Pétrole : la baisse de l'offre de l'Opep+ contrarie plus Biden que le marché

La décision du cartel de réduire de 2 millions de barils par jour son offre n'a pas entraîné une flambée des cours du brut mais est en train de remettre en cause le partenariat historique entre Riyad et Washington, qui accuse le royaume de s'aligner sur les intérêts de Moscou.
Robert Jules
Le président des Etats-Unis Joe Biden avec le prince héritier Mohammed ben Salmane, à Djeddah, lors de sa visite en Arabie Saoudite en juillet dernier.
Le président des Etats-Unis Joe Biden avec le prince héritier Mohammed ben Salmane, à Djeddah, lors de sa visite en Arabie Saoudite en juillet dernier. (Crédits : Reuters)

La décision de l'Opep+ de réduire son offre officielle de 2 millions de barils par jour (mb/j) à partir du 1er novembre dérange davantage la Maison Blanche que les investisseurs. Ce mercredi, les prix du baril de brut étaient bien partis pour enregistrer une troisième baisse consécutive, même si les niveaux restent élevés (environ plus de 10% sur un an). Dans l'après-midi, les cours du baril de Brent et du WTI perdait autour de 2%, évoluant respectivement autour de 92,3 dollars et de 87 dollars.

Une récession entraîne une baisse de la demande de pétrole

Le marché pétrolier s'avère plus sensible aux perspectives sombres de l'économie mondiale.  « Le pire reste à venir et pour beaucoup de gens, 2023 sera vécue comme une récession », avertissait hier Pierre-Olivier Gourinchas, l'économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI). Dans un entretien accordé à Energy Intelligence, le nouveau secrétaire général de l'Opep, Haitham Al Ghais, rappelle qu'en cas de récession « ce qui est touché en premier est toujours la demande pétrolière mondiale ». Par ailleurs, il souligne que la réduction de 2 mb/j annoncée correspondra en réalité à une baisse de 1 mb/j car nombre des 23 pays membres du partenariat de l'Opep+ (Opep + 10 pays exportateurs dont la Russie) produisent aujourd'hui à des niveaux inférieurs à leurs quotas officiels.

Balayant toute polémique, il affirme qu'« il n'y pas d'agenda politique derrière cette décision », invoquant l'impérieux besoin d'investissements dans le secteur pour accroître à l'avenir les capacités de production et de raffinage qui restent aujourd'hui limitées en cas de pénurie. Par ailleurs, ces pays exportateurs sont très dépendants des revenus pétroliers pour bâtir leurs budgets publics, même si 2022 devrait être une année faste pour certains d'entre eux. Selon le FMI, l'Arabie saoudite devrait voir son PIB croître de 7,6% cette année, une performance au niveau mondial.

Deuxième camouflet

Mais ce ne sont pas ces arguments qui vont calmer la colère de Joe Biden qui voit dans la forte réduction de l'offre un deuxième camouflet après celui de juillet. En effet, le président américain, qui voulait transformer le royaume en « Etat paria » en arrivant à la Maison Blanche, s'était résolu à aller en Arabie saoudite pour convaincre l'homme fort du régime, le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS), d'augmenter son offre de brut sur le marché pour calmer les prix records atteints par l'essence aux Etats-Unis (voir graphique) qui alimentaient l'inflation qui renchérissait le coût de la vie des ménages. Le geste consenti avait été une timide augmentation de 100.000 barils par jour en septembre.

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essence US

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Avant la réunion de l'Opep+, l'administration Biden avait pourtant fait du lobbying pour obtenir qu'une baisse de l'offre limitée à 1 mb/j soit annoncée au début du mois de novembre, selon des informations du Wall Street Journal (WSJ). Soit à peine quelques jours avant les élections de mi-mandat prévu le 8 novembre. Cela n'aurait ainsi eu que peu d'effet sur le scrutin. Le président américain veut conserver sa fragile majorité démocrate dans les deux chambres du Congrès pour pouvoir poursuivre ses réformes.

Lobbying américain

A la suite du lobbying américain, les Emirats arabes unis, le Koweït, l'Irak et le Bahreïn n'étaient pas favorables à la réduction de 2 mb/j, selon des sources citées par le WSJ. En revanche, Moscou a convaincu Riyad d'opter pour un tel choix.

En outre, la volonté des pays occidentaux d'imposer un prix plafond au brut russe a aussi pesé dans la balance. Cette mesure censée réduire les revenus de Moscou pour financer son effort de guerre en Ukraine a été perçue comme une ingérence sur le marché pétrolier par les pays de l'Opep+ qui, avec une part de plus de 52% de l'offre mondiale, entendent garder leur influence sur son évolution. Finalement, les Européens n'ont pas trouvé d'accord à l'issue du sommet européen de Prague vendredi dernier.

Au delà de la question pétrolière, la décision de Riyad est vue par Washington comme la volonté de son homme fort, Mohammed ben Salmane, de s'émanciper de l'influence des Etats-Unis et d'une relation vieille de près de huit décennies, basée sur la garantie américaine d'assurer la sécurité du royaume en échange de l'approvisionnement du marché pétrolier.

En 2021, le royaume n'a en effet fourni que 17,7 millions de tonnes de brut aux Etats-Unis, dont les principaux fournisseurs sont le Canada et le Mexique. Les clients de l'Arabie Saoudite sont aujourd'hui concentrés en Asie: 87,6 millions de tonnes ont été vendues à la Chine l'année dernière, 48,7 millions de tonnes au Japon, 34,3 millions de tonnes à l'Inde, et 75,3 millions de tonnes aux autres pays asiatiques. Quant à l'Europe, elle en avait acheté 28,5 millions de tonnes. Ce dernier chiffre devrait fortement augmenter cette année, l'Arabie saoudite se substituant à la Russie en raison des sanctions, d'autant que l'Inde et la Chine sont devenues les premiers acheteurs de brut russe décoté.

Si Biden peut se passer du pétrole saoudien, il a néanmoins besoin de cours du brut plus bas que leur niveau actuel. Il doit reconstituer les stocks stratégiques dans lesquels il aura puisé 180 millions de barils cette année. Selon le WSJ, les Etats-Unis ne le feront pas avec un baril supérieur à 75 dollars, l'achat de tels volumes étant mécaniquement un facteur de hausse des cours.

Les élus américains réclament des sanctions immédiates

Au-delà de la question énergétique, la Maison Blanche voit dans le choix de Riyad de s'aligner sur Moscou en plein conflit en Ukraine la perte d'un allié. Si Joe Biden étudie encore toutes les options, certains élus au Congrès réclament des sanctions immédiates, comme la suspension des ventes d'armes à Riyad ou le retrait des troupes américaines stationnées sur le territoire saoudien. D'autres suggèrent d'attaquer l'Opep+ pour manipulation des cours, avec à la clé des sanctions à l'encontre des pays membres.

Plus que l'alignement sur Moscou, Riyad sous la houlette de MBS a l'ambition de jouer un rôle autre qu'un simple producteur de pétrole sur la scène internationale, comme en témoigne son projet de ville futuriste Neom. Si la visite du président chinois Xi Jinping en Arabie saoudite prévue cette année a été reportée, les deux pays continuent à tisser leurs liens. Le géant asiatique a ainsi proposé de rapprocher « la Ceinture et la Route » avec la « Vision 2030 » de l'Arabie saoudite pour coopérer dans les domaines de l'énergie, de l'économie et du commerce, et de la haute technologie. Surtout, les régimes autoritaires en Russie comme en Chine correspondent davantage à la façon de gouverner de MBS. Et puis tant Moscou que Pékin n'exercent aucune pression sur Riyad en matière de droits humains comme le font les pays occidentaux.

Robert Jules
Commentaires 5
à écrit le 13/10/2022 à 0:15
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La conclusion.... Ne manque pas d'air... C'est le moins que l'on puisse dire... On s'attend à tout mais on arrive toujours à creuser plus profond, c'est hallucPlus sérieusement on pourrait aussi se dire que vu que les occidentaux n'achètent pas/plus...

à écrit le 12/10/2022 à 23:32
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Il est grand temps que les démocraties occidentales s affranchissent des pays dictatures comme la Russie. La Chine , les petro- monarchies….des technologies de ruptures doivent être développées et des trust d intérêts occidentaux doivent être dissous...

à écrit le 12/10/2022 à 19:22
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Biden trompé par un bédouin... qu'attend-il pour retirer ses soldats d'Arabie?

le 12/10/2022 à 20:44
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@megadebt ! Bonne idée de retirer les soldats d'Arabie comme ça la Chine qui est le plus gros acheteurs de pétrole saoudiens pourra lui proposer un contrat de sécurité, un peu sur le modèle Iranien ... Et aller soyons fou l'Arabie pourrait se déci...

le 13/10/2022 à 1:02
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@kalibombom Un contrat sécurité à l'Arabie contre tous les rapaces du Golfe clients de la Chine c'est une blague? Biden pourrait aussi bien équiper le Yémen agressé par l'Arabie...

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