Le retour d'une guerre « tiède » entre pays émergents et pays développés

DOSSIER MONDIALISATION. La pandémie a remis au goût du jour la notion de souveraineté économique et le conflit en Ukraine déclenché par la Russie a ravivé un climat de guerre froide. Mais les intérêts économiques des pays qu'ils soient émergents ou développés s'inscrivent dans une mondialisation qui se structure autour de la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis.
Robert Jules
Sommet des Brics en juin.
Sommet des Brics en juin. (Crédits : Reuters)

La pandémie du Covid-19 avait montré la trop grande dépendance des économies développées aux chaînes d'approvisionnement des émergents, notamment la Chine. Cette fragilité les a poussés à redéfinir une politique industrielle plus souveraine et stratégique, comme en témoigne le plan NextGenerationUE en Europe, ou les plans de relance aux Etats-Unis. La guerre en Ukraine a montré à l'Europe que l'énergie pouvait se transformer en arme géopolitique entre les mains de Moscou qui la rendait extrêmement vulnérable. Cette prise de conscience aujourd'hui a mis un terme à la « mondialisation heureuse » que Donald Trump avait déjà bien torpillé, avec son programme « America First » et un protectionnisme qui visait la Chine.

Car loin d'avoir réussi à intégrer l'ensemble des pays, la division entre pays développés et pays émergents a été ravivée ces dernières années, à tel point que l'on a pu évoquer le retour de la guerre froide.

Un excellent accueil pour Vladimir Poutine

En témoigne le dernier sommet des Brics, qui réunissait fin juin le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud. Considéré comme un paria en Occident, le président russe Vladimir Poutine a reçu un excellent accueil. Dans son discours, il a dénoncé les sanctions économiques imposées par les pays occidentaux et a appelé à faire l'unité des pays émergents. Il a pu compter sur l'appui du président Xi Jinping qui n'entend pas se plier aux demandes de boycotts des pays occidentaux et a désigné « l'expansionnisme américain » comme étant « le principal problème mondial ». La Chine a notamment exprimé à plusieurs reprises sa compréhension de la position de la Russie selon laquelle l'élargissement de l'adhésion à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (Otan), soutenue par les États-Unis, menace sa sécurité nationale. Le propos n'est pas nouveau, il s'inscrit dans la compétition entre la Chine et les Etats-Unis pour le statut de première puissance économique mondiale.

Car derrière cette rhétorique, chaque pays défend ses propres intérêts. Trois membres des Brics, Chine, Inde et Afrique du Sud, s'étaient abstenus lors du vote début mars d'une résolution de l'ONU condamnant l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et le Brésil avait voté pour. La neutralité de Pékin et de New Delhi s'explique par les liens militaires étroits qu'ont ces deux pays avec Moscou. Et depuis quelques semaines, ils sont devenus les premiers acheteurs de pétrole russe, réalisant une bonne affaire car vendu à un prix inférieur à celui du marché.

Effets collatéraux

Néanmoins, durant le sommet, certains représentants ont pointé les effets collatéraux de la décision de Moscou de se lancer dans cette guerre contre l'Ukraine. Notamment l'inflation et en particulier celle concernant les prix de l'énergie et des produits alimentaires, mais aussi la perturbation de l'approvisionnement notamment de céréales. Dans le communiqué final, le groupe a soutenu l'option de pourparlers rapides entre Moscou et Kiev, manifestant ainsi leur désir d'une solution négociée pour revenir à la normale.

En effet, les pays émergents en Afrique, en Asie et en Amérique latine, en particulier pour les plus petits d'entre eux déjà fragilisés par la pandémie, voient monter les risques d'agitation sociale en raison des prix élevés des produits alimentaires de base et des pénuries d'essence et d'électricité, à l'exemple du Sri Lanka, en plein chaos.

Car au-delà de la géopolitique, la priorité des pays émergents est le développement économique (sur la décennie 2011-2021, ils ont représenté 67% de la croissance mondiale). À eux seuls, le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud abritent plus de 40% de la population mondiale et pèsent près d'un quart du produit intérieur brut (PIB) de la planète (près de 50% en intégrant tous les pays émergents). C'est la raison pour laquelle, les Brics se présentent comme une instance porte-parole de tous les pays émergents.

Elle est loin d'être la seule. Dans toutes les régions du monde, les émergents consolident leur collaboration. À l'exemple de la plus grande organisation régionale du monde, l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) où l'on retrouve parmi les 21 pays membres la Chine, la Russie, l'Inde mais aussi le Pakistan. Leur territoire total dépasse 34 millions de km², soit plus de 60% du territoire du continent eurasien. Leur population totale s'élève à plus de 3 milliards de personnes, soit près de la moitié de la population mondiale.

Différends entre l'Inde et la Chine

Par ailleurs, chaque pays émergent cherche à favoriser ses échanges avec l'Europe et les Etats-Unis. Narendra Modi, Premier ministre indien, a accepté un cadre économique indo-pacifique promu par Washington pour contrer la puissance commerciale de la Chine dans la région, mais a refusé de céder à Joe Biden sur la condamnation de la Russie.

En outre, la Chine et l'Inde ont de nombreux différends et conflits, par exemple au Cachemire. Et si l'Inde est devenue récemment un des principaux acheteurs du brut russe, c'est aussi parce que ses raffineurs comptent bien vendre leur essence, diesel, mazout et kérosène aux pays européens.

Quant au Brésil, s'il s'est opposé officiellement à la guerre en Ukraine, il a refusé de soutenir les sanctions, car un cinquième de ses engrais est importé de Russie, nécessaire pour le secteur de l'agroalimentaire, un pilier de l'économie brésilienne.

Les intérêts fonctionnent aussi dans l'autre sens. Joe Biden s'est rendu en juillet en Arabie Saoudite pour convaincre Riyad d'augmenter son offre de pétrole sur le marché mondial, dans l'espoir de faire baisser les prix du carburant aux Etats-Unis. Le président a ainsi abandonné son idée de transformer le royaume saoudien en Etat paria comme il l'avait affirmé en arrivant à la Maison-Blanche, après avoir autorisé la publication d'un rapport de la CIA qui accusait le prince héritier Mohammed ben Salmane d'être le commanditaire du meurtre en Turquie en 2018 du journaliste et opposant américano-saoudien Jamal Khashoggi.

Prise de conscience des pays occidentaux

Dans cette nouvelle conjoncture, les pays occidentaux ont également pris conscience d'avoir des relations avec les pays émergents. A l'issue du sommet du G7, l'annonce a été faite d'un engagement à lever 600 milliards de dollars de fonds privés et publics sur cinq ans pour financer des infrastructures dans les pays émergents, notamment l'Afrique sub-saharienne, pour les aider à se développer, mais aussi, s'assurer d'un accès aux matières premières, notamment des métaux. L'objectif est de ne pas laisser la seule Chine, qui a investi massivement depuis des années dans nombre de pays en développement jusqu'à en devenir le principal créancier (voir graphique), en accordant certaines facilités, qui se révèlent néanmoins pour certains un piège. Ainsi, le Sri Lanka, se retrouve tellement dépendant du financement chinois que pour restructurer sa dette, il est obligé de céder certains actifs, comme la gestion de l'un de ses principaux ports.

Dette envers Chine

Cette initiative, là aussi, relève d'une prise de conscience. Les pays du G7 ne consacrent en moyenne que 0,32% de leur revenu national brut, soit moins de la moitié des 0,7% promis, à l'aide au développement. Elle est une illustration supplémentaire que c'est bien la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis qui structure la nouvelle mondialisation, chaque pays ou région se positionnant par rapport à cet axe selon ses intérêts.

Robert Jules
Commentaires 5
à écrit le 25/07/2022 à 15:17
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Des pays comme la France qui au nom de l'idéologie mondialiste s'est fait "hara kiri" économiquement commencent à comprendre leurs monstrueuses naïveté face à des pays émergents qui n'ont plus rien d'émergent mais qui sont devenus de véritables préda...

à écrit le 25/07/2022 à 8:41
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il est temps de faire baisser le nombre des naissances dans les pays du tiers monde :) plannig familiale et concraception pour sauver la planete !

le 25/07/2022 à 14:28
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Il est temps de vous informer correctement et de sortir de vos idées préconçues : si la population mondiale continue à augmenter, le taux d’accroissement naturel (différence entre le taux de natalité et le taux de mortalité) diminue régulièrement : i...

le 25/07/2022 à 18:07
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La chine a abandonné la politique de l'enfant unique pour faire face au vieillessement de sa population . Désolé pour vous ce ne sont pas les naissances qu'il faut contrôler mais le nombre de vieux !!! et vous verrez ou non , j'ignore votre âge que ...

à écrit le 25/07/2022 à 8:35
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La décolonisation est terminée, mais le ressenti de nombreux pays reste négatif par rapport à leurs anciens maîtres. La plupart d'entre ont évolué vers des régimes autoritaires qui s'accordent parfaitement avec des pays forts comme la Russie et la C...

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