Transition énergétique : ExxonMobil décide d'investir dans le lithium aux Etats-Unis

La major pétrolière va acquérir un site dans la région de Smackover dans le sud de l'Arkansas pour un montant de 100 millions de dollars. Les réserves sont évaluées à 4 millions de tonnes de carbonate de lithium et pourraient équiper des batteries pour 50 millions de véhicules. Aujourd'hui, les Etats-Unis sont très dépendants de leurs importations, principalement en provenance du Chili et de l'Argentine.
Robert Jules
Aujourd'hui, le seul site d'envergure de lithium aux Etats-Unis est celui de Silver Peak, dans le Nevada, exploité par la compagnie Albermale.
Aujourd'hui, le seul site d'envergure de lithium aux Etats-Unis est celui de Silver Peak, dans le Nevada, exploité par la compagnie Albermale. (Crédits : Reuters)

Le géant pétrolier américain ExxonMobil a décidé d'investir dans l'exploitation du lithium, l'un des métaux stratégiques, avec le cuivre et le nickel, dont la transition énergétique va faire bondir la demande, révèle le Wall Street Journal, dans son édition de lundi.

La major a acquis près de 50.000 hectares de terrain dans la région de Smackover dans le sud de l'Arkansas, auprès de la société de prospection Galvanic Energy, pour un montant de 100 millions de dollars, selon les sources citées par le quotidien des affaires étasunien. Une somme modeste au regard des 55,7 milliards de dollars de profits engrangés en 2022 grâce à l'envolée des cours des hydrocarbures liée à la reprise de la demande mondiale et aux sanctions imposées sur l'offre russe.

Si la richesse du sous-sol de Smackover était déjà connue pour ses ressources pétrolières exploitées depuis les années 1920, la présence de lithium est plus récente. Et l'enjeu est d'importance. La découverte de Galvanic Energy permettrait de fournir suffisamment de lithium pour produire des batteries - aujourd'hui son principal débouché, avec les téléphones et les ordinateurs - pour 50 millions de véhicules électriques.

Une étude technique réalisée par la société Apex Geosciences estimait en juillet dernier que les ressources s'élevaient à 4 millions de tonnes d'équivalent de carbonate de lithium et à 10 millions de tonnes de brome élémentaire, qui a également des débouchés industriels.

Vers une baisse de la demande de carburants

Pour ExxonMobil, l'une des plus anciennes compagnies pétrolières du monde, un tel rachat ne signifie pas pour autant un changement de stratégie. En effet, la compagnie texane est un poids lourd du secteur du pétrole et du gaz. Valorisée près de 430 milliards de dollars en Bourse, elle n'entend pas renoncer à son activité d'extraction et de distribution en passant par le raffinage qui repose sur la vente de véhicules thermiques. En 2022, la major a produit 2,36 millions de barils par jour (m/j), soit l'équivalent de 20% de la production d'or noir des Etats-Unis.

Dans son rapport sur les perspectives énergétiques d'ici 2050, ExxonMobil prévoit d'ailleurs une demande stable de pétrole et une croissance de la demande de gaz naturel de 30%. Néanmoins, « la demande de carburants pour les véhicules légers devrait culminer vers 2025, et décliner au niveau de celle observée au début des années 2000 », indique le rapport. Une tendance que la major doit intégrer dans sa stratégie, en diversifiant progressivement ses activités. Et l'acquisition d'un site majeur de production de lithium est une opportunité.

Son rapport prévoit que d'ici 2050 les véhicules hybrides et électriques représenteront 42% de la flotte mondiale contre 1,6% en 2021, et compteront pour plus de 50% des ventes de voitures neuves. En 2022, en Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada), les ventes de véhicules électriques ont bondi de 48% alors même que l'ensemble du marché automobile baissait de 8%. Avec plus de 760.000 véhicules électriques vendus sur son marché intérieur en 2022, les Etats-Unis représentent 10% du marché mondial, précise un rapport de Galvanic Energy.

La domination de la Chine

Or, aujourd'hui ce marché est dominé à l'échelle mondiale par la Chine, qui a pris de l'avance au cours des dernières années en particulier sur le segment des batteries. Avec son plan IRA (Inflation Reduction Act), qui va subventionner largement les projets de la transition énergétique, le président Joe Biden compte bien combler son retard - parallèlement l'Union européenne mène sa propre initiative - en développant localement la production de batteries et de véhicules électriques, ce qui donnerait un nouveau souffle à l'industrie et à l'emploi aux Etats-Unis. Mais pour cela, il faut disposer aussi des matières premières.

Or, si les Etats-Unis détiennent plus de 3% des réserves mondiales de lithium, ils ne produisent que 2% de l'offre annuelle, notamment à partir d'un seul site, celui de Silver Peak dans le Nevada (voir photo), selon les données de l'USGS. Devenue « la Silicon Valley du lithium », la région va d'ailleurs voir naître un autre projet d'envergure : le site de Thacker Pass. « Le département de l'Energie des Etats-Unis a sélectionné 12 projets de production de lithium subventionnés à hauteur de 1,6 milliard de dollars », indique ainsi l'USGS.

L'oncle Sam dépend aujourd'hui principalement du Chili et de l'Argentine, et plus marginalement de la Chine pour ses besoins en lithium. En 2022, les Etats-Unis ont utilisé 3.000 tonnes de lithium, selon l'USGS, soit 2,2% des 134.000 tonnes consommées dans le monde en 2022 (+41% par rapport à 2021), principalement en Chine, Corée du Sud et Japon, où se concentrent aujourd'hui la production de batteries. Augmenter sa production locale, c'est également moins dépendre de la volatilité des prix et de ses envolées. Car si ces derniers ont baissé de 50% en un an sur le marché chinois, la référence mondiale, ils restent le double de ce qu'ils étaient au début de 2021.

Un air de déjà-vu

Ironie de l'histoire, cette nouvelle page de la production de lithium que les Etats-Unis veulent écrire a un air de déjà-vu. En effet, jusqu'à 1995, ils étaient le premier producteur mondial. Et comme le raconte le WSJ, Exxon a même joué un rôle clé dans les années 1970 dans cette industrie puisque l'un de ses chercheurs, le chimiste Stanley Whittingham, associé à  Akira Yoshino, a reçu le prix Nobel de chimie en 2019 récompensant ses travaux qui ont contribué à développer... la batterie lithium-ion, promise au succès depuis quelques années. A l'époque, Exxon avait même commencé à produire ces batteries. Mais faute de marché, il avait dû fermer cette activité !

Robert Jules
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