Récession ou pas récession ? Les Etats-Unis dans l'expectative

Le patron de la Fed pense que les Etats-Unis échapperont à la récession, Warren Buffett en est moins sûr. La prévision est d'autant plus difficile que les signaux sont contradictoires. Si les marchés immobilier et manufacturier marquent le pas, celui du travail reste dynamique, et la baisse de la demande de biens pourrait être en partie compensée par les services.
Robert Jules
Le ralentissement de l'activité est bien réel aux Etats-Unis. La croissance économique est prévue à 0,7% en 2023 mais le chômage demeure à un niveau historiquement bas.
Le ralentissement de l'activité est bien réel aux Etats-Unis. La croissance économique est prévue à 0,7% en 2023 mais le chômage demeure à un niveau historiquement bas. (Crédits : Reuters)

« La possibilité d'échapper à une récession est de mon point de vue plus probable que celle d'avoir une récession », indiquait le 3 mai Jerome Powell, le patron de la Réserve fédérale, lors de sa conférence de presse après l'annonce d'une dixième hausse consécutive des taux directeurs.

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Cette rhétorique qui vise à neutraliser la charge dépressive qu'évoque l'expression « récession » pour les acteurs économiques trahit surtout l'embarras de l'institution face au niveau élevé d'incertitudes. D'autant que certains événements peuvent jeter le doute comme la spectaculaire faillite de plusieurs banques, dont la Silicon Valley Bank (SVB) ou encore le bras de fer politique entre démocrates et républicains pour relever le plafond de la dette, sans lequel l'administration fédérale devra fermer de nombreux services nécessaires au fonctionnement de l'économie.

Juguler l'inflation, la priorité

Ce qui est en revanche certain pour Jerome Powell, comme il n'a de cesse de le répéter, c'est que juguler l'inflation demeure son objectif principal. L'arme des taux pourrait néanmoins être maniée avec moins de tranchant, comme l'atteste la dernière hausse, de - seulement - 25 points de base. En effet, en mars, l'indice des prix s'est affiché en hausse de 5% contre 6% en février, sa plus faible progression mensuelle depuis mai 2021, faisant espérer une pause, notamment chez les investisseurs sur les marchés actions. Toutefois, un tel niveau reste encore loin de la cible des 2% que la Fed vise, et qu'elle ne prévoit d'atteindre qu'à la fin de 2024, après 3% estimés cette année.

Pourtant, le ralentissement de l'activité est bien réel aux Etats-Unis. La croissance économique est prévue à 0,7% en 2023 et 0,8% en 2024, selon les dernières prévisions de la Fed. Des chiffres qui ne trahissent pas pour l'instant une entrée en récession, qui advient selon la définition habituelle par la contraction de l'activité durant deux trimestres consécutifs. Néanmoins, aux Etats-Unis, le National Bureau of Economic Research (NBES) donne une caractérisation moins stricte : un déclin significatif de l'activité économique dans les différentes branches d'une durée supérieure à quelques mois, et qui doit se refléter notamment dans le PIB, l'emploi, la production industrielle, les ventes des secteurs manufacturier et du commerce.

Baisse de l'immobilier

Or, le marché du travail reste dynamique. En mars, 253.000 emplois ont été créés, soit 100.000 emplois supplémentaires en net. Cette configuration brouille les grilles de lecture classiques de la conjoncture. Si le chômage explosait, nul doute que la Fed marquerait une pause. Or, en mars, il est retombé à son plus bas niveau depuis 50 ans, à 3,4%. Ces signes contradictoires reflètent des ajustements en cours, selon les secteurs de l'économie. Ainsi sur l'immobilier, depuis juin 2022, l'indice Case-Shiller n'a fait que baisser, ce qui est logique avec la hausse du coût du crédit bancaire même s'il s'est légèrement repris en février dernier. L'indice de référence du secteur manufacturier, celui de la Réserve fédérale de Philadelphie, s'est contracté en mars et avril.

C'est ce qu'a confirmé samedi, à Omaha (Nebraska), le milliardaire et gourou des marchés, Warren Buffett, lors de sa messe annuelle qui réunit des milliers d'actionnaires de son conglomérat Berkshire Hathaway (valorisé à 700 milliards de dollars) qu'il gère à plus de 90 ans avec son compère Charlie Munger.

Interrogé sur les perspectives économiques du pays, l'« Oracle d'Omaha », comme il est surnommé, a averti que la période de forte demande de biens des ménages qui a suivi la relance après la période de Covid-19 en raison du soutien public et de l'épargne accumulée, avait pris fin. « Le climat des affaires est différent de celui d'il y a six mois », a-t-il déclaré. Nombre d'entreprises qui avaient passé des commandes pour profiter de la forte demande de biens de consommation croulent aujourd'hui sous des stocks qu'elles vont devoir désormais écouler.

Warren Buffett fonde ces constats sur les informations émanant des directions des centaines d'entreprises dans lesquelles Berkshire Hathaway a investi, de la consommation au transport (Berkshire est propriétaire d'une des plus importantes compagnies de chemins de fer, BNSF Railway) en passant par l'énergie et l'assurance, ce qui lui donne une image réaliste du paysage économique du pays.

Warren Buffet s'attend donc à une baisse des bénéfices des entreprises dans lesquelles il a investi dans les prochains mois qui sera néanmoins compensée par les revenus générés par les bons du trésor et le cash qui profitent de... la hausse des taux d'intérêt.

Le relais du secteur des services

Ce tassement de la demande pour les biens de consommation pourrait toutefois être compensé par une demande accrue dans les services, estime par ailleurs le  département du Travail, « ramenant la part des dépenses de consommation des deux secteurs à quelque chose comme les niveaux de 2019 ». Dans ce cas, les dépenses en services seraient de 3,8 % supérieures à celles du premier trimestre et les dépenses en biens seraient inférieures de 7,6 %, selon le département, qui se base sur un scénario qui évite la récession.

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En attendant de voir si toutes ces projections se réalisent, les acteurs économiques pourront toujours méditer la remarque du vieux sage de Berkshire Hathaway rappelée samedi : « Rien n'est sûr, ni demain, ni l'année prochaine, ni dans les prévisions des marchés ou des affaires ni dans quoi que ce soit d'autre ».

Robert Jules
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