat, on peut aisément deviner leurs intentions.

Zuckerberg a jugé « écœurante » la façon dont Trump a critiqué les manifestations contre le racisme qui ont fait suite à la mort de George Floyd, tandis que Jeff Bezos s'est à plusieurs reprises opposé au président durant son mandat, notamment par le biais du journal Washington Post (détenu par le milliardaire) et à travers le projet JEDI, qu'Amazon accuse la Maison-Blanche d'avoir attribué à Microsoft par animosité personnelle contre Bezos. À l'exception notable de Safra Katz, la directrice générale d'Oracle, aucun dirigeant d'une grande entreprise des nouvelles technologies n'a effectué de donation significative pour la campagne de Donald Trump. Peter Thiel, sans doute le soutien le plus célèbre de Trump au sein de l'industrie, qui avait donné 1,25 million de dollars pour sa campagne en 2016 et parlé lors de la Convention nationale républicaine, s'est cette fois-ci gardé de prendre ouvertement position.

Si les géants de la Silicon Valley se gardent d'abattre directement leurs cartes, c'est à la fois par crainte de s'aliéner totalement la Maison Blanche et de voir la totalité de leurs actions lues au regard d'un tropisme anti-Trump. Twitter et Facebook, déjà régulièrement accusés par les Républicains d'être biaisés en leur défaveur, ont ainsi récemment été de nouveau taxés de favoritisme après avoir limité la viralité d'un article du New York Post contenant des informations compromettantes sur Hunter Biden, le fils du candidat démocrate. Les deux plateformes ont motivé leur décision en affirmant que l'article n'était pas suffisamment sourcé et qu'il s'apparenterait à de la désinformation, mais Trump et ses soutiens se sont empressés d'y voir une manifestation du favoritisme de la tech pour Joe Biden.

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Comment Trump s'est fait des ennemis dans la Silicon Valley

Si la Silicon Valley penche naturellement du côté démocrate, Donald Trump a adopté lors de son mandat une attitude frontale vis-à-vis de celle-ci, qui n'a rien fait pour lui attirer ses faveurs. Ainsi, après avoir dans un premier temps courtisé les dirigeants des grandes entreprises technologiques lors d'une réunion dans la Trump Tower, le président a multiplié les mesures allant contre les intérêts de l'industrie. La rhétorique anti-immigration du président a ainsi suscité une volée de boucliers au sein d'une Silicon Valley qui doit son succès au « brain drain », c'est-à-dire à sa capacité à attirer des cerveaux du monde entier. La signature en juin dernier d'un décret présidentiel imposant une restriction sur le visa H-1B, particulièrement chéri par l'industrie des nouvelles technologies, en vue de protéger les emplois américains, a été accueillie avec froideur dans la Silicon Valley.

La guerre commerciale tous azimuts que le président a déclenchée contre la Chine a également semé la zizanie sur la côte californienne. De nouvelles législations mises en place par le président pour donner au gouvernement la possibilité de bloquer les investissements venus de l'étranger, couplées à la rhétorique protectionniste et anti-chinoise de Trump, ont conduit de nombreux investisseurs chinois à se retirer de la Silicon Valley. Ce qui était du reste l'un des buts recherchés par l'administration Trump : en juillet, le Procureur général William Barr a qualifié la Silicon Valley de « pion au service de l'influence chinoise ».

La restriction des ventes de semiconducteurs au géant chinois Huawei, visant à réduire l'influence de ce dernier, a été vertement critiquée par la Semiconductor Industry Association, un lobby de la Silicon Valley qui a mis en garde contre les ravages que cette mesure pourrait causer au sein de l'industrie. Eric Schmidt, le directeur général de Google, a quant à lui affirmé que la politique de Trump vis-à-vis de la Chine accroissait le risque de voir se développer un « splinternet » qui nuirait à tout le monde. Adam Mosseri, qui dirige Instagram (détenu par Facebook), a pointé un risque similaire lorsque l'administration Trump a parlé d'interdire TikTok aux États-Unis.

Citons, enfin, les enquêtes antitrust menées à l'encontre de Google, Facebook, Amazon et Apple sous l'administration Trump, qui ont toutes les chances de se poursuivre si le président est réélu. Un rapport du House Judiciary Committee remis début octobre conclut ainsi que les quatre entreprises ont trop de pouvoir et que les lois antitrust doivent être utilisées pour introduire davantage de compétition, ce qui pourrait prendre la forme de nouvelles règles interdisant à ces entreprises de pénétrer certains marchés, ou même, dans l'éventualité la plus extrême, d'un démantèlement. La réélection de Trump impliquerait sans doute une poursuite de la politique menée jusque-là dans ces trois domaines (immigration, attitude vis-à-vis de la Chine et régulations antitrust), ce qui ne peut guère enthousiasmer la Silicon Valley.

Lire aussi : Trump cherche à museler les réseaux sociaux avant la présidentielle, Twitter contre-attaque !

Une présidence Biden ne serait pas beaucoup plus clémente pour la Silicon Valley

Si l'administration Trump n'a pas vraiment fait les choux gras de la Silicon Valley, la perspective d'une présidence Biden n'annonce pas pour autant un renversement total en faveur de la l'industrie de la tech. Le candidat démocrate a à plusieurs reprises critiqué le pouvoir détenu par les géants technologiques, et certaines composantes de son programme vont directement à l'encontre des intérêts de ces derniers. Biden a ainsi fait l'éloge du RGPD européen, dont s'est inspirée la Californie pour rédiger sa propre loi de protection des internautes, le CCPA, et défendu l'adoption d'une loi similaire à l'échelon fédéral, chose à laquelle Trump est pour sa part fermement opposé.

Le candidat démocrate juge également que les réseaux sociaux n'en font pas du tout assez pour limiter la circulation de la désinformation et des propos haineux, et son accession à la fonction suprême pourrait signifier davantage de régulations à leur encontre, ainsi que des sanctions plus sévères en cas de manquement à ces dernières. Le candidat démocrate est particulièrement critique vis-à-vis de Facebook, qui facilite selon lui la propagation de théories du complot et contribue à dresser les Américains les uns contre les autres. Dans une interview donnée au New York Times en décembre 2019, il confiait que Mark Zuckerberg posait un « réel problème ».

Biden a enfin affiché son soutien aux travailleurs de la « gig economy », selon lui injustement traités par les plateformes techs de la Silicon Valley comme Uber, Lyft ou encore Postmates. Il a fait l'éloge d'une loi entrée en vigueur en Californie le 1er janvier, et qui oblige ces entreprises à reclassifier les travailleurs de la gig economy comme salariés, avec tous les avantages correspondants (chômage, assurance maladie, etc.). Une fois installé à la Maison-Blanche, Biden pourrait instaurer une loi similaire à l'échelon fédéral, obligeant ces entreprises à revoir intégralement leur modèle d'affaires.

Lire aussi : Des parlementaires démocrates avancent des solutions pour casser le «monopole» des GAFA

Biden, un moindre mal pour l'industrie de la tech

Si Biden n'a rien d'un champion de la Silicon Valley, il apparaît incontestablement comme un moindre mal face à l'éventualité d'un second mandat de Trump. Bien qu'il ait à maintes reprises haussé le ton contre la Chine, il a également qualifié de « désastreuse » la guerre commerciale à son encontre, et son accession à la présidence marquerait sans doute un infléchissement de cette politique. Et dans un contexte où les géants des nouvelles technologies s'attirent les foudres des politiques, la rhétorique, certes ferme, de Biden demeure plus mesurée que nombre de ses rivaux. Lors des primaires démocrates, il n'a ainsi jamais appelé au démantèlement des Gafam, contrairement à ses rivaux Bernie Sanders et Elizabeth Warren.

La colistière de Joe Biden, Kamala Harris, actuellement sénatrice de Californie et originaire de la région de la Baie, est également plutôt bien vue dans le monde de la tech, et a notamment soutenu le principe d'un internet neutre, mis à mal par la suppression de l'Open Internet Order sous l'administration Trump, une décision qui avait suscité de nombreuses critiques au sein de l'industrie des nouvelles technologies. Une présidence Biden pourrait marquer un retour sur cette décision. Biden a enfin pour avantage d'avoir lui-même servi comme vice-président d'une administration Obama plutôt technophile. Autant d'éléments qui lui valent de nombreux soutiens au sein de la Silicon Valley.

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Commentaires 8
à écrit le 03/11/2020 à 8:26
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biden ou trump, ce sera drole si le bidochon US est elu, de constater le depit de certains pro-trump. On attend avec impatience le resultat du match. Comme disent les Brit, "wait and see".

à écrit le 03/11/2020 à 8:17
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Une nouvelle fois, j'ai été censuré donc je remets ma contribution d'hier Bernardino a écrit le 02/11/2020 à 16:14: Il faut savoir raison garder et se baser sur des faits et non pas sur des impressions. Les cours des GAFAM ont été multipliés p...

à écrit le 02/11/2020 à 16:14
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Il faut savoir raison garder et se baser sur des faits et non pas sur des impressions. Les cours des GAFAM ont été multipliés par au moins 5+ depuis 4 ans ans donc je ne crois pas que le Président Donald Trump a fait quelque chose contre ces entrepri...

à écrit le 02/11/2020 à 12:26
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plus de 65% des financements de campagne provenant des entreprises cotées au Dow Jones sont allés à Biden. Manifestement le mode de gouvernance guerrier de Trump n'est plus aussi apprécié qu'auparavant. La Chine est un adversaire plus coriace qu...

à écrit le 02/11/2020 à 8:38
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Ben oui puisque BIDEN c'est le BIEN, c'est le progrès, c'est l'humanisme contre TRUMP qui lui est le MAL, c'est le racisme, c'est rétrograde, c'est méchant. Grotesque comme la plupart de vos articles concernant ces élections américaines, vous ave...

le 02/11/2020 à 9:22
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@ citoyen blasé Trump, c'est quand même le degré Zéro de la politique. L'appétence d'une partie du peuple Américain pour Trump en dit long sur le niveau d'éducation (intellectuel?)de cette frange de population généralement pro armes... vulgaire...

le 02/11/2020 à 16:45
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Entièrement d'accord avec Citoyen blasé. C'est une répétition général de la propagandes des médias américains tous contre Trump pour imoser au monde un senil corrompu. Lamentable. Je pensais que la tribune différait des autres médias mais je déc...

le 02/11/2020 à 17:58
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Marylin Manson ? Ah enfin un soutien de choix ! Bravo pour votre français je suis touché ! :-)

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