Les câbles sous-marins sont des infrastructures stratégiques. L'écrasante majorité des communications internationales transite par ces autoroutes de fibre optique reposant au fond des mers. Depuis plusieurs années, les militaires et les espions s'intéressent de près à ces réseaux, essentiels au bon fonctionnement d'Internet. Un épisode récent l'a encore démontré. Cet été, à la mi-août, un navire russe bien connu des services de renseignement, le Yantar, a navigué à proximité des eaux irlandaises, à la verticale de deux câbles reliant le Vieux Continent aux Etats-Unis.
On ignore quelles opérations menait le navire. Les câbles sous-marins transatlantiques sont, toutefois, éminemment importants. Ce sont eux qui permettent, par exemple, aux Européens de bénéficier de bon nombre de services des géants du Net comme Google, Apple, Facebook ou Amazon. Si ces artères venaient à être sabotées, les communications entre l'Europe et les Etats-Unis en pâtiraient énormément. Certains pays ont déjà été confrontés à de tels actes. C'est ce que nous confiait, en 2017, Sylvestre Crocq, alors second capitaine du Raymond Croze, un navire câblier d'Orange. « Nous avons parfois affaire à des sabotages. En mer Noire, nous avons été confrontés à une coupe de câble de 50 kilomètres. C'était juste avant la guerre entre la Géorgie et la Russie [en août 2008]. »
Quoi qu'il en soit, le Yantar a déjà fait parlé de lui. A l'été 2015, les patrouilles du navire-espion avait été repéré à proximité de câbles reliant les États-Unis à une grande partie de la planète, et avait suscité de fortes tensions entre Washington et Moscou.
« Ces câbles peuvent être utilisés à des fins de détection »
En France, cette menace est aussi prise très au sérieux. Le 16 juin dernier, Pierre Vandier, le chef d'état-major de la Marine nationale l'a rappelé, lors d'une audition par la commission de Défense de l'Assemblée nationale. « Nous nous sommes aperçus que des étrangers montraient un intérêt particulier à naviguer au large de nos côtes, juste à la verticale de câbles sous-marins, a-t-il déclaré devant les députés. Une douzaine de gros câbles sont actuellement déployés sur les fonds sous-marins par les GAFA en Atlantique. De tels câbles transportent actuellement 98% du trafic internet mondial. Il y a là des enjeux en termes de renseignement et de surveillance de fonds sous-marins, car ces câbles peuvent être aussi utilisés à des fins de détection. »
De fait, des études scientifiques ont récemment démontrée que les câbles sous-marins permettait de capter les ondes acoustiques et sismiques. C'est ce qu'a indiqué un groupe de chercheurs français en décembre 2019. Celui-ci « suppose que, telle une ligne de microphones, un câble de télécommunication pourrait capter le bruit sous-marin produit par les navires ou par les cétacés ». Mais aussi, possiblement, des sous-marins militaires... Ce qui préoccupe - et intéresse - au plus haut point les services de renseignements et l'armée, soucieux de ne pas être dépassés dans cette « guerre des abysses ».
Scandale d'écoutes de la NSA
Plus récemment, un scandale d'écoutes concernant les câbles sous-marins a fait surface. En juin dernier, une enquête de la télévision publique danoise a révélé que la National Security Agency (NSA) américaine avait espionné les communications de plusieurs hauts responsables en Allemagne, en Suède, en Norvège et en France, entre 2012 et 2014. Parmi elles, on trouve notamment la chancelière allemande Angela Merkel, ou encore Frank-Walter Steinmeier, alors ministre des Affaires étrangères et aujourd'hui président de la République fédérale d'Allemagne. Les identités des personnalités suédoises, norvégiennes et françaises n'ont pas, à ce stade, été dévoilées. L'agence de renseignement du pays de l'Oncle Sam aurait notamment pu accéder à leurs SMS, appels téléphoniques, services de messagerie ou encore des chats.
Ce n'est pas la première fois que la NSA mise sur les réseaux sous-marins à des fins d'espionnage. Les révélations du lanceur d'alerte Edward Snowden, il y a huit ans, l'ont démontré. A l'époque, la NSA s'est notamment appuyée sur ses programmes Upstream et Tempora pour collecter massivement des données à partir des câbles sous-marins. Des « boîtes noires » avaient été installées au niveau des stations d'atterrissement de certains câbles stratégiques, lorsqu'ils arrivent sur la terre ferme, pour aspirer certaines informations. Alors que les réseaux sous-marins sont aujourd'hui en plein développement pour répondre à l'accroissement des échanges de données, l'intérêt des gouvernements, militaires et espions pour ces infrastructures sensibles devraient, également, aller crescendo.
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