"La hausse des prix des matières premières dans le sillage de la guerre en Ukraine va probablement peser sur la croissance mondiale et augmenter l'inflation." C'est la conclusion d'une note de recherche des experts de la Banque des règlements internationaux (BRI), publiée mercredi.
Depuis le début de l'année, l'indice CRB, qui intègre le prix de 19 matières premières (énergie, métaux et produits agricoles), a bondi de plus de 33% (et de près de 54% sur un an) (voir graphique).
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Une flambée qui inquiète les gouvernements car elle alimente une hausse des prix générale de nature à provoquer une récession et des troubles sociaux. "L'Espagne et le Portugal ont obtenu le feu vert de l'UE pour réduire les prix de l'électricité ; le prix du gaz naturel utilisé par les centrales électriques dans la péninsule ibérique devrait atteindre en moyenne 50 euros/MWh au cours des 12 prochains mois contre 95 euros actuellement. Cela pourrait réduire leur inflation d'environ 1,5 point de pourcentage", estime Fabio Balboni, économiste chez HSBC.
Si l'appréciation des cours de l'énergie avait déjà été enclenchée en 2021, notamment en Europe, c'est surtout l'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février qui a accentué le phénomène. "Les prix du pétrole brut ont augmenté de plus de 30%, ceux du gaz naturel en Europe de plus de 60%. Ceux de l'alimentation et des métaux ont également flambé", constatent les analystes de la BRI, Deniz Igan, Emanuel Kohlscheen, Gabriela Nodari, et Daniel Rees.
10% de l'offre mondiale de blé
La Russie, soumise aux sanctions occidentales, et l'Ukraine, pays qui subit les destructions de la guerre, représentent à eux deux 10% de l'offre mondiale de pétrole et de blé, 5% du maïs et plus de 20% de la production mondiale de gaz naturel. Il faut également ajouter une production substantielle de métaux (dont 10% du nickel et 35% du palladium) pour la production d'avions, d'automobiles et de puces électroniques.
Cette réduction de l'offre créée par la guerre en Ukraine a un impact sur la croissance et l'inflation mondiale. Une "hausse de 10% des prix du pétrole engendrée par une faible offre mondiale de brut réduit le PIB en moyenne pour les économies développées de 0,5% au bout de 2 ans", estiment les analystes de la BRI. En revanche, sans changement majeur des fondamentaux du marché pétrolier, "la réduction du PIB sera de moins de 0,2%", tempèrent-ils. Pour les matières premières agricoles, les effets sont amplifiés (voir graphique).
À partir de leur modèle, ils anticipent que "la hausse des prix des matières premières depuis le début de l'année devrait réduire la croissance dans les économies développées de 0,7 point de pourcentage d'ici la fin de 2023".
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Quant à l'inflation, une hausse de 10% des prix du pétrole l'augmente de 0,2 point de pourcentage, et du double pour les produits agricoles. Même l'inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) augmente même si c'est seulement de moitié par rapport au cas de l'inflation générale.
Propagation rapide à l'ensemble de l'économie
En effet, la cherté des matières premières se propage directement, par exemple le brut en essence, le blé en pain, mais aussi indirectement à travers la production industrielle, comme dans le cas des métaux, qui renchérit le prix du produit final pour le consommateur, et réduit son pouvoir d'achat.
Appliquée à la situation actuelle, cette projection devrait faire augmenter l'inflation dans les économies développées de 1 point de pourcentage, alors même qu'elle atteint déjà en avril le record de 7,4% sur un an en zone euro, et de 8,1% dans l'Union européenne, selon les données d'Eurostat.
La note de recherche s'interroge également sur le parallèle avec les chocs pétroliers des années 1970. Il a été souvent évoqué, notamment en janvier dernier, alors que l'invasion russe de l'Ukraine apparaissait inimaginable, par le ministre de l'Economie français, Bruno Le Maire.
Retour aux années 1970 ?
Cette comparaison, aux yeux des experts de la BRI, a ses limites. Certes, il s'agit d'un choc d'offre mais il ne se réduit pas au pétrole mais touche pratiquement toutes les matières premières. Par exemple, dans le cas de la Russie, les sanctions vont non seulement réduire l'offre de produits énergétiques mais aussi celle de fertilisants ce qui va "diminuer les rendements de la production agricole mondiale", soulignent-ils.
En outre, en 1973, les prix du pétrole avaient doublé en une semaine, et en un an en 1979. Aujourd'hui, les prix du brut sont supérieurs d'à peine plus de 50% à ceux où ils se trouvaient au début de 2022. Et en termes réels (prix nominaux moins l'inflation), ils sont inférieurs à leur niveau du début des années 2010.
Les analystes de la BRI rappellent aussi la baisse de l'intensité énergétique. Par rapport aux années 1970, il faut moitié moins de pétrole pour produire la même unité de PIB.
Le cadre institutionnel a également changé. La politique monétaire n'est plus menée directement par les gouvernements qui en faisaient un usage politique mais par des Banques centrales indépendantes qui ont un objectif de taux à respecter, en général 2%. Ce changement a permis de maîtriser l'inflation, contrairement aux années 1970.
C'est d'ailleurs la mise en garde de la note de recherche des analystes de la BRI. Si un scénario de la stagflation comme celui des années 1970 paraît improbable, en revanche, la persistance de prix élevés et volatils des matières premières pourrait perturber l'économie mondiale. Et "avant qu'elle ne soit intégrée dans les décisions des ménages et des entreprises", ils préconisent de donner la priorité à un retour rapide à une faible inflation, autrement dit une hausse des taux.