Lithium : le Chili va lancer une entreprise nationale d'exploitation pour profiter de l'envolée de la demande

L'annonce de la création d'une entreprise publique chargée d'exploiter le lithium chilien en partenariat avec des compagnies privées a surpris. Le président chilien Gabriel Boric, qui doit financer les programmes sociaux sur lesquels il a été élu, compte profiter de la demande mondiale croissante et des prix élevés d'un métal indispensable à la transition énergétique.
Robert Jules
Le président chilien Gabriel Boric lors d'une discours à Antofagasta, ville minière située dans le nord du pays, le vendredi 21 avril au lendemain de son annonce à la télévision de la création d'une entreprise publique pour développer sa « stratégie nationale du lithium pour le Chili et son peuple ».
Le président chilien Gabriel Boric lors d'une discours à Antofagasta, ville minière située dans le nord du pays, le vendredi 21 avril au lendemain de son annonce à la télévision de la création d'une entreprise publique pour développer sa « stratégie nationale du lithium pour le Chili et son peuple ». (Crédits : Reuters)

Le lancement prochain d'une entreprise publique d'exploitation du lithium, annoncée vendredi dernier par le président du Chili Gabriel Boric, inquiète le monde minier. En effet, le lithium constitue l'un des métaux stratégiques dans la production de batteries pour véhicules électriques, dont la demande explose.

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« La sécurisation de l'approvisionnement en lithium est devenue une priorité pour les entreprises technologiques en Asie, Europe et Amérique du Nord », souligne dans son dernier rapport, l'USGS, l'institut d'études géologiques des Etats-Unis (USGS). Or le Chili est un acteur majeur de ce marché. En 2022, sur les 130.000 tonnes extraites, il en était le deuxième producteur mondial (39.000 tonnes) derrière l'Australie (61.000 tonnes), mais largement devant la Chine (19.000 tonnes). Surtout, il possède les premières réserves mondiales, qui peuvent être exploitées dans les conditions économiques et techniques actuelles, soit 6,7 millions de tonnes.

Chute des actions des groupes miniers exploitant le lithium

Cette potentielle manne sera-t-elle mieux exploitée par un acteur public? Les investisseurs en doutent puisqu'ils ont réagi négativement au lendemain de l'annonce. Les titres des deux principales compagnies minières extrayant le lithium des saumures salées situées sous le désert de sel d'Atacama, au nord du pays, chutant lourdement en Bourse. Sociedad Quimica y Minera de Chile (SQM), l'un des premiers producteurs mondiaux, dont l'actionnaire de référence est le groupe chinois Tianqi Lithium Corp, a perdu 20% de sa valeur. La compagnie étasunienne Albemarle, cotée à New York a de son côté  perdu 10%.

Si les cours sont légèrement repartis à la hausse au début de cette semaine, les investisseurs attendent d'en savoir davantage sur le projet de l'exécutif chilien. Dans un communiqué, Albemarle s'est voulu rassurant, confiant que l'Etat chilien respecterait les contrats existants, le sien courant jusqu'à 2043, alors que celui de SQM vient à expiration en 2030.

La décision répond également à des considérations politiques. Ancien leader des étudiants qui furent à la pointe de la contestation pour tourner définitivement la page de l'héritage dictatorial d'Augusto Pinochet, le jeune président de 35 ans s'est fait élire sur un programme de gauche, promettant un État-providence basé sur un système de retraite public, une couverture de santé nationale et un système d'éducation publique de qualité. Une réforme fiscale doit également augmenter l'impôt des ménages les plus riches et des grandes entreprises. Tout en promettant de protéger les droits des travailleurs, de l'environnement et des minorités.

Une croissance économique en berne

La question du financement de ce programme se pose au moment où l'économie chilienne affiche au dernier trimestre de l'année dernière un contraction de son PIB de 2,3%. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit un recul de l'activité de 1% cette année. Le pays est très dépendant de ses exportations de minerais et métaux (le cuivre dont il est le premier producteur mondial représente à lui seul plus de 20% de la valeur totale des exportations) pour ses revenus.

Reste à savoir si l'intervention publique est de nature à générer de la valeur dans le secteur. La Sofofa, une association qui regroupe des entreprises privées du pays, a fait part dans un communiqué de sa « surprise » devant la défiance à l'égard des acteurs privés pour exploiter le lithium, rappelant que, dans le secteur du cuivre, la compagnie publique Codelco et des compagnies minières privées, dont la plupart étrangères, opéraient de façon complémentaire pour un meilleur développement du secteur.

Gabriel Boric s'est d'ailleurs montré prudent en précisant que la future société publique dédiée au lithium prendra des participations majoritaires dans des projets exploités en partenariat avec des compagnies privées. Autrement dit, le pays n'entend se priver ni de l'expertise ni des capitaux du secteur privé international.

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Même si l'initiative du président chilien ne prône pas une nationalisation du secteur, plusieurs décisions récentes font craindre le retour d'une forme de « nationalisme des ressources », notamment en matière de restrictions des exportations des pays producteurs. Ainsi, le Mexique a récemment nationalisé ses réserves de lithium alors que l'Indonésie a renforcé le contrôle de son industrie du nickel. En Mongolie, la compagnie minière Rio Tinto a dû renégocier les termes financiers pour exploiter la mine de cuivre Oyu Tolgoi en Mongolie.

L'OCDE fait part de ces préoccupations sur ce durcissement du marché des minerais et métaux stratégiques. Dans un rapport publié ce mois-ci, « Raw Materials Critical for the Green Transition: Production, International Trade and Export Restrictions », l'organisation pointe les conséquences des restrictions des pays producteurs effectuées ces dernières années, notamment pour pouvoir effectuer la transition énergétique dans le monde. « Les restrictions à l'exportation peuvent jouer un rôle non négligeable sur les marchés internationaux des matières premières essentielles, affectant la disponibilité et les prix de ces matières. Les pays de l'OCDE sont de plus en plus exposés à l'utilisation de restrictions à l'exportation de matières premières essentielles », alerte l'organisation dans le document.

Flambée des cours

Avec un niveau d'inflation inconnu depuis 40 ans, la flambée des prix de certaines matières premières peut compliquer la décarbonation de l'économie mondiale. Ainsi, l'année dernière, le prix au comptant de la tonne de carbonate de lithium en Chine est passé de 35.000 dollars en janvier à 67.000 dollars en novembre. Quant aux contrats de long terme, le prix moyen de la tonne aux Etats-Unis s'élevait à 37.000 dollars l'année dernière, soit le triple de celui de 2021, indique l'USGS.

« Le durcissement des règles fiscales et autres applicables aux projets de ressources détenues par des étrangers est l'un des ingrédients qui expliquent que les prix des métaux restent élevés pendant longtemps, tout comme les flux d'investissements miniers vers l'Australie, le Canada et les États-Unis », commente Ben Laidler, stratégiste sur les marchés globaux pour eToro, à propos de la décision du président chilien.

Car, malgré la richesse de son sous-sol, le Chili a du mal à développer de nouvelles mines en raison d'un contrôle réglementaire strict sur le minerai qui limite l'investissement des entreprises étrangères dans l'industrie minière. L'incapacité du Chili à développer de nouvelles mines de lithium fait craindre que le pays ne profite pas d'une demande du métal qui va être multipliée par 40 sur la période 2020-2040, selon les projections de l'Agence internationale de l'énergie (AIE).

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Le Chili a déjà perdu des parts de marché au profit de l'Australie qui lui a ravi le rang de premier producteur mondial de lithium en 2017, et de l'Argentine voisine, plus ouverte aux groupes miniers chinois, américains et européens, dont le français Eramet. Selon les experts de la banque JP Morgan, l'Argentine devrait dépasser le Chili en 2028. A moins, que l'initiative du président chilien accélère le développement de l'exploitation du lithium pour financer ses programmes sociaux.

Robert Jules
Commentaire 1
à écrit le 26/04/2023 à 3:36
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Un nouveau gouffre financier public qui servira les intérêts de kleptocrates socialistes (e.g. Lula) en Amérique latine.

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