République démocratique du Congo : cette guerre que l’on ne veut pas voir

CHRONIQUE LE MONDE À L'ENDROIT — Le départ progressif des Casques bleus de la République démocratique du Congo nous fait redécouvrir l’horreur absolue de la guerre du Kivu et ses six millions de morts. Sans laisser beaucoup d’espoir pour la suite.
(Crédits : © DR)

À l'époque, c'était encore le Zaïre. Puis il y eut un génocide en 1994 dans le Rwanda voisin, celui de la minorité tutsie perpétré par des milices de la majorité hutue. Le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame, hébergé, entraîné et armé par l'Ouganda, finit par s'emparer du pays alors que les génocidaires le fuyaient. Plusieurs millions de Hutus, qui craignaient les représailles du FPR, se réfugièrent dans la zone frontalière zaïroise du Kivu.

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Kabila assassiné en 2001

C'est aussi de cette région que partit en guerre en 1996, avec le soutien du Rwanda et de l'Ouganda, le rebelle Laurent-Désiré Kabila contre le régime du maréchal Mobutu. Un an plus tard, Kinshasa tombait. Le Zaïre fut rebaptisé République démocratique du Congo (RDC). En 2001, Kabila fut assassiné dans des circonstances qui restent encore troubles aujourd'hui. Son fils Joseph lui succéda. Puis ce fut le tour d'Étienne Tshisekedi, un ancien opposant au maréchal Mobutu et au clan Kabila. L'homme a hérité en 2019 d'une guerre invisible qui, au Kivu - un territoire grand comme un cinquième de la France et peuplé d'environ 15 millions d'habitants -, ne s'est jamais vraiment arrêtée. Depuis 1998, le bilan des conflits locaux et interétatiques par milices interposées y a fait, selon les estimations, au moins 6 millions de morts et a causé le déracinement de 4 millions de personnes.

Six millions de morts ? En un quart de siècle ? Dans le plus grand pays d'Afrique subsaharienne ? L'une des guerres les plus meurtrières depuis 1945 ? Comment se fait-il qu'elle nous ait été cachée ? Et qu'elle puisse même devenir totalement invisible dans les mois qui viennent puisque les seuls observateurs relativement impartiaux de ce conflit - la Mission de l'Organisation des Nations unies en République du Congo (Monusco) - viennent de jeter l'éponge et de rendre cette semaine à l'armée congolaise la première de ses bases au Kivu.

Les médias choisissent leurs guerres par ethnocentrisme

Oui, les médias - soyons honnêtes - choisissent leurs guerres par ethnocentrisme. Plus elles sont loin et compliquées, plus elles sont chères à couvrir. Mais il est vrai aussi que le sort des Palestiniens et des Israéliens, des Ukrainiens et des Arméniens nous intéresse davantage parce qu'il a un impact direct ou indirect sur notre communauté nationale et nos intérêts stratégiques européens. Alors que les Yéménites, les Birmans et les Congolais...

Et, pourtant, nos diplomates sur le terrain, à Paris et au Conseil de sécurité de l'ONU à New York, n'ont jamais cessé de plaider en faveur du dialogue entre les neuf États concernés par ce conflit et singulièrement entre la RDC de Tshisekedi et le Rwanda de Paul Kagame.

Et de soutenir la Monusco, dont les effectifs et le budget ont fini par être démesurés. Si, avec près de 1 milliard et demi de dollars par an et plus de 20 000 Casques bleus sur place, la paix n'est pas possible, alors oui, il faut changer de méthode. Le patron des opérations de maintien de la paix de l'ONU, le Français Jean-Pierre Lacroix, l'avouait le 7 février à Kinshasa : « En ce qui concerne les opérations de paix en Afrique, je pense que nous allons sans doute évoluer vers une diversification de leur forme. Afin que les opérations de maintien de la paix soient déployées sur la base d'un processus politique, sur la base d'un accord de paix, ou lorsqu'il s'agit de s'interposer entre deux parties pour cesser les hostilités ou s'il y a un accord de cessez-le-feu. »

Or, en RDC, bien que des accords aient été signés et des dialogues engagés par le biais de médiateurs de bonne volonté, les violences ont perduré et même les personnels des Nations unies y ont perdu une centaine des leurs, qu'il s'agisse de morts en intervention ou carrément d'assassinats. Et si maintenir la paix est impossible, comment envisager de l'imposer ?

L'ONU s'en va, donc, et les milices restent, ainsi que les mercenaires. Il faut dire que lorsque les armes se taisent, c'est pour que les pelleteuses puissent creuser. Pour enterrer les morts, mais surtout pour exploiter les insolentes richesses minières du Kivu. La zone recèle 80 % des réserves mondiales connues de coltan. Ce minerai contenant du tantale est à la base des alliages indispensables aux secteurs de l'aérospatiale et de l'électronique. On se bat également pour l'or et les bois précieux du Kivu. Le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018 pour son aide médicale et psychologique aux femmes et filles violées dans ce conflit, a bien tenté de faire de la politique pour changer les choses dans son pays. Mais en vain. Le Kivu doit rester dans les ténèbres.

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