Au lendemain de l'attentat terroriste perpétré vendredi contre les spectateurs venus assister à un concert de rock du groupe Piknik dans le Crocus City Hall, une salle de Krasnogorsk, située en banlieue à la sortie nord-ouest de Moscou, le bilan s'alourdissait. Hier en fin d'après-midi, les autorités russes faisaient état de 133 morts.
Le président Vladimir Poutine, qui a attendu samedi avant de s'exprimer, a décrété un jour de deuil national ce dimanche et a promis que « ceux qui sont derrière ces terroristes seront punis », précisant que les « quatre auteurs » de l'attaque avaient été arrêtés au moment où « ils se dirigeaient vers l'Ukraine », s'apprêtant à franchir la frontière.
Revendication de l'Etat islamique
La revendication par l'État islamique, dans un communiqué publié sur le réseau Telegram par son agence de presse Amaq, a été jugée crédible par les services de renseignement américains, qui avaient d'ailleurs averti d'un tel risque le Kremlin, resté sourd à l'alerte. Pourtant, Vladimir Poutine, réélu la semaine dernière pour un cinquième mandat présidentiel dans un scrutin dont l'opposition avait été écartée, avait fait de la sécurité intérieure et extérieure du pays l'un des principaux thèmes de sa campagne électorale, se positionnant comme le seul candidat capable d'assurer la sécurité du pays.
Cet aveuglement n'est pas sans rappeler celui des services israéliens, qui, malgré les indices concordants et les avertissements des services de renseignement égyptiens, ont failli en négligeant le risque d'attaque qui a conduit au massacre de civils israéliens le 7 octobre dernier.
En témoigne l'incompréhensible lenteur des forces de l'ordre à se mobiliser face à l'ampleur de la catastrophe.
« Quand les gens ont appelé la police, personne ne réagissait, raconte Natalia, qui préfère rester anonyme. Les détachements de police ne sont arrivés qu'au bout d'une heure. » La femme d'une soixantaine d'années, qui vit à quelques kilomètres du centre commercial, remarque que « les gens sur place attendaient les forces de l'ordre alors que le patriarche Cyrille priait déjà pour les victimes. [Le maire de Moscou] Sergueï Sobianine a très vite présenté ses condoléances ; Andreï Vorobiov, le gouverneur de la région, est arrivé rapidement sur place et Maria Zakharova, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a communiqué aussi ».
Renforcement de la sécurité
Depuis samedi, la sécurité dans la région de Moscou est renforcée, avec une intensification des contrôles dans les aéroports, les gares et les stations de métro. Comme dans d'autres villes, les Moscovites se pressaient hier pour déposer des fleurs devant les monuments commémoratifs et se rendaient nombreux dans les centres pour donner leur sang.
L'attentat près de Moscou est le plus lourd mené par l'État islamique en Europe depuis les attentats de Paris en 2015 et celui de Bruxelles en 2016 (165 morts en tout et des centaines de blessés).
Des responsables européens de la sécurité et leurs homologues américains alertent depuis près de deux ans sur la menace croissante représentée par le groupe IS-K (État islamique au Khorasan). À force de mensonges du Kremlin, des habitants doutent de tout et de cette thèse aujourd'hui. « Je n'y crois pas, affirme Natalia. C'était comme un spectacle préparé d'avance, comme si tout avait été mis en scène. On a dit que c'était l'État islamique, puis après les Tadjiks... on peut dire n'importe quoi. Tout le monde ici parle plutôt d'opération "sucre de Riazan". »
Cette expression, qui date de l'arrivée de Poutine au pouvoir, est utilisée pour dire que le Kremlin est derrière l'opération. En septembre 1999, des « terroristes » avaient déposé des sacs d'explosifs dans le sous-sol d'un immeuble de la ville de Riazan. Arrêtés par les autorités locales, ils se sont révélés êtres des agents du FSB de Moscou. Comme justification, le Kremlin avait affirmé qu'il s'agissait d'un simple exercice réalisé avec des sacs de sucre. « Ici, assure Natalia, même les plus idiots le savent ! »