C'est une politique publique vertueuse sur le plan sanitaire mais qui se heurte à des résistances politiques et sociales sur le terrain: les ZFE-m pour zones à faibles émissions-mobilité. Derrière cet acronyme barbare, il s'agit d'espaces routiers où la circulation des véhicules les plus polluants est limitée au nom de la qualité de l'air. Depuis la loi d'orientation des mobilités (LOM) de 2019, les onze plus grandes métropoles les ont déjà mises en place, suivies, au 1er janvier 2025 au plus tard, des trente-deux autres agglomérations de plus de 150.000 habitants.
Nées dans la loi LOM et renforcées dans la loi Climat & Résilience de 2021, ces ZFE visent à lutter contre la pollution de l'air. Le 17 octobre 2022 et pour la deuxième fois, l'Etat a été condamné par le Conseil d'Etat. Selon Santé publique France, les particules fines et les oxydes d'azote, notamment émis par les véhicules automobiles, ont causé en effet la mort de 47.000 Français rien qu'en 2021.
Sur le terrain, ces espaces routiers se matérialisent par des rectangles blancs bordés de rouge avec, en leur cœur, des cercles rouges surmontés de la mention « Zone » et, juste en dessous, un panonceau où il est écrit « Sauf catégories 1, 2, 3 » avec des cercles vert (pour les véhicules électriques, Ndlr), violet (Crit'Air 1), jaune (2) et orange (3).
Tout ne passe pas comme prévu sur le terrain
Sauf que tout ne passe pas comme prévu, les particuliers et les professionnels peinant à changer de voiture, faute d'accompagnement et de moyens suffisants de l'Etat et des collectivités concernées. Dès octobre 2022, deux députés MoDem et PS alertent donc l'opinion publique sur un risque de « bazar complet » et de « grogne populaire » suivi par une réponse du gouvernement qui a souhaité apaiser les tensions.
Il n'empêche: en janvier 2023, le groupe Rassemblement national de l'Assemblée nationale dépose une proposition de loi visant à supprimer cette politique publique, mais le texte est finalement rejeté.
Le Sénat veut « sortir de l'impasse »
Il faut attendre fin mars pour que la Première ministre charge la députée (Renaissance) de la Somme et ancienne ministre de la Transition écologique Barbara Pompili d'une mission sur l'acceptabilité des zones à faibles émissions. Au même moment, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat lance sa propre mission d'information pour « sortir de l'impasse ».
De ce rapport dévoilé ce 14 juin, il en ressort neuf recommandations-clés, non pas pour en finir avec ces ZFE, mais afin, selon les mots du rapporteur, de « réconcilier la qualité de l'air et l'acceptabilité sociale ».
« Je n'ai pas envie de revoir des gilets jaunes bloquer le pays, de la violence, des manifestations si des mesures ne sont pas prises... A la décharge du gouvernement, quelques sujets sociaux [les retraites, Ndlr] ont animé l'agenda de tous les parlementaires », poursuit Philippe Tabarot, sénateur (LR) des Alpes-Maritimes.
Accélérer le verdissement du parc de véhicules
Concrètement, le parlementaire recommande d'accélérer le verdissement du parc de véhicules. Comment ? En renforçant les aides à l'acquisition de véhicules propres neufs, en encourageant la conversion du parc de véhicules existant et en améliorant la lisibilité du système d'aides nationales et locales à l'acquisition.
Par exemple, Philippe Tabarot estime « nécessaire » de mieux cibler le bonus écologique et la prime à la conversion vers les ménages modestes et de ceux résidant en dehors des ZFE. Selon nos informations, la maire (PS) de Nantes et présidente de France urbaine, Johanna Rolland, pousse déjà cette idée auprès du gouvernement.
L'élu (LR) des Alpes-Maritimes appelle également à soutenir plus largement les alternatives à la voiture. Sur ce point, les idées ne manquent pas: pôles d'échanges multimodaux, cars express, systèmes express régionaux métropolitains ou « RER Macron » mais aussi baisse de la TVA à 5,5% pour les transports collectifs.
Un assouplissement qui risque de faire bondir les écologistes
En réalité - et c'est d'ailleurs ce qui risque de faire bondir les écologistes - le sénateur préconise un assouplissement des calendriers de mise en œuvre des restrictions de circulation. Dans les onze premières ZFE, les véhicules Crit'Air 5 sont prohibés depuis le 1er janvier 2023, suivis des Crit'4 en 2024 et Crit'3 en 2025.
« Repoussons à 2030 au plus tard l'entrée en vigueur pour les Crit'Air 3, » plaide Philippe Tabarot, considérant que 13 millions de voitures - la moitié du parc - risquent de partir à la casse dans les dix-huit mois.
L'élu (LR) des Alpes-Maritimes défend aussi l'échéance de 2030 comme « date-butoir » pour l'instauration des trente-deux autres zones à faibles émissions prévues au 1er janvier 2025.
9 pistes déjà poussées auprès du ministre Christophe Béchu
Si aucune des deux propositions ne trouve écho au sein de l'exécutif, il suggère d'individualiser le système Crit'Air en fonction du degré d'entretien des véhicules. « Le contrôle technique permettrait de récompenser les comportements les plus vertueux », assure-t-il.
Autant de pistes que le parlementaire a déjà poussées auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires lors de la séance de questions au gouvernement. Sauf que ce dernier a botté en touche.
« Je suis prêt à vous recevoir », a commencé par répondre Christophe Béchu à Philippe Tabarot. « Le 10 juillet, les élus de France urbaine vont remettre leur rapport », a-t-il poursuivi.
Autrement dit, le gouvernement est prêt à écouter le Sénat, mais d'abord il va entendre le Toulousain Jean-Luc Moudenc et la Strasbourgeoise Anne-Marie Jean, qu'il a lui-même missionnés il y a trois mois. Philippe Tabarot risque, lui, de ronger son frein jusqu'à fin septembre, date des prochaines élections sénatoriales...