Ukraine, le conflit se déroule aussi en ligne : les géants de la tech s'attaquent aux médias proches de Moscou

La guerre de l'information fait rage sur les réseaux sociaux, où le pouvoir russe s'efforce de justifier son attaque à coup d'infox, vidéos sorties de leur contexte et assertions jetées sans preuve. Un flux de désinformation que gouvernements et plateformes s'efforcent de réguler dans l'urgence. Sous la pression de leurs gouvernements et de l'opinion publique, les géants de la tech américains comme Google mais aussi plusieurs réseaux sociaux ont également pris des mesures visant à limiter la circulation de la désinformation promue par le Kremlin. Explications.
(Crédits : DADO RUVIC)

La vidéo montre un homme au sol, la jambe gauche arrachée, hurlant de douleur, tandis qu'un autre s'écrie que le malheureux vient d'être victime d'un tir d'obus ukrainien. Problème : une analyse détaillée montre que l'homme porte une prothèse, et qu'il s'agit donc d'une mise en scène. Cette vidéo, prise dans la république de Donetsk et relayée par les media russes, n'est qu'un des nombreux exemples qui montrent la guerre de la désinformation à laquelle se livre le Kremlin dans le cadre de son invasion de l'Ukraine.

Une photo montrant un prétendu blindé ukrainien en territoire russe, une vidéo de troupes ukrainiennes ayant passé la frontière, une explosion de voiture présentée comme un attentat de l'Ukraine contre le chef de la police de Donetsk... Autant de soi-disant preuves diffusées sur les réseaux sociaux et les media russes, afin de démontrer l'attitude belliqueuse de son voisin et justifier son invasion.

Propagande à grosses ficelles

Des sources dont les équipes de vérification des faits, qui travaillent d'arrache-pied depuis le début du conflit en Ukraine, ont rapidement détecté le caractère superficiel, démontrant chaque fois qu'il s'agissait de montages ou d'anciennes vidéos.

Ces tentatives de manipulation quelque peu grossières vont à l'encontre d'une Russie passée experte dans la diffusion de faux contenus et la manipulation de l'opinion, note Julien Nocetti, chercheur à l'IFRI et spécialiste de l'internet russe. « Il y a, depuis quelques années en Occident, tout un fantasme autour du hacker russe, présenté comme tout-puissant et capable d'influencer la scène politique et militaire internationale. On voit aujourd'hui que ce mythe est tout de même très éloigné de la réalité », affirme le chercheur.

« Cependant, il s'agit, d'une part, d'une stratégie qui s'inscrit dans le cadre d'un récit construit sur le long terme, et qui s'incarne aussi dans l'usage décomplexé que fait Vladimir Poutine de termes très symboliques ("génocide", "nazis", etc.) pour justifier son invasion. On ne peut donc pas juger cette stratégie uniquement sur quelques pièces. D'autre part, cette campagne de désinformation s'adresse moins à l'Occident qu'au peuple russe. L'objectif du Kremlin est, à l'aide de ce matraquage médiatique, de ressouder la population derrière une guerre peu populaire », nuance le chercheur.

Infox tous azimuts

La guerre qui se déroule en Ukraine enflamme les réseaux sociaux depuis son déclenchement, favorisant la circulation de contenus souvent peu fiables; les internautes étant en quête de la moindre information à se mettre sous la dent.

Les fausses nouvelles ne proviennent du reste pas uniquement du côté russe : l'information selon laquelle treize soldats ukrainiens retranchés sur l'île des Serpents auraient lancé une ultime bravade à un navire militaire ennemi avant d'être vaporisés par ce dernier a été largement partagée sur les réseaux sociaux, y compris par le président ukrainien lui-même, Volodymyr Zelensky..., jusqu'à ce que les autorités ukrainiennes reconnaissent que les soldats étaient en réalité bien vivants et avaient simplement été faits prisonniers.

De même, une vidéo très populaire supposée montrer un avion russe abattu par les forces ukrainiennes date en réalité de 2011. L'avion en question est un appareil de l'armée de Kadhafi abattu par les rebelles libyens.

La guerre de l'information n'est pas non plus limitée à la diffusion de faux contenus : le président ukrainien fait ainsi depuis le début du conflit un usage intelligent des réseaux sociaux, s'adressant directement à son peuple, mais aussi au monde entier depuis les rues de la capitale, pour convaincre les pays occidentaux de muscler leur aide en faveur de son pays.

Les efforts des gouvernements pour entraver la désinformation

Les États ont en tout cas bien pris conscience du fait que la guerre se déroulait aussi sur la toile et dans la sphère médiatique. Fort de ce constat, les États occidentaux adoptent des mesures visant à contrer la propagande du Kremlin. L'Europe « se bat aussi sur le terrain de l'information » dans le cadre de l'invasion russe en Ukraine, a indiqué dimanche le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, au micro de CNews/Europe 1.

Le même jour, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen annonçait le bannissement des médias d'État russes Russia Today (RT) et Sputnik de l'Union européenne.

En France, le Secrétaire d'État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques Cédric O a affirmé dimanche dans un tweet avoir échangé avec Susan Wojcicki, directrice générale de YouTube. Il devait également discuter ce lundi avec les représentants français des principaux réseaux sociaux.

Une réaction qui n'est pas que l'apanage des Occidentaux, selon Julien Nocetti.

« En Russie, on voit s'accélérer une tendance à contraindre plus fermement les activités des media russes les plus ouverts sur l'étranger, ainsi que celles des Gafam. Le pouvoir a partiellement restreint l'accès à Facebook, accusé de violer les droits fondamentaux des citoyens russes, argumentaire qui a un effet miroir par rapport à ce que les Occidentaux ont affirmé pour justifier l'interdiction de RT. »

Les Gafam sévissent

Sous la pression de leurs gouvernements et de l'opinion publique, les géants du net américains ont également pris des mesures visant à limiter la circulation de la désinformation promue par le Kremlin. Google a ainsi annoncé avoir suspendu la possibilité pour les médias financés par l'État russe de générer de l'argent sur ses différentes plateformes.

Une annonce qui a fait suite à des mesures similaires prises par sa filiale YouTube et par le réseau social américain Facebook. L'équipe de cybersécurité de Facebook a de son côté fermé une série de faux comptes liés à la Russie et bloqué le partage d'adresses internet renvoyant vers des sites diffusant de fausses informations.

« Ils faisaient fonctionner des sites web en se faisant passer pour des entités d'information indépendantes et créaient de faux profils sur les plateformes des réseaux sociaux, notamment Facebook, Instagram, Twitter, YouTube, Telegram et également les (réseaux) russes Odnoklassniki et VK », selon un billet de blog de Meta décryptant les méthodes adoptées par les influenceurs russes.

Dans certains cas, « ils ont utilisé des photos de profil que nous pensons générées à l'aide de techniques d'intelligence artificielle », ajoute le groupe californien. Le réseau social a également identifié un groupe de hackers russes baptisé Ghostwriter, qui emploie des techniques de hameçonnage afin de prendre le contrôle de comptes Facebook de journalistes et militaires ukrainiens pour disséminer des liens de désinformation. Twitter a lui choisi d'assortir d'un label spécifique les informations de plusieurs médias affiliés au gouvernement russe, dont il n'a pas donné la liste, et d'en réduire la visibilité.

Chaque tweet contenant un lien vers un média proche du pouvoir russe se verra ajouter la mention "ce tweet renvoie vers le site d'un média affilié au gouvernement russe".

Apple pourrait bien être le prochain sur la liste à prendre des mesures, le gouvernement ukrainien ayant appelé Tim Cook à rendre l'Apple Store inaccessible en Russie.

Commentaires 2
à écrit le 01/03/2022 à 13:46
Signaler
Après Facebook, YouTube annonce à BFMTV avoir rendu inaccessibles les chaînes des médias publics RT France et Sputnik France ce 1er mars au matin. Les deux médias sont accusés de propagande en faveur des Russes, en pleine invasion de l'Ukraine.Sur Yo...

à écrit le 01/03/2022 à 8:27
Signaler
La force du côté claire ! Bravo les jedis, sus au vilain dictateur russe ! Non au côté obscur de la force !

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.