Présidentielle américaine : Sacramento ou la revanche des hispaniques

[ 5/10 ] A l'occasion de la campagne de l'élection présidentielle aux États-Unis, "La Tribune", le journal des métropoles, propose de vous embarquer pour un "road movie" à travers plusieurs villes pour aller à la rencontre des citoyens d'un pays en plein changement. Aujourd'hui, Sacramento.
Après ses déclarations anti-immigration mexicaine, Donald Trump a beau afficher des slogans "Latinos for Trump" dans ses meetings (ici, à Sacramento, le 2 juin 2016), personne n'est dupe. Et les sondages sont sans appel : le "vote latino" se portera à 65% sur Clinton, contre 17% à Trump.

Depuis l'élection de Barak Obama en 2008, en pleine crise économique, l'Amérique a changé. Si, en huit ans, elle s'est relevée, tous les Américains ne ressentent pas de la même façon les effets de la croissance retrouvée. Perte de repères, anxiété face à la menace - devenue réalité pour certains - d'un déclassement économique et social, violence et racisme renouvelés, irruption du terrorisme "local", paralysie à Washington et polarisation politique, sans oublier les problèmes d'immigration, de santé, d'éducation, de droit à l'avortement et de droits civiques : l'Amérique traverse une crise existentielle. Nous l'avons parcourue, de ville en ville, pour prendre son pouls et battre la campagne avec les deux candidats à la présidentielle. Une femme, Hillary Clinton, attendue au tournant de sa longue carrière politique - y compris par certains électeurs démocrates qui ne lui font pas confiance -, face à un milliardaire, que de nombreux républicains bon teint détestent, mais qui a réussi à battre tous les candidats de l'establishement lors de la primaire. Oui, décidément, l'Amérique change. L'Amérique est "on the move", même si nul ne sait où elle arrivera le 8 novembre prochain, à l'occasion de la première élection "post-American dream".

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[ SACRAMENTO, CAPITALE DE L'ETAT DE CALIFORNIE ]

C'est officiel depuis deux ans : en Californie, la population d'origine hispanique dépasse celle des "blancs"(*). A l'échelle du pays, les "Latinos" forment la plus grande minorité. De quoi peser sur l'élection présidentielle de 2016.

« Hasta la vista » : la tente, dans le patio du Capitol, à Sacramento, capitale de la Californie, a été démontée lorsqu'Arnold Schwarzenegger est parti. L'ancien gouverneur républicain (de 2003 à 2010) l'avait installée pour « fumer le calumet de la paix » - ou plutôt, le cigare, puisque c'est un aficionado- avec ses visiteurs. « A la prochaine » est la seule chose qu'il savait dire en espagnol. Jerry Brown, le nouveau gouverneur, démocrate, a lui aussi du mal avec une langue pourtant désormais parlée par la majorité des Californiens. En effet, depuis 2014, selon les calculs du bureau du recensement américain (et selon les catégories de population définies par ce US Census Bureau), la population "hispanique"(*) dépasse celle des "blancs"(*) dans l'Etat le plus peuplé des Etats-Unis. A l'échelle nationale, les "hispaniques" sont 57 millions, soit 18% de la population totale (contre un peu plus de 13% d'"Afro-américains"(*) faisant d'eux la plus grande minorité des Etats-Unis. De quoi peser sur l'élection présidentielle 2016, d'autant que cette année, 27,3 millions de "Latinos" (contre 23,3 millions en 2013), un record, peuvent voter, dont 44% de jeunes de 18 à 35 ans. Mais encore faut-il qu'ils le fassent... Une récente étude du Pew Research Center montre que seulement 50% des citoyens d'origine "hispanique" sont « sûrs d'être inscrits » sur les listes électorales, contre 69% des "noirs" et 80% des "blancs". Et lors du dernier scrutin présidentiel, ils n'ont été que 48% à voter, contre 66,6% pour les "noirs" et 64,1% pour les "blancs".

Mobilisation hispanique

Mais c'était avant l'arrivée fracassante de Donald Trump sur la scène politique. Alors qu'il annonçait sa candidature à la nomination républicaine, en juin 2015, celui qui est devenu depuis le candidat officiel du parti donnait le ton :

« Quand le Mexique envoie des gens, ce ne sont pas les meilleurs, ce sont des gens qui ont beaucoup de problèmes, ils apportent la drogue, ils apportent le crime, ce sont des violeurs, et certains - je suppose - sont des gens bien », avançait-il...

Pour persister ensuite, en jurant de renvoyer chez eux tous les illégaux - quelque 11 millions dans le pays, dont 3 millions en Californie - et même de faire construire un mur entre les Etats-Unis et le Mexique, qu'il demanderait au Mexique de payer, qui plus est... Cet été, il s'est offert des spots publicitaires régionaux affirmant que «dans l'Amérique d'Hillary Clinton, les immigrants illégaux qui ont commis des crimes peuvent rester sur le territoire, et bénéficier d'avantages sociaux».

Sous la pression du parti républicain, il a quelque peu arrondi les angles ces derniers temps, mais cela n'empêche pas la communauté hispanique de se mobiliser. Première chose à faire pour ceux qui le peuvent : s'inscrire sur les listes électorales. D'après Google, sur une semaine de la mi-septembre, le nombre de recherches, pour la phrase « registrarse para votar », a augmenté de 2.200% !

Soutien à Hillary Clinton

C'est grâce à sa victoire aux primaires dans l'Etat de Californie que Hillary Clinton a pu sceller sa nomination au nom du parti démocrate. Aujourd'hui, elle peut compter, à l'échelle du pays, sur le soutien de 65% des Latinos qui pourraient aller voter, contre 17% pour Trump, selon un sondage du Wall Street Journal / NBC, publié à la rentrée. Un écart plus large que celui de Barack Obama en 2012 (44 points) par rapport à son adversaire républicain Mitt Romney. De quoi ravir la Maison-Blanche à coup sûr ? Pas si vite... D'autres électeurs, notamment dans certains Etats, peuvent également faire la différence.

Même les Latinos illégaux sont les bienvenus en Californie

Cependant, compte tenu de sa population (40 millions d'habitants), la Californie bénéficie du plus grand nombre de grands électeurs (55) - la présidentielle américaine étant un scrutin indirect. Or, elle a voté en majorité pour le candidat démocrate à tous les scrutins présidentiels entre 2000 et 2012. Autant dire que la Californie pourrait jouer un rôle clé dans l'élection présidentielle du 8 novembre prochain. Elle montre en tout cas la voie aux autres Etats lorsqu'il s'agit d'embrasser la population hispanique. Jerry Brown assure régulièrement aux Latinos, légaux ou illégaux, qu'ils sont les bienvenus. Ce ne sont pas que des mots.

En 2013, par exemple, le gouverneur a promulgué une loi donnant la possibilité aux illégaux d'obtenir un permis de conduire, pièce d'identité indispensable outre-Atlantique. Cela dit, « le fait que la Californie semble acquise aux démocrates n'encourage pas les Latinos à aller voter pour faire une différence, tempère Laura Stoker, professeur de science politique à l'Université de Berkeley, en Californie. En revanche, dans d'autres états plus disputés, tels que l'Iowa et la Floride, cela pourrait être le cas. »

Face au discours anti-immigrés de Trump, le "Estoy contigo" de Clinton

Au-delà de l'immigration hispanique, c'est le thème de l'immigration (légale ou illégale) en général que Donald Trump a mis en avant dans la campagne. Tout y passe, même un « dépistage » systématique des musulmans qui seraient candidats à l'entrée ou à l'installation sur le territoire américain... Comme pour d'autres thèmes - désindustrialisation et commerce international, notamment - Trump souffle sur les braises, attisant la crainte, chez certains électeurs, de voir, dans le cas de l'immigration, leur emploi pris par un « étranger », et leur salaire plafonner en raison de l'afflux d'une main-d'oeuvre bon marché...

Pourtant, les études font (une fois de plus, pourrait-on dire), mentir le candidat républicain. Selon le rapport publié en septembre 2016 par les National Academies of Sciences, Engineering and Medicine, les effets négatifs à long terme de l'immigration sur les salaires sont quasi nuls, de même que sur le taux d'emploi des "natifs".

L'immigration "partie intégrante de la croissance"

Au contraire, d'ailleurs, les immigrants hautement qualifiés, dans les secteurs technologique et scientifique, ont eu un impact positif pour tous les salariés qualifiés, ainsi que pour les non-qualifiés, en stimulant l'innovation et, partant, les créations d'emplois, estiment les 14 économistes qui ont réalisé l'étude. Et de conclure que l'immigration fait « partie intégrante de la croissance économique du pays » car, au-delà de l'innovation, les immigrants s'ajoutent à une population en âge de travailler qui tend à diminuer outre-Atlantique, et soutiennent ainsi l'économie. C'est bien le raisonnement que tient Hillary Clinton, dont le slogan en direction de l'électorat latino est "Estoy contigo" ("Je suis avec toi"). Elégant, certes, mais moins fort que le "Si, se puede" de Barack Obama ("Yes we can"), qui reprenait le mot d'ordre de Cesar Chavez, leader historique des saisonniers mexicains...

Par Lysiane J. Baudu

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(*) Sur les problématiques liées à la définition de ces catégories de population en usage aux Etats-Unis, lire aussi "Les Latinos sont-ils une race?, l'article d'Isabelle Piquer, sur son blog "American Barrio", hébergé sur le site du "Monde".

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