C'est la première fois depuis 2006 que cette situation se produit : à 10h15 ce lundi 28 mars, le taux des bonds du Trésor américains pour l'emprunt à cinq ans grimpait à 2,643% et était supérieur à celui pour les bonds du Trésor à échéance trente ans (qui progressait bien moins fortement à 2,595%). Et le taux à trois ans (2,630%) est aussi devenu supérieur à celui à échéance trente ans.
Un phénomène qui va à l'encontre de la logique financière ordinaire. En temps normal en effet, plus un investissement s'effectue sur une durée courte, plus le rendement est bas. À l'inverse, plus l'argent investi est bloqué pour une longue période, plus le taux d'intérêt doit venir compenser les risques de l'investissement à long terme. La courbe des taux, qui représente les taux d'intérêt selon les différentes échéances, est donc normalement croissante. Dans le cas présent où les taux courts deviennent supérieurs aux taux longs, la courbe est dite inversée, signe que le marché juge que le risque économique s'accroît à court terme.
« La courbe des taux est traditionnellement vue comme un indicateur avancé du cycle économique. Une inversion de la courbe suggère une récession, même si cela ne se produit pas toujours », explique à l'AFP Nordine Naam, analyste chez Natixis.
Les taux à court terme évoluent traditionnellement de pair avec la politique monétaire de la Banque centrale américaine (Fed). Or, celle-ci s'est engagée sur la voie d'une série de remontée de ses taux directeurs, de manière à contenir une inflation au plus haut depuis 40 ans.
La Fed a en effet relevé ses taux pour la première fois depuis 2018 le 16 mars dernier. Elle a opté pour une première hausse modérée, d'un quart de point de pourcentage, et non d'un demi-point directement, ce qui aurait été un mouvement inhabituellement rapide. Les taux directeurs au jour le jour, qui se trouvaient depuis mars 2020 dans une fourchette de 0 à 0,25%, se situent donc désormais entre 0,25 et 0,50%.
Risque de frein sur l'activité économique américaine
Et plusieurs nouvelles hausses sont à prévoir en 2022, peut-être même une à chaque réunion de la banque centrale américaine. « Nous allons devoir relever les taux directeurs cette année et l'année prochaine pour maîtriser l'inflation », a estimé la présidente de la Fed de Cleveland Loretta Mester la semaine dernière, indiquant que « la principale difficulté économique actuelle est l'inflation ». La majorité des responsables du comité monétaire voient les taux s'établir à environ 1,75% fin 2022.
Relever les taux directeurs pousse les banques commerciales à proposer des taux d'intérêt plus élevés pour les crédits accordés à leurs clients, pour l'achat d'une maison, d'une voiture, ou encore d'une télévision, par exemple. Cela doit donc faire ralentir la consommation, pour alléger la pression sur les prix. Au risque toutefois de peser sur la croissance économique.
Le président de la Fed, Jerome Powell a néanmoins affiché son assurance sur le fait que l'économie américaine, « très, très solide », puisse encaisser les hausses de taux. Pour Loretta Mester aussi, de fortes hausses peuvent se faire sans pénaliser l'emploi ni la croissance économique.
Un avis qui n'est pas pleinement partagé. « Il y a une réelle inquiétude que le resserrement monétaire nécessaire pour ramener l'inflation à l'objectif, en particulier aux États-Unis, puisse déclencher au mieux un ralentissement économique ou au pire une véritable récession », a déclaré Stuart Cole, macroéconomiste en chef chez Equiti Capital, ce lundi 28 mars. Pour Peter Chatwell, responsable de la stratégie multi-actifs chez Mizuho Bank, « le marché obligataire évalue que la réponse politique de la Fed va fortement freiner la croissance économique », a-t-il déclaré.
(Avec agences)