Mettre fin à l’hégémonie du dollar sur l’économie mondiale est-elle une panacée ?

Le recours au dollar dans l'économie mondiale s'est réduit, notamment depuis le début de la guerre en Ukraine, et les sanctions occidentales contre la Russie. De nombreux pays émergents veulent éviter d'être trop exposés au billet vert, notamment dans les échanges commerciaux. Une configuration qui profite au yuan sans remettre an cause la suprématie du dollar sur l'économie mondiale, car si une monnaie dominante a des avantages, son statut implique aussi des devoirs à l'égard des autres économies. Explications.
Robert Jules
(Crédits : Reuters)

La dé-dollarisation de l'économie mondiale est-elle une lutte contre la domination militaire et économique des Etats-Unis? Un anti-impérialiste pourrait le penser. « C'est comme si l'hégémonie du dollar était un mal à expurger pour que le monde puisse prospérer », ironise Steven Barrow, économiste à la Standard Bank. En réalité, cette contestation du dollar omet de s'interroger sur ce qu'est une monnaie dominante et son rôle.

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Aujourd'hui, la question est vue à travers le prisme de la compétition entre la Chine et les Etats-Unis qui se disputent le leadership mondial, avant tout à travers une guerre commerciale qui s'est intensifiée depuis la présidence de Donald Trump. Elle a pris de l'ampleur depuis l'offensive militaire déclenchée par la Russie en Ukraine, en s'élargissant et ressuscitant une nouvelle guerre froide entre pays émergents et pays développés. En effet, les sanctions appliquées contre la Russie par les pays occidentaux, qui l'ont exclue du système financier dominé par le dollar, l'ont reléguée au rang d'Etat paria comme le Venezuela et l'Iran. Une décision qui a été interprétée comme un avertissement dans de nombreuses capitales émergentes d'autant que commercer en dollars même hors des Etats-Unis expose à la juridiction extra-territoriale du droit américain et à des sanctions qui vont de l'amende à l'interdiction d'activité aux Etats-Unis.

« S'éloigner des systèmes de paiements occidentaux »

« Il est nécessaire de s'éloigner des systèmes de paiements occidentaux pour protéger nos transactions de possibles répercussions géopolitiques », affirmait ainsi fin mars à Jakarta le président indonésien Joko Widodo, lors du sommet de l'Asean (Association des nations de l'Asie du sud-est, à Jakarta (Indonésie), composé de 10 pays représentant plus de 664 millions de personnes. Les discussions y ont notamment porté sur la façon de réduire la dépendance non seulement au dollar mais aussi à l'euro, au yen et à la livre sterling, ce qui passe par un système financier promouvant par exemple des cartes de crédit émises par des banques locales plutôt que celles des réseaux Mastercard et Visa.

D'ailleurs, les annonces de contrats substituant le yuan au dollar entre pays émergents se sont multipliées ces derniers mois. Si elles concernent avant tout les achats de matières premières dont la Chine est le premier importateur mondial, pétrole russe et saoudien, gaz émirati ou encore soja brésilien ou argentin, d'autres transactions commerciales internationales se font en real brésilien ou roupie indienne.

Toutefois, ces choix ne remettent pas en cause la domination du billet vert. « Le dollar est la monnaie internationale la plus utilisée : facturation, financement du commerce, paiements transfrontaliers et financement sur les marchés mondiaux des capitaux. Il représentait 88 % de toutes les transactions de change en avril 2022, (...) inchangée par rapport à l'enquête précédente en 2019. Plus que d'autres devises, les mouvements du dollar affectent donc l'économie mondiale par le biais de l'inflation, des conditions commerciales et financières »rappelle la Banque des règlements internationaux (BRI) dans son dernier rapport.

Il n'empêche que la part du dollar dans les réserves de changes mondiales est passée de 71% en 1999, à 58% en 2022, l'euro comptant pour 20,5%, le yen pour 5,5% et la livre sterling pour près de 5%. Le yuan, lui, ne représentait qu'à peine 2,7%. En outre, comme pour le commerce, les données montrent un fléchissement depuis quelques mois: entre le troisième trimestre 2021 et le quatrième 2022, les réserves en dollars ont baissé de 8,6 %. Un mouvement auquel participe largement la Chine. Deuxième pays étranger détenteur de la dette américaine derrière le Japon, elle a réduit son stock de 17,5% entre février 2022 (mois du déclenchement de l'offensive russe) et février 2023. Parallèlement, les achats d'or physique des banques centrales, majoritairement des pays émergents, ont bondi de 152% en 2022 par rapport à 2021, un record précise le World Gold Council.

Les devoirs d'une valeur refuge

Que les pays notamment émergents, non alignés sur l'Occident, cherchent à développer et protéger leur commerce, réduire le coût des transactions et diversifier leurs réserves de change en réduisant leur exposition est une chose, se passer du billet vert en est une autre. Car « la dé-dollarisation pourrait ne pas être le nirvana économique et financier que certains supposent », affirme Steven Barrow. En effet, si les Etats-Unis peuvent grâce à leur devise creuser leurs déficits financés par les autres pays via leurs achats de dollars, ce fameux « privilège exorbitant » que dénonçait en son temps l'ancien président français Valéry Giscard d'Estaing, il n'en reste pas moins que « le statut de monnaie dominante implique des responsabilités », pointe l'économiste de la Standard Bank.

Ainsi, lorsque surgissent des crises mondiales - financière en 2008 ou sanitaire en 2020 -, tous les pays se ruent sur le dollar, considéré comme valeur refuge. Or durant ces moments-là, la forte croissance de sa demande entraîne une forte appréciation du dollar, ce qui réduit la valeur des actifs que les Etats-Unis possèdent hors du pays et augmente celle des actifs détenus aux Etats-Unis par les pays étrangers. Autrement dit, un important transfert de richesse s'opère des Etats-Unis vers les pays étrangers qui aide à amortir le choc de la crise pour l'économie mondiale, comme on peut le constater (voir graphique) avec la crise financière de 2008 et la pandémie de 2020.

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dette des Etats-Ujis

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La Chine serait-elle prête à accepter de telles « pertes »? Rien n'est moins sûr. Pour bénéficier du « privilège exorbitant », elle devrait accepter que le yuan flotte, c'est-à-dire que sa  valeur soit fixée par l'offre et la demande sur le marché des changes, et perdre le contrôle direct de son taux de change, ou sa « manipulation » selon le Congrès américain. Un option que le Parti communiste chinois refuse car elle lui ôterait un levier pour gérer et contrôler l'économie du pays.

Des prêts chinois devenus problématiques

Autre indice que la Chine ne cherche pas octroyer au yuan un statut de devise dominante, sa gestion des dettes qu'ont contractées les pays pauvres auprès d'elle. Depuis 2000, Pékin a dépensé en cumulé 240 milliards de dollars pour renflouer 22 pays débiteurs en difficulté. Et ce problème va croissant puisque 60% de ses prêts sont devenus problématiques (voir graphique).

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Dette envers Chine

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« De nombreux pays, Etats-Unis en tête, ont été atterrés de voir que la Chine ne s'est pas engagée à restructurer les dettes de nombreux pays, notamment en Afrique. Pour la Chine, la flexibilité nécessaire au fonctionnement d'une monnaie dominante s'avère être une marche trop haute à monter pour défier les Etats-Unis », juge Steven Barrow.

Une monnaie dominante doit en effet assurer sa liquidité, en particulier durant les périodes de crise. Car en cas de pénurie de dollars, les banques centrales étrangères n'ont d'autre option que de resserrer fortement leur politique monétaire pour éviter une dépréciation rapide de leur monnaie préjudiciable aux économies locales.

C'est la raison pour laquelle la Fed a multiplié depuis la crise financière de 2007-2008 des accords de « swaps » avec les principales banques centrales à travers le monde. Ce dispositif qui prévoit un échange de devises entre deux banques centrales permet d'obtenir des liquidités dans différentes devises auprès de leurs instituts d'émission respectifs. Ces liquidités sont habituellement mises à la disposition des banques commerciales opérant sur le marché domestique, notamment lorsque des tensions financières apparaissent. Grâce à cette disposition, il n'y a pas d'assèchement du marché en dollars. Ce mécanisme a été récemment mis en œuvre avec la chute de la banque américaine SVB et du Credit Suisse, permettant d'éviter toute crise systémique en à peine quelques jours.

Des swaps commerciaux

De son côté, la Chine a également passé des accords de swaps avec les banques centrales de 49 pays entre 2009 et 2020, par exemple avec le Nigeria et la Grande-Bretagne. Mais dans ce cas aussi, ces facilités de liquidités visent d'abord à fluidifier les échanges commerciaux et les investissements dans un cadre bilatéral, en réduisant le coût de la volatilité des monnaies locales par rapport au billet vert tout en évitant les inconvénients politiques de l'extraterritorialité du dollar. Ces dernières années, la Chine a aussi utilisé ces swaps pour remplacer les prêts aux pays avec qui elle commerce.

Finalement, si Pékin entend bien utiliser sa devise pour renforcer sa présence dans l'économie mondiale, c'est avant tout pour préserver et augmenter ses parts de marché  dans sa guerre commerciale face aux Etats-Unis et non dans une volonté de faire du yuan une devise dominante au regard des implications qu'un tel statut implique. Du moins, pour le moment.

Robert Jules
Commentaires 8
à écrit le 30/04/2023 à 9:53
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Bonjour, Le problème est que les usa utilise la valeur du dollars comme un moyen d'oppression sur les autre pays du monde ... Par une valeur qui n'est pas réaliste et par tous un arsenal politique et judiciaire inacceptables... Donc tous cela ne p...

à écrit le 28/04/2023 à 16:12
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Ça évitera aux poules d'être victimes du chantage du coq.

à écrit le 28/04/2023 à 13:23
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Bon article. En plus les USA ont accepté des déficits commerciaux massifs, ce qui a indirectement financé les autres pays. Si un jour la monnaie d'un pays mercantiliste devenait dominante je crois que pour les autres pays ça serait bcp pire que avec ...

le 28/04/2023 à 14:20
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C'est ça, c'est mieux qui si c'était pire. A moins que ça ne soit pire que si c'était mieux.

à écrit le 28/04/2023 à 10:07
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Avec une monnaie non convertible et manipulée par le Parti communiste chinois, le remède est pire que le mal.

à écrit le 28/04/2023 à 9:34
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L'Argentine choisit la Chine plutôt que le FMI. A suivre.

à écrit le 28/04/2023 à 9:21
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La puissance des USA repose en partie sur le dollar et son contrôle et il en use et en abuse. Il est sans doute vrai qu'avec d'autres devises nous serions tenus de réduire notre endettement.

à écrit le 28/04/2023 à 9:00
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que ceux qui veulent une monnaie imprimee par le parti communiste levent la main! ah, je vois que tous les pays di tiers monde sont volontaires, bravo a eux.....et quand ca va derouiller, ils devront ferailler avec uncle chang, qui lui, n'annule pas ...

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