Priorités africaines face à l'agenda européen : ce qu'il faut retenir du sommet UA-UE

Phagocyté par la question sahélienne, et en l'absence des principaux intéressés, le sommet Union africaine (UA)-Union européenne (UE) s'achève sur des engagements sanitaires qui ne masquent pas la déception des pays africains, après le rejet de la levée des brevets sur les vaccins par l'UE. La nouvelle méthode proposée par Emmanuel Macron assurant le suivi des annonces suffira t-elle à répondre au « changement de logiciel » euro-africain appelé de ses vœux par Macky Sall ?
Sommet UA-UE, à Bruxelles, le 18 février: de g. à dr. : les présidents Muhammadu Buhari (Nigeria), Ursula von der Leyen (Commission européenne), Abdel Fattah al-Sisi (Égypte), Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud), Macky Sall (Sénégal et Union africaine), Charles Michel (Conseil européen), Emmanuel Macron (France), Uhuru Kenyatta (Kenya), Kaïs Saïed (Tunisie) et Tedros Adhanom Ghebreyesus (DG de l'OMS).
Sommet UA-UE, à Bruxelles, le 18 février: de g. à dr. : les présidents Muhammadu Buhari (Nigeria), Ursula von der Leyen (Commission européenne), Abdel Fattah al-Sisi (Égypte), Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud), Macky Sall (Sénégal et Union africaine), Charles Michel (Conseil européen), Emmanuel Macron (France), Uhuru Kenyatta (Kenya), Kaïs Saïed (Tunisie) et Tedros Adhanom Ghebreyesus (DG de l'OMS). (Crédits : Reuters)

Quatre-vingt chefs d'État et de gouvernement étaient attendus à Bruxelles, les 17 et 18 février à l'occasion du 6e sommet Union africaine-Union européenne (UA-UE). Mario Draghi (Italie), Ali Bongo (Gabon), Olaf Sholtz (Allemagne), Victor Orban (Hongrie), Muhammadu Buhari (Nigéria) et Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud) figuraient parmi les têtes d'affiche qui se sont réunies pour élaborer « une vision commune pour 2030 ». Pourtant Félix Tshisekedi, le président de la République du Congo (RDC) et président sortant de l'UA (attendu de pied ferme par quelques manifestants devant le Conseil de l'Europe), Faure Gnassingbé, le président du Togo, tout comme les présidents burkinabé et malien, principaux acteurs d'un Sahel dans la tourmente, manquaient à l'appel.

S'expliquant sur « les chaises vides » du Mali et du Burkina Faso en particulier, le nouveau président de l'UA, Macky Sall, a rappelé les règles selon lesquelles « chaque fois qu'il y a un coup d'État ou une interruption inconstitutionnelle du pouvoir, le pays -est- immédiatement suspendu de toutes les instances de l'UA ». Cette déclaration n'est pas sans faire écho à l'invitation du président tchadien en dépit d'une constitutionnalité contestée de son arrivée au pouvoir, aux niveaux national et régional.

« Si nous ne prenons pas nos responsabilités, qu'est-ce qu'il va se passer ? (...) Tous les pays pourront être déstabilisés par les gens qui ont des armes », a déclaré Macky Sall, précisant que le travail avec les autorités de transition se poursuivait « dans l'ombre, au quotidien, pour rapprocher les positions ».

La question malienne s'invite à Bruxelles

« Comment la seule armée malienne peut-elle assurer aujourd'hui la défense de son territoire ? », s'est interrogé le nouveau président de l'UA qui n'a pas masqué par ailleurs son inquiétude concernant l'avenir de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) « qui n'a ni le matériel pour faire la guerre, ni le mandat ».

Quelques heures avant l'ouverture du sommet, le président Emmanuel Macron annonçait le retrait de Barkhane et de Takuba du Mali, à l'issue d'un mini-sommet parisien qui avait acté le redéploiement des forces françaises au Niger. Ce retrait du Mali était donc au cœur de toutes les conversations.

Prenant « acte de la décision unilatérale (...) des autorités françaises de procéder au retrait des forces militaires de Barkhane et Takuba, en violation des accords liant la France et le Mali », le gouvernement malien exhorta quelques heures plus tard, « les autorités françaises à retirer sans délai les forces Barkhane et Takuba du territoire national, sous la supervision des autorités maliennes » dans un communiqué prononcé à la télévision nationale par le colonel Abdoulaye Maïga. La « réarticulation » du dispositif militaire français s'appliquera « en bon ordre pour que nous continuions d'assurer la sécurité de la Minusma et la sécurité de nos forces armées déployées aujourd'hui au Mali, sécurité avec laquelle je ne transigerai pas une seule seconde », a répondu le président français, le 18 février en conférence de presse depuis Bruxelles.

L'avenir de la présence militaire française dans le Sahel est incertaine car se pose la question de l'accueil qui lui sera réservée au Niger eu égard au sentiment anti-français lancinant et aux attaques du convoi militaire français le 27 novembre 2021, bloqué par des manifestants à Téra dans l'ouest du pays, qui avaient fait deux morts selon les autorités nationales.

Alors que les institutions africaines (UA et Cédéao en particulier) sont au centre des critiques des populations sahéliennes qui dénoncent un « deux poids deux mesures » sur les questions tchadienne et malienne, la mise à l'écart des chefs malien et burkinabè du sommet UA-UE a fait réagir les analystes présents à Bruxelles qui s'interrogent sur le risque d'une déconnexion encore plus profonde entre les institutions multilatérales et les sociétés civiles africaines.

450 millions de vaccins distribués en Afrique d'ici l'été 2022

Loin des préoccupations sahéliennes, les Africains des régions australe et orientale du continent, sont arrivés à Bruxelles avec des objectifs ciblés. À Nairobi, l'UE reste une institution exotique. « Au moins, ce sommet permet un rapprochement même s'il y a encore du chemin à faire », confie Uhuru Kenyatta, le président du Kenya à La Tribune Afrique, à quelques minutes de la déclaration finale.

« Puisque l'Afrique est sur la table des priorités européennes aujourd'hui, ce que nous attendons, ce sont des investissements pour financer nos infrastructures et pour être en mesure de produire nos propres vaccins », a-t-il ajouté.

Dès son arrivée, Cyril Ramaphosa, le président sud-africain répondant à la presse, déclarait, lui aussi, attendre des investissements, en particulier dans les infrastructures sanitaires. Depuis la détection du variant Omicron, il ne cache pas son agacement vis-à-vis des pays du Nord.

« Les scientifiques sud-africains ont découvert Omicron et ont pris la responsabilité d'informer le monde immédiatement. Et quel a été le résultat ? L'affolement des pays du Nord, et notre isolement sur le plan mondial », déclarait-il, non sans souligner la « rapacité » des partenaires occidentaux, tout en révélant la teneur d'un appel téléphonique avec Bruxelles, jugé « condescendant », le 6 décembre dernier au Sénégal.

Cette déclaration, soutenue à Dakar par Macky Sall, devenu depuis le président de l'UA, semble avoir porté ses fruits à Bruxelles, l'UE ayant pris les engagements de livrer 450 millions de vaccins au continent d'ici à l'été 2022, de mobiliser 425 millions d'euros pour accompagner les campagnes de vaccination et d'aider les pays africains à produire localement leurs vaccins ARN messager avec une enveloppe de 1 milliard d'euros.

« Plusieurs pays dont le Kenya, l'Afrique du Sud, le Nigeria, le Sénégal, la Tunisie et l'Egypte fabriqueront bientôt leurs vaccins contre la Covid-19 », s'est félicité Uhuru Kenyatta dont l'objectif initial aura été atteint.

Cyril Ramaphosa repartira, quant à lui, avec un bilan mi-figue mi-raisin aboutissant sur l'engagement d'un transfert de technologie encadré et sur le rejet de la levée des brevets sur les vaccins par l'UE, dont il avait fait son cheval de bataille. L'Afrique, qui importe 99% de ses vaccins, ambitionne de réduire ce taux à 60% d'ici à 20 ans.

Un paquet d'investissements de 150 milliards d'euros

Inscrits dans la stratégie « Global Gateway » (« Portail mondial »), les 150 milliards d'euros promis sur 6 ans, dans un contexte de crise protéiforme, seront principalement destinés aux infrastructures sanitaires, numériques, énergétiques et de transport. Cette initiative devrait également bénéficier aux entreprises européennes à travers la réalisation des grands travaux qui s'ensuivront.

Ce montant est toutefois jugé insuffisant par les experts présents à Bruxelles car, pour faire face aux seuls impacts de la Covid-19 d'ici à 2025 en Afrique, les besoins en financements supplémentaires sont estimés à 250 milliards de dollars par le Fonds monétaire international (FMI).

L'accélération de la réallocation des droits de tirage spéciaux (DTS) fut, elle aussi, largement débattue lors du sommet de Bruxelles. Dans leur déclaration finale, l'UE et l'UA ont lancé un appel « pour canaliser une partie des DTS afin de réunir 100 milliards de dollars d'aide en matière de liquidités pour les pays qui en ont le plus besoin, dont une grande partie devrait être destinée à l'Afrique ».

Pour rappel, en août 2021, le FMI approuvait 650 milliards de dollars de DTS dont 33 milliards pour l'Afrique. À ce jour, les pays européens ont réalloué l'équivalent de 13 milliards de dollars de leurs DTS à l'Afrique (sur les 55 milliards réalloués au niveau mondial, Ndlr), alors que l'objectif de l'UA est fixé à 100 milliards de dollars.

De son côté, la Chine, par la voix de son président Xi Jinping, annonçait à l'occasion du Forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCAC) le 29 novembre 2021, qu'elle renoncerait à 10 milliards de dollars de ses DTS au profit de l'Afrique.

Macky Sall en appelle à un « nouveau logiciel » de la relation UA-UE

Dans son allocution d'ouverture, le président de l'UA a appelé à « un partenariat renouvelé » reposant sur un « nouveau logiciel ».

« Nous Européens, sommes prêts à coopérer chaque fois que vous en exprimerez le souhait », répondit Charles Michel, le président du Conseil européen, prenant toutes les précautions sémantiques possibles pour éviter les critiques associées à une forme d'ingérence par les sociétés civiles africaines.

Macky Sall a réclamé davantage d'engagement du Conseil de sécurité sur la question du terrorisme (la Chine et la Russie font systématiquement valoir leurs droits de veto, Ndlr).

Au plan économique, il a demandé une redéfinition des critères imposés par les bailleurs internationaux. Condamnant une surestimation du risque qui « pénalise les investissements et réduit la compétitivité » de l'Afrique, il estime qu'« au moins 20% des critères de notation relèvent de critères subjectifs » et attend « de l'Europe une solidarité précise sur ce point ».

La question de l'« accès équitable à l'énergie »

Prônant le « maintien des hydrocarbures » pour un « accès équitable à l'énergie » sur un continent où « 600 millions d'Africains n'ont pas accès à l'électricité », il a exhorté les partenaires européens à tenir « compte des capacités de l'Afrique ». Cette déclaration peu climato-compatible s'inscrit dans le sens des intérêts du Sénégal qui s'apprête à produire son pétrole d'ici deux ans, alors que la COP26 avait permis de convaincre une vingtaine d'États de renoncer au financement des énergies fossiles et qu'Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, avait fait du « green deal », une priorité.

Tout aussi direct, le puissant Moussa Faki Mahamat, à la tête de la Commission de l'Union africaine, a regretté que le partenariat euro-africain n'ait pas permis une mobilisation suffisante pour porter le plan de reconstruction de l'Afrique post-pandémie. « Le nœud ici n'est pas la disponibilité des financements mais, encore et toujours, le rassemblement des volontés politiques », a-t-il déclaré le 17 février, rappelant au passage que le continent avait désormais développé « une diversité de partenariats qui n'ont pas la même histoire, qui ne sont pas moins pertinents et avantageux pour l'Afrique et -qui- sont dignes de respect »...

À Abidjan, « la méthode ne m'avait pas satisfait » (Emmanuel Macron)

Depuis le dernier sommet UA-UE à Abidjan en 2017, la menace terroriste s'est accentuée, les coups d'État se sont multipliés, l'Angleterre a quitté l'UE, et la pandémie de Covid-19 est passée par là.

Alors que le précédent sommet avait fait la part belle aux migrations, cette année, la question fut intégrée dans un débat associant éducation, formation et mobilité.

Pourtant, le problème est loin d'être réglé, la Méditerranée est devenue un véritable cimetière migratoire et les camps aux esclaves libyens n'ont pas disparu. La déclaration commune UA-UE prend toutefois l'engagement de relancer la Task Force tripartite UA-UE-ONU et manifeste une volonté de lutter contre les réseaux de passeurs et d'accélérer le retour des migrants clandestins.

Répondant à l'appel d'un « nouveau logiciel » demandé par Macky Sall, Emmanuel Macron avance un changement de méthode reposant sur la préparation en amont des travaux du sommet et sur l'instauration d'un calendrier de suivi.

Interrogé en conférence de presse sur les engagements non tenus de la déclaration d'Abidjan, Emmanuel Macron a déclaré qu'« il y a une vraie différence » aujourd'hui, l'agenda d'Abidjan ayant « été percuté par la crise Covid ». Regrettant qu'il n'y ait pas eu de « partage d'agenda » à cette époque, il annonça qu'il y aurait désormais un suivi des engagements tous les six mois. Cette proposition sera suivie de près, en particulier sur le Global Gateway dont la répartition des 150 milliards d'euros n'a fait l'objet d'aucune précision concernant la part des prêts, des garanties, des subventions ni de la contribution du secteur privé.

Les aménagements sur la forme du 6e sommet UA-UE n'ont pas fondamentalement modifié la relation euro-africaine, toutefois les Africains n'hésitent plus, aujourd'hui, à faire valoir leurs priorités en intégrant la concurrence des nouveaux partenaires au cœur de leurs négociations avec l'Europe.

Par Marie-France Réveillard, envoyée spéciale à Bruxelles

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.