La pandémie va-t-elle déboucher sur une crise sociale planétaire ? Après une récession inédite en temps de paix et des confinements à répétition, les économistes de l'OCDE et du FMI redoutent une montée des troubles sociaux dans les mois à venir. Dans deux publications récentes, les deux organisations tirent la sonnette d'alarme sur les risques liés à cette aggravation des mécontentements. "La reprise peut créer des sociétés plus justes et des modèles économiques plus durables à condition que les gouvernements écoutent, s'engagent et autonomisent les groupes marginalisés jusqu'à lors. À défaut, le rapport s'attend à ce que le mécontentement revienne fortement au lendemain de la pandémie" indique l'OCDE dans sa dernière livraison intitulée "Perspectives on Global Development 2021: From Protest to Progress?". Le basculement dans l'extrême pauvreté de millions de personnes et la destruction d'un grand nombre d'emplois en seulement quelques semaines a exacerbé les risques de tensions particulièrement dans les pays pauvres et les pays en développement parfois minés par des années de marasme économique et d'instabilité politique.
Une situation déjà explosive avant la crise sanitaire
La crise économique de 2008 qui a frappé la planète a laissé des traces. Si la plupart des pays développés ont réussi à retrouver le chemin périlleux de la croissance au bout de quelques années, d'autres Etats ont souffert bien plus longtemps. L'un des principaux résultats du rapport de l'OCDE est que le nombre de manifestations dans le monde a doublé sur la décennie qui suit la grande récession des années 2000. Et les années à venir pourraient à nouveau s'assombrir. "Après un pic de manifestations violentes en 2019, la pandémie de COVID-19 a vidé les rues en 2020, mais seulement temporairement. Au cours de la même période, la confiance dans les gouvernements, dans la démocratie et la participation électorale ont diminué dans de nombreuses régions" ajoutent les experts du château de la Muette, siège de l'institution basée dans le 16ème arrondissement de la capitale.
Nombre de manifestations par région entre 1991 et 2019
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce mécontentement. "Différentes sources attestent d'une hausse des manifestations dans les années 2010, ce qui est évident dans toutes les régions" indiquent les spécialistes. "L'instabilité politique a été bien plus prononcée lors de cette période que dans les années 60" rappellent-ils. Durant cette décennie, la montée des populismes a particulièrement marqué les esprits des deux côtés de l'Atlantique. D'une part, le vote en faveur du Brexit en 2016 a débouché sur le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne après des années d'âpres négociations entre les instances européennes et le gouvernement britannique. D'autre part, l'élection de Donald Trump a la Maison Blanche a provoqué une vague de sidération à travers toute la planète. L'inégale répartition des richesses et la faiblesse des revenus dans les pays les plus vulnérables sont également des raisons invoquées par les chercheurs de l'OCDE. "Joindre les deux bouts était la principale préoccupation de nombreux individus : malgré trois décennies de croissance économique quasi continue, une grande partie de la population des pays en développement avait du mal à s'en sortir, avant même que la pandémie ne frappe."
Un risque politique et social plus aigu
La flambée des prix des matières premières et de certains biens et la persistance de la crise sanitaire alimentent les risques politiques et sociaux dans le monde. Selon le dernier baromètre Coface dévoilé ce jeudi 8 juillet, l'indice de risque social qui prend en compte plusieurs paramètres (chômage, inflation, inégalités de revenus) a bondi de cinq points en 2020 pour s'établir à 51%. "Il s'agit de son plus haut historique" note l'assureur spécialisé dans le commerce extérieur. "Malgré les nombreuses mesures de soutien budgétaire et monétaire, 140 des 160 pays évalués ont vu leur PIB reculer l'année dernière. Et le taux de chômage a augmenté dans 145 d'entre eux. Or ces deux indicateurs sont des composantes de l'indice de risque social" ajoutent les auteurs de l'enquête. La hausse est plus marquée dans les pays occidentaux, en Amérique du Nord et en Europe, en raison notamment du plus faible niveau de risque social antérieur à la pandémie. Ces régions voient leur note augmenter de presque 8 points, à cause de la baisse de leur PIB par habitant et de la hausse du taux de chômage. Parmi les pays du Vieux continent cités figurent l'Allemagne, la France, l'Autriche ou la Hongrie qui enregistrent la hausse la plus importante depuis 10 ans. Il faut néanmoins rappeler que le risque reste malgré tout plus dangereux au Yémen, en Syrie, en Irak, ou encore au Venezuela avec des scores de risques sociaux frôlant les 85%. La situation dans ces pays n'est évidemment pas comparable avec les pays développés.
Des répercussions à long terme
Il est encore difficile à ce stade d'évaluer les répercussions sociales à plus long terme de l'épidémie. Les Etats et les banques centrales ont injecté des montagnes de milliards dans l'économie mondiale pour limiter la casse. Pour tenter de mieux appréhender ces possibles conséquences, plusieurs économistes du Fonds monétaire international ont montré en s'appuyant sur les pandémies du passé que les troubles sociaux pouvaient apparaître souvent plusieurs années après le début de la pandémie. Dans une note publiée au printemps, les chercheurs expliquent que les pays qui connaissent des épidémies fréquentes et graves sont plus exposés à des troubles sociaux.
"Au-delà des retombées immédiates, le risque d'agitation sociale s'accroît à plus long terme [...] Si l'histoire se répète, des troubles sociaux pourraient réapparaître une fois que la pandémie s'estompe. Le risque est plus grand là où la crise met au jour ou exacerbe des problèmes préexistants tels que le manque de confiance dans les institutions, la mauvaise gouvernance, la pauvreté ou les inégalités" expliquent-ils.