Zones à faibles émissions (ZFE) : les leçons à tirer de l'expérience d'Egis à Manchester

A l'été 2021, le Français Egis a gagné un appel d'offres visant à déployer une « Clean Air Zone » dans le Grand Manchester. Sauf que tout ne passe pas comme prévu. Si la Grande-Bretagne est en avance sur la France sur au moins trois points dans le déploiement de leurs zones à faibles émissions (ZFE), le projet patine localement. Ainsi, il ne devrait entrer en service qu'au 1er janvier 2024. Récit.
César Armand
Dans le cadre de ce contrat, Egis devait faire fonctionner la « Clean Air Zone » (CAZ) sept jours sur sept, 24 heures sur 24.
Dans le cadre de ce contrat, Egis devait faire fonctionner la « Clean Air Zone » (CAZ) sept jours sur sept, 24 heures sur 24. (Crédits : 1000words)

Il n'y a pas qu'en France que les zones à faibles émissions-mobilité (ZFE-m) rencontrent des problèmes d'acceptabilité. Lauréat de la mise en place et l'exploitation de la « Clean Air Zone » du Grand Manchester, Egis en fait l'amère expérience depuis l'été 2021. Tout avait pourtant bien commencé pour le Français, groupe international de conseil, d'ingénierie de la construction et d'exploitation. Sa feuille de route était claire : réduire l'utilisation des véhicules à fortes émissions, modifier le comportement des utilisateurs du réseau de transport et encourager l'utilisation de véhicules plus propres et plus économes. Plusieurs véhicules se trouvaient dans le viseur : les bus et autocars, les poids lourds, les véhicules utilitaires légers, les camionnettes, les minibus, les taxis et les véhicules de location privés non réglementaires.

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Les autorités locales avaient tout planifié : une phase de mise en œuvre dès juillet 2021 jusqu'à fin janvier 2022, puis une période d'essai et de test sur quatre mois entre février et mai 2022, et enfin, une date de mise en service publique au 1er juin 2022. Et ce, pour une durée de cinq ans, voire une prorogation de trois années supplémentaires.

Une réponse à un contexte politique brûlant

Dans le cadre de ce contrat, Egis devait faire fonctionner la « Clean Air Zone » (CAZ) sept jours sur sept, 24 heures sur 24, avec 900 caméras et un centre de supervision de 60 personnes pour faire des revues d'image et répondre aux questions de la population. Et bien sûr, un site Internet dédié pour gérer tant les paiements de redevance de passage, les remises, les exemptions, que les avis d'amendes en cas de non-paiement desdites redevances.

Il s'agissait, ni plus ni moins, de répondre à un contexte politique brûlant. Comme dans l'Hexagone, des associations ont déposé plainte contre l'Etat pour inaction climatique, notamment du fait des particules fines en milieu urbain. Résultat, l'Etat britannique a été condamné par la Cour suprême à agir.

Nous sommes en 2019 : l'Etat britannique et les grandes villes - outre Londres, pionnière en 2005 avec son péage urbain - se mettent d'accord pour mettre en place des « Clean Air Zone ». Ces « CAZ » sont assorties de rapports annuels pour objectiver la baisse des particules fines (NOx) et le pourcentage de sujets de Sa Majesté respectant les règles.

Et ça marche : à Birmingham en 2021, le taux de NOx a diminué de 13% par rapport à 2019 avec 89% de véhicules en règle. Idem à Bath en 2022 où les émissions de particule fine ont été réduites de 14% par rapport à 2019 avec 93% d'automobilistes dans les clous.

Trois différences de taille avec le système français

Outre-Manche, il subsiste en effet trois différences de taille qui expliquent un tel comportement. D'abord, les vignettes A, B, C et D sont associées aux émissions de dioxyde de carbone (CO2) et de particules fines (NOx), contrairement aux Crit'Air françaises de 0 à 5 qui vont dans l'ordre croissant selon l'âge du véhicule et sa motorisation - électrique/hybride/essence/diesel.

Ensuite, le système d'aides n'a rien voir avec la jungle du système hexagonal. Pas de primes, surprimes, prêts ou autres bonus, conditionnés à de multiples critères et octroyés par une multitude d'acteurs, alors qu'en Grande-Bretagne, « plus vous avez un véhicule qui risque d'être interdit, plus vous avez d'aides », expliquent Emmanuel Michaux et Erwan Huerre d'Egis.

Enfin, Paris et Londres divergent totalement sur les relations Etat-collectivités. En France, la loi a créé 43 ZFE à déployer d'ici au 1er janvier 2025 au plus tard, mais l'appel d'offre national du système de contrôle-sanction ne sera lancé qu'au second semestre 2024, juste après les Jeux olympiques et paralympiques. Le gouvernement promet que les recettes seront affectées aux intercommunalités concernées.

L'Etat britannique, lui, s'appuie sur une « Joint Air Quality Unit » (JACU). Cet organisme est chargé de coordonner le déploiement des « Clean Air Zone » (CAZ) et de centraliser le recouvrement des amendes. Sauf que l'argent récolté est fléché localement dans la foulée vers la décarbonation des transports en particulier et les aides aux particuliers et aux professionnels. Ce sont également les autorités locales qui décident des solutions opérationnelles, en témoigne l'appel d'offres remporté par Egis dans le Grand Manchester.

« Les amendes ZFE devront être dépénalisées, c'est-à-dire permettre aux intercommunalités de récupérer les fonds. Nous sommes convaincus qu'il n'y a que comme ça que cela fonctionnera », affirment Emmanuel Michaux et Erwan Huerre, forts de leur expérience Outre-Manche.

Que s'est-il donc passé pour que le projet patine ?

Des vignettes plus lisibles, des aides plus adaptées, des fonds fléchés localement... Tout semblait bien parti. Que s'est-il donc passé à Manchester pour que le projet patine ?

« Les opposants - notamment les artisans et les taxis - ont fait beaucoup de bruit pour dire qu'ils seraient extrêmement pénalisés. Ils ont même sorti des photos avec des vaches pour dire que la « Clean Air Zone » (CAZ) s'étendait jusque dans la campagne », affirment les deux porte-paroles d'Egis.

Et pour cause, même si les dix comtés ont réussi à s'entendre au-delà de leurs couleurs politiques respectives sur le schéma et le fonctionnement, le périmètre de la CAZ du Grand Manchester épouse une superficie grande comme l'Île-de-France. A titre de comparaison, la ZFE-m du Grand Paris est circonscrit aux frontières de l'A86, c'est-à-dire à la petite couronne, même si les banlieusards ont, eux aussi, besoin d'entrer dans la capitale...

Une mise en service prévue au 1er janvier 2024

Actuellement, les élus du Grand Manchester planchent donc sur la taille de la « Clean Air Zone », s'interrogent s'il faut passer d'une zone payante ou non-payante - « ce serait un peu moins ambitieux et plus proche de ZFE françaises » pointe Egis - et regardent sur les catégories de véhicules concernés.

« Nous visons une mise en service au 1er janvier 2024 », précisent Emmanuel Michaux et Erwan Huerre. « Il y a toujours une volonté politique et une obligation juridique. Techniquement, tout est prêt. Nous n'attendons plus que les règles du jeu qui font l'objet d'une négociation entre le ministère concerné et le Grand Manchester », ajoutent-ils.

Les leçons à retenir sont a priori simples. Il ne suffit pas de créer une ZFE, il faut embarquer la population avec un bon périmètre et des aides justes, mais aussi et surtout décentraliser le plus possible.

Le cas échéant, avant même de recevoir les conclusions de France urbaine le 10 juillet, puis celles de la députée Barbara Pompili, la Première ministre Elisabeth Borne et le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires peuvent toujours piocher dans le dernier rapport du Sénat et la proposition de loi des députés insoumis. Même si cette dernière hypothèse paraît peu vraisemblable.

César Armand
Commentaires 6
à écrit le 24/06/2023 à 12:13
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Dans quelques années ,seule une élite argentée pourra accéder aux villes et se déplacer dans le pays en voiture,pour les autres ce sera le transport des communs si celui-ci existe ,le vélo et la marche à pied,bref, le nouveau monde.

le 24/06/2023 à 15:55
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D'ailleurs la fameuse ville en Arabie Saoudite en ligne a été étudiée pour cela pour que quand les esclaves productifs crèvent les autres ne le voient pas. Leur utopie dont ils ont les moyens de mettre en œuvre puisque même les politiciens leur appar...

à écrit le 24/06/2023 à 7:56
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Une boite privée pour faire respecter l’ordre public, enfin si on peut appeler un ordre public en néolibéralisme se serait plutôt du désordre public partout, sans rire ? J'aimerais qu'une boite privée anglaise vienne me dire comment vivre tiens !

à écrit le 23/06/2023 à 21:08
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Pendant qu'on y est, on interdit de fumer dans les ZFE ? Parce que la cigarette est beaucoup plus dangereuse que les oxydes d'azote...

à écrit le 23/06/2023 à 20:42
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Pressé que l'on prenne notre revanche ZFE sur nos amis italiens , par une avalanche d'amendes.

à écrit le 23/06/2023 à 19:52
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"et de particules fines (NOx)" les freins émettent des particules fines en générant aucun NOx, les pneus aussi, les NOx sont des gaz (odeur nitrique pour ceux qui connaissent). Les CAZ ont des ambitions chiffrées (niveau de pollution vs seuils de l'...

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