En Ukraine, c'est la guerre. La Russie a envahi le pays dans la nuit du 23 au 24 février, et veut rapidement planter son drapeau à Kiev, la capitale. Face à cela, l'Union européenne a décidé, ce jeudi, d'un nouveau train de sanctions à l'égard de Moscou. Idem pour les Etats-Unis. Le président américain Joe Biden a précisé de nouvelles sanctions visant les banques, les élites et les exportations russes. Ce même jour, Vladimir Poutine, le président russe, a prévenu que Moscou ne resterait pas les bras croisés. « A ceux qui tenteraient d'interférer avec nous, et plus encore de menacer notre pays, notre peuple, ils doivent savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et conduira à des conséquences que vous n'avez encore jamais connues », a-t-il déclaré.
A LIRE AUSSI | En Ukraine, la guerre contre la Russie est aussi sur Internet
Comme cela est souvent évoqué, la Russie pourrait cesser d'approvisionner le Vieux Continent en gaz. Mais il existe d'autres moyens de nuire à l'Europe. Si l'escalade se poursuivait, les militaires russes pourraient très bien s'attaquer aux câbles sous-marins dédiés aux télécommunications, et qui assurent la quasi-totalité des échanges intercontinentaux. « C'est tout à fait possible, indique à La Tribune un fin connaisseur du secteur. Ce serait même un moyen assez subtil pour la Russie d'augmenter la pression sur l'Europe. En coupant un câble, on brouille un peu Internet. Et puis on peut en couper deux, puis trois, puis tous, jusqu'à priver l'Europe d'Internet. »
Des câbles vitaux pour l'Europe
De fait, ces câbles sous-marins sont vitaux pour l'écosystème numérique européen. La raison est simple : les données des habitants et entreprises du Vieux Continent, biberonnés aux services des GAFA, sont aujourd'hui majoritairement stockées aux Etats-Unis. Pour y accéder, l'Europe dépend donc des câbles sous-marins transatlantiques. S'ils étaient attaqués ou endommagés, il n'y aurait tout simplement « plus d'Internet européen », explique Jean-Luc Vuillemin, le directeur des réseaux internationaux d'Orange, dans un entretien à La Tribune.
- Lire aussi : « Sans les câbles sous-marins, il n'y a plus d'Internet européen » (Jean-Luc Vuillemin, Orange)
Dans ce scénario noir, c'est toute l'économie européenne, aujourd'hui largement numérisée, qui en pâtirait. « Une coupure de trafic, à ce niveau de dépendance, à ce niveau d'optimisation des processus par les données, est une "interruption de nation", alertait Pierre Bellanger, le PDG de Skyrock, très impliqué dans les problématiques liées à la souveraineté numérique, lors d'une intervention à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) en novembre 2019. C'est le bouton off du pays. »
Cette menace d'une coupure intentionnelle des câbles sous-marins, les militaires en sont bien sûr conscients. Mais selon Jean-Luc Vuillemin, l'idée qui prédomine jusqu'à présent, dans « l'écosystème de défense français », est qu'un tel acte serait si grave que « nous serions déjà dans les prémices d'un conflit de très haute intensité ». Et que dans cette situation, les câbles sous-marins seraient loin d'être leur préoccupation première.
Florence Parly pointe un navire russe du doigt
Cela dit, la France travaille à la sécurisation de ces infrastructures dans le cadre de sa nouvelle stratégie de maîtrise des fonds marins, qui a été présentée le 14 février dernier. A cette occasion, Florence Parly, la ministre des Armées, a rappelé la sensibilité de ces « autoroutes de communications qui relient les économies entre elles ».
« Ces câbles sous-marins sont les nouveaux ponts, a-t-elle affirmé. L'endommagement d'un câble peut avoir un impact majeur sur nos vies quotidiennes. En 2008, la coupure accidentelle de trois câbles sous-marins en Méditerranée avait engendré d'importantes perturbations des liaisons télécoms entre l'Europe, l'Asie et le Proche-Orient. Et depuis, d'autres exemples se sont multipliés. »
- Lire aussi : Fonds marins : la France se dote d'une stratégie mais avec des moyens capacitaires limités
La ministre a surtout rappelé que « de façon plus insidieuse, nous savons que ces câbles sous-marins peuvent aussi être la cible de nations, tentées de surveiller ou de dégrader ces infrastructures sous-marines sensibles ». « L'été dernier, nous avons suivi à nouveau un navire océanographique d'une grande puissance militaire mondiale au large de l'Irlande, alors qu'il opérait à proximité de câbles qui relient l'Europe aux Etats-Unis, a poursuivi Florence Parly. Ce n'était pas la première fois, et ce ne sera sans doute pas la dernière... » Il se trouve que ce « navire océanographique » auquel la ministre fait référence est bien connu : il s'agit du Yantar, lequel appartient... à la Russie.
Les inquiétudes de l'OTAN
L'OTAN, pour sa part, redoute depuis longtemps que Moscou s'en prenne un jour aux câbles sous-marins. En 2017, Sir Stuart Peach, alors président du Comité militaire de l'Alliance atlantique, a tiré la sonnette d'alarme. « Il existe un nouveau risque pour notre prospérité et notre mode de vie : celui des câbles qui sillonnent nos fonds marins, dont la perturbation par la coupure ou la destruction des câbles fracturerait immédiatement - et de manière catastrophique - le commerce international et Internet », a-t-il déclaré, selon le Guardian. A l'époque, son avertissement visait directement la Russie, dont des navires avaient été repérés à proximité de câbles sous-marins transatlantiques. Dans le contexte actuel, ces craintes refont évidemment surface.