Présidentielle américaine : Detroit, cour des miracles

[ Série 2/10 ] A l'occasion de la campagne de l'élection présidentielle aux Etats-Unis, "La Tribune", le journal des métropoles, propose de vous embarquer pour un "road movie" à travers plusieurs villes pour aller à la rencontre des citoyens d'un pays en plein changement. Aujourd'hui, Detroit.
« Dieu a quitté Detroit », pouvait-on lire sur les murs de bâtiment délabrés de la ville, symbole de la crise économique de 2008. A cette époque, le centre n'était plus que terrains vagues, rues mal éclairées et maisons abandonnées.

Depuis l'élection de Barak Obama en 2008, en pleine crise économique, l'Amérique a changé. Si, en huit ans, elle s'est relevée, tous les Américains ne ressentent pas de la même façon les effets de la croissance retrouvée. Perte de repères, anxiété face à la menace - devenue réalité pour certains - d'un déclassement économique et social, violence et racisme renouvelés, irruption du terrorisme "local", paralysie à Washington et polarisation politique, sans oublier les problèmes d'immigration, de santé, d'éducation, de droit à l'avortement et de droits civiques : l'Amérique traverse une crise existentielle. Nous l'avons parcourue, de ville en ville, pour prendre son pouls et battre la campagne avec les deux candidats à la présidentielle. Une femme, Hillary Clinton, attendue au tournant de sa longue carrière politique - y compris par certains électeurs démocrates qui ne lui font pas confiance -, face à un milliardaire, que de nombreux républicains bon teint détestent, mais qui a réussi à battre tous les candidats de l'establishement lors de la primaire. Oui, décidément, l'Amérique change. L'Amérique est "on the move", même si nul ne sait où elle arrivera le 8 novembre prochain, à l'occasion de la première élection "post-American dream".

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[ DETROIT, VILLE PRINCIPALE DU MICHIGAN ]

La gentrification bat son plein dans la ville martyrisée par la crise économique de 2008. Mais "Motor City" fonctionne encore à deux vitesses.

« Dieu a quitté Detroit », pouvait-on lire sur les murs de bâtiments délabrés de la ville, symbole de la crise économique de 2008. A cette époque, le centre n'était plus que terrains vagues, rues mal éclairées et maisons abandonnées. On pouvait même en acheter certaines pour 1 dollar ! Comme Dieu, les habitants fuyaient -comme ils l'avaient déjà fait après les émeutes raciales de 1967, faisant passer la population de 1 million dans les années 2000 à moins de 700.000 aujourd'hui. Au plus fort de la récession, le taux de chômage y atteignait près de 30%. Ployant sous près de 20 milliards de dollars de dettes, la ville a demandé en 2013 la protection du Chapitre 9, qui régit les faillites (l'équivalent du Chapitre 11 pour les entreprises). La plus grosse banqueroute municipale jamais enregistrée aux Etats-Unis.

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->Après la crise de 2008, Motor City n'était plus que l'ombre d'elle-même. Photo: Joshua Lott/Reuters

Décapage du secteur auto et... gentrification

Dieu serait-il revenu en ville ? Toujours est-il que la gentrification du centre bat son plein. Micro-brasseries et restaurants branchés, galeries d'art et ateliers, coffee shops cosy et boutiques design, sans oublier les incubateurs et les startusp : certains quartiers renaissent, rajeunissent - et « blanchissent » par la même occasion...

En août 2016, le taux de chômage est retombé à 12,5%. Pour l'Etat du Michigan, dont Detroit est la ville principale, le taux est même de 4,5%, contre 4,9% sur l'ensemble du pays !

L'industrie automobile se porte mieux, et les « Big Three » - General Motors, Ford et Chrysler - ont enregistré des ventes et des bénéfices record l'an dernier. Pas étonnant que le président Barack Obama ne rate pas une occasion de mettre la renaissance de la ville en avant.

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->L'Avista, dernier modèle de Buick, au North American International Auto Show de Detroit en janvier 2016. Photo: Gary Cameron/Reuters

Plus de 1 million d'emplois sauvés

Après tout, c'est son administration qui a approuvé un plan de sauvetage de l'industrie automobile de 80 milliards de dollars, même si son prédécesseur, George W. Bush, avait déjà pris l'initiative, en prêtant plus de 17 milliards de dollars à General Motors et Chrysler.  Selon les calculs du Trésor, les contribuables n'auront perdu qu'un peu plus de 9 milliards, le reste ayant été récupéré par l'Etat.

Et surtout, « le plan a sauvé plus d'un million d'emplois, déclare Kristin Dziczek, directeur de l'industrie, du travail et de l'économie, au Center for Automotive Research. C'était absolument la meilleure chose à faire à l'époque.»

C'est donc à se demander si Donald Trump, le candidat républicain à la Maison Blanche, ne s'est pas trompé de rendez-vous lorsqu'il a débarqué dans une église noire de Détroit, au début septembre. Evoquant « les magasins fermés, les gens assis sur le trottoir, sans emploi, sans activité », il n'a pas hésité à promettre à la population noire (80% de la ville) :

« Je vais faire bouger les choses pour vous ».

Le vote afro-américain, majoritairement démocrate

Les Afro-américains, eux, ne s'y sont pas trompés. Comme nombre d'observateurs extérieurs, ils considèrent la tactique de Trump comme visant à montrer aux électeurs républicains bon teint, émus par ses sorties racistes, anti-femmes et anti-islam, qu'il peut « embrasser » toute la nation, plutôt que comme un réel effort en direction de la communauté noire. Si c'était le cas, ce serait d'ailleurs un échec.

Les Afro-Américains sont solidement ancrés dans le camp démocrate, et les sondages montrent que, avant comme après la visite de Trump à Detroit, les intentions de vote noir en sa faveur se situent à 3% ou 4% - avec une marge d'erreur de... 3%.

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->A Detroit, au croisement des rues Rosa Park et Martin Luther King Jr. Photo: Rebecca Cook/Reuters

Sauver l'automobile ? Trump s'y serait opposé

Quant au sauvetage de l'industrie automobile dans la région, Trump s'y serait opposé, a-t-il déclaré.

"Sans aide de l'Etat, l'industrie automobile serait dans la même situation aujourd'hui", a assuré le candidat républicain il y a peu.

Cela reste à voir, mais, ce qui est sûr, c'est que la renaissance de Detroit, à base d'investissements publics et privés, pour réelle qu'elle soit, n'en est pas moins partielle, et inégale.

Si le centre-ville est bien en plein boom - certains pointent d'ailleurs les bonnes affaires faites par les « milliardaires de Detroit », des hommes d'affaires qui ont acheté des dizaines de bâtiments dans le centre-ville pour une bouchée de pain, nombre de banlieues noires restent en souffrance.

Les patrons ont négocié la création de deux classes de salariés

Même ceux qui étaient assez qualifiés pour travailler sur les chaînes de montage de l'industrie automobile (il ne reste qu'une ou deux usines en ville, les autres étant dans la région, à Flint, Dearborn ou Lansing) ont connu un système à deux vitesses jusqu'à l'été dernier. Alors que les « Big Three » se battaient depuis longtemps avec la United Auto Workers (UAW), le puissant syndicat de l'automobile, pour obtenir des conditions plus avantageuses pour le patronat, la crise leur a fourni les armes. Il fallait réduire les coûts, notamment face aux constructeurs étrangers installés dans le sud des Etats-Unis, et qui emploient des salariés non-syndiqués, sous peine de partir à la dérive...

Résultat, deux classes de salariés ont été créées sur les chaînes de montage : les anciens, embauchés bien avant la crise, et les nouveaux, qui gagnaient moins et avaient moins d'avantages sociaux.

Le fossé de rémunération presque comblé maintenant

Jusqu'à l'été 2015, 20% des salariés syndiqués chez GM étaient payés selon la deuxième échelle de salaires, près de 30% chez Ford et 45% chez Chrysler.

« Nous avons résolu cela », déclare Brian Rothenberg, conseiller en communication de l'UAW. Le nouveau contrat, valide jusqu'en 2019, prévoit une augmentation des salariés de première échelle, à plus de 30 dollars de l'heure, tandis que ceux de la deuxième, qui ne gagnaient que 18 dollars (contre 28 pour les premiers), gagneront près de 30 dollars. Le fossé est presque comblé.

Detroit, Michigan, chaine de montage automobile, ouvrier syndiqué de l'UAW,

->Ingrid Hill, membre de l'UAW, travaillant sur la chaîne de montage de la Chevrolet Volt, une voiture électrique assemblée à l'usine de Hamtramck, Michigan, en juillet 2011. Photo: Rebecca Cook/Reuters

Cela dit, d'autres salariés, hors chaînes de montage, partie la plus noble, qui fabriquent des composants, par exemple, auront une échelle moins élevée et enfin, chez certains constructeurs, les avantages, notamment la retraite et la couverture maladie, seront eux aussi moindres pour certains.

« Il y a encore des efforts à faire, mais vous pouvez déjà sentir la différence, vous pouvez sentir qu'il se passe quelque chose de spécial à Detroit, déclarait Obama en janvier dernier à Detroit. Et ce qui est vrai pour Detroit l'est aussi pour le reste du pays. »

Le problème, c'est précisément cela. Comme Detroit, les Etats-Unis sont encore divisés entre ceux qui se sont remis de la crise et ceux qui attendent encore.

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->Photo: Rebecca Cook/Reuters

Par Lysiane J. Baudu

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Commentaires 2
à écrit le 10/10/2016 à 10:42
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QUAND UN PEULE SOUFRE IL CHERCHE UN HOMME FORT? ET QUAND CETTE HOMME FORT ARRIVE SONT ACTION ABOUTIE SOUVENT AUX K A O ? ON LA LA VUE SOUVENT EN EUROPE AVEC L ARRIVE DES DICTATEURS DANS CERTAIN PAYS QUI NOUS ONT AMENEZ LES DERNIERES GUERRE AVEC SES 6...

à écrit le 08/10/2016 à 17:52
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Il y avait un sujet bien plus intéressant que cela à développer sur Detroit. Un remarquable article de Basta mag: "Détroit, laboratoire du monde d’après le néolibéralisme " http://www.bastamag.net/Detroit-laboratoire-du-monde-d

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