Taxation des multinationales : l'accord suspendu à la ratification par les Etats

Une fois que la proposition de taxation des multinationales à hauteur de 15% sera définitivement adoptée par l'OCDE, chaque pays devra traduire cet accord mondial dans sa propre législation. Le ministre français de l'Economie Bruno Le Maire a déjà indiqué vouloir mettre le sujet au cœur de la présidence française de l'Union européenne, au premier semestre 2022. Aux Etats-Unis, la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, s'est dite "confiante" dans l'adoption du texte par le Congrès malgré la très courte majorité des démocrates au Sénat.
(Crédits : DENIS BALIBOUSE)

La taxe de 15% sur les bénéfices des multinationales, obtenue de haute lutte à l'OCDE au début du week-end après près d'une décennie de discussions, passera-t-elle le rempart des Etats ? Ce sera la prochaine étape, puisque chacun des 136 pays signataires, représentant 90% du PIB mondial, devra traduire dans sa propre législation nationale cet accord mondial, et la faire accepter par le vote.

Bruno Le Maire veut acter la réforme au niveau européen dès début 2022

En France et en Europe, cela ne devrait pas trop poser de problèmes. Soutien de longue date de la réforme à l'OCDE, Paris s'est immédiatement félicité d'un accord "historique", qui permettra aux Etats de toucher 150 milliards d'euros de recettes supplémentaires. Pour le président français, Emmanuel Macron, l'accord est "une avancée majeure pour la justice fiscale". Et le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a déjà indiqué vouloir traduire cet accord en acte juridique lors de la présidence française de l'Union européenne, au premier semestre 2022.

En revanche, les choses pourraient être plus tendues aux Etats-Unis. La secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, s'est dite dimanche confiante dans l'adoption par le Congrès des Etats-Unis d'une réforme qu'elle qualifie aussi "d'historique". "J'espère que ce texte sera adopté et que nous pourrons rassurer le monde quant au fait que les Etats-Unis feront leur part", a déclaré la ministre de l'Economie et des Finances de Joe Biden, sur la chaîne ABC.

Vers une "procédure de réconciliation" au Congrès américain

Mais si l'objectif avancé est une mise en application mondiale de la réforme d'ici 2023, certaines questions restent en suspens, à commencer par la capacité de l'administration américaine à imposer la réforme au Congrès.

"Je suis convaincue que ce que nous devons faire pour nous conformer à l'impôt minimum sera inclus dans la procédure de réconciliation", a ainsi déclaré Janet Yellen, en référence à une technique parlementaire qui permet à la législation relative au budget d'être adoptée à la majorité simple.

Les démocrates veulent l'utiliser pour l'adoption de la gigantesque réforme sociale voulue par Joe Biden, d'un montant fixé au départ à 3.500 milliards de dollars, et qui comprend des hausses d'impôts pour les plus grosses entreprises et les Américains les plus riches.

La procédure de réconciliation permet donc aux démocrates de se passer des voix de l'opposition républicaine. Mais leur majorité est si courte au Sénat, que le parti ne peut pas non plus se permettre de défection dans ses rangs. Or, deux sénateurs démocrates jugent trop élevé le montant de ces dépenses, destinées à réformer en profondeur le tissu social américain et à lutter contre le changement climatique. Or, les revenus supplémentaires dégagés par l'impôt sur les multinationales doivent permettre de financer en partie ce plan, qui prévoit en outre des augmentations d'impôts pour les ménages les plus aisés et les entreprises très rentables. Le taux pour des ménages aux revenus les plus élevés passerait de 37% à 39,6% ; celui des entreprises réalisant plus de cinq millions de dollars de bénéfices annuels passerait de 21% à 26,5%. Il avait été abaissé de 35% à 21% lors de la grande réforme fiscale du président républicain Donald Trump.

Ce que contient l'accord à l'OCDE

L'accord annoncé vendredi soir repose sur trois mesures principales, âprement négociées entre Etats ces derniers jours. Le premier est le taux d'imposition de 15% pour les multinationales. Aprement négocié, ce point est celui qui a vu le dénouement le plus rapide, dès jeudi, avec l'annonce du feu vert de l'Irlande qui abrite nombre de sièges européens de multinationales américaines telles que Facebook, Apple et Google.

La formulation finale de l'accord parle d'un taux de taxation minimum fixé à 15% pour les entreprises réalisant au moins 750 millions d'euros de chiffre d'affaires. Un Etat pourra par ailleurs taxer les profits étrangers d'une de ses entreprises nationales qui aurait été imposée à l'étranger à un taux inférieur à 15%, afin de compenser l'écart. Les entreprises réalisant des activités de transport maritime international sont exclues de l'accord.

Le deuxième point phare de l'accord est le calcul de l'impôt. Ce sujet hérissait un pays comme la Hongrie, soucieuse de préserver son attractivité fiscale grâce à un impôt sur les sociétés de seulement 9%. Concrètement, les entreprises pourront déduire de la base imposable, pendant dix ans, un montant équivalent à 8% de la valeur des actifs réels et 10% de la masse salariale. Le taux passera à 5% ensuite dans les deux cas. C'est plus généreux que ce qui était envisagé précédemment. L'idée en filigrane est que certaines entreprises implantées dans des territoires à la fiscalité avantageuse y réalisent de réelles activités, et doivent être moins pénalisées que celles qui choisissent une implantation pour des raisons purement fiscales.

Enfin, le troisième point de la réforme est la nouvelle répartition des droits à taxer entre les pays. L'objectif : redistribuer aux Etats une partie des bénéfices réalisés par les très grosses multinationales sur leur sol, mais qui parfois s'évapore par le jeu de l'optimisation fiscale. La réforme concerne seulement les entreprises enregistrant plus de 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires (un seuil potentiellement ramené à 10 milliards au bout de sept ans) et qui dégagent une rentabilité élevée, à l'exception des industries extractives ou des services financiers réglementés.

La part des bénéfices taxés dans ce cadre, objet d'un savant calcul, a été fixée à 25% au-delà d'un niveau de rentabilité de 10%. L'entreprise doit réaliser au moins un million d'euros de chiffre d'affaires dans un Etat pour que ce dernier puisse bénéficier de la mesure, ou 250.000 euros si le PIB de l'Etat est inférieur à 40 milliards d'euros. Cette disposition permet aux pays "où il y a des clients, de récupérer une fraction du bénéfice, et de l'imposer", souligne Gaëlle Menu-Lejeune, avocate fiscaliste au sein du cabinet Fidal, évoquant un "complément d'impôt" pour ces Etats.

Lire aussi 5 mnFiscalité internationale : "l'accord met fin à des années de globalisation non régulée" (Pascal Saint-Amans, OCDE)

Commentaires 2
à écrit le 11/10/2021 à 8:22
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Taxer les entreprises sans taxer leurs propriétaires c'est de l'obscurantisme et c'est le travail qui va encore une fois être frappé de plein fouet comme si le dumping social ne l'avait pas déjà assez massacré. On voit bien que ce ne sont que des gro...

à écrit le 10/10/2021 à 20:23
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Rien compris, mais comme je suis un lapin ce doit être normal

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