Jean-Dominique Senard et Pascal Demurger : "on a longtemps séparé RSE et stratégie et on découvre que c'est la même chose"

Jean Dominique Senard, président du conseil d'administration de Renault et Pascal Demurger, directeur général de la Maif ont débattu ensemble lors du Forum "RSE, le temps des actes" organisé jeudi 20 mai par La Tribune. Deux acteurs clés, un industriel, un assureur-investisseur, aux fortes convictions sur le sujet : la responsabilité sociétale des entreprises, c'est la stratégie, et la stratégie se confond désormais avec la RSE, affirment-ils.
Philippe Mabille
(Crédits : DR)

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Jean-Dominique Senard, votre rapport écrit avec Nicole Notat a été objet de vifs débats au sein du patronat. Il a été à l'origine de la loi Pacte de mai 2019 défendue par Bruno Le Maire. En cette sortie de crise Covid, quelles leçons en tirez-vous ? Sommes-nous à un moment de bascule du capitalisme pour qu'il devienne plus responsable ?

Jean-Dominique Senard. Le rapport "L'entreprise, objet d'intérêt collectif" que Nicole Notat et moi avions rédigé il y a 3 ans, avait été reçu fraichement par le monde économique. On est en train de passer d'un scepticisme aimable, à une conviction partagée. Pas avec la même intensité partout, mais les questions de raison d'être sont au coeur des débats. Tout le monde est en train de se rendre compte que la RSE, c'est la vie de l'entreprise. On a longtemps séparé RSE et stratégie et on découvre que c'est la même chose. La raison d'être c'est le préambule, la stratégie de l'entreprise en découle. Il y a une grande révolution également au niveau de l'Europe. C'est là qu'on pourra imposer un modèle qui sera un ciment politique.

Pascal Demurger, avez-vous aussi l'impression qu'on prend la RSE plus au sérieux ?

Pascal Demurger. Depuis deux ans les choses se sont accélérées. Dans les entreprises, la RSE qui était rattachée à la communication, l'est désormais au directeur général. Alors qu'elle consistait souvent à affecter une partie des résultats à de grandes causes, désormais elle implique l'ensemble de l'opérationnel de l'entreprise. Cette évolution est dictée chez certains dirigeants, par la conviction, mais il y a aussi des patrons qui n'agissent que par intérêt. Les Entreprises comprennent qu'elles sont face à une attente sociale si forte de la part des clients, des salariés, des investisseurs, qu'elles doivent s'engager sous peine d'aller au devant de difficultés.

Chez Renault, vous avez mis en place une stratégie RSE. Comment le faire, tout en menant un plan de transformation qui va s'accompagner de réduction d'effectif ?

Jean-Dominique Senard. C'est une question récurrente. Le rôle des chefs d'entreprise c'est d'assumer cette transformation, en anticipant. Nous avons souffert de manque d'anticipation dans nos systèmes économiques et sociaux, qui nous ont conduit à des situations très difficiles à gérer. L'absence d'anticipation conduit toujours à des problèmes majeurs. Chez Renault, la stratégie RSE est la même que la stratégie de l'entreprise. Luca de Meo a donné l'ordre de bataille de la RSE de Renault, qui tourne autour des questions de sécurité, d'environnement et d'inclusivité. Sur tous ces thèmes, on va se fixer des engagements très proches. Concernant les restructurations, elles sont juste indispensables pour survivre. Si on ne prend pas le taureau par les cornes et qu'on n'anticipe pas pour rassurer, on va droit dans le mur.

Pascal Demurger, durant les mois du premiers confinements, la Maif a décidé de rembourser la police d'assurance des automobilistes ? Etait-ce une démonstration par la preuve de vos engagements ?

Pascal Demurger. Mi-mars 2020, lors de l'annonce du premier confinement, le président de la République appelait les entreprises à être à la hauteur du moment. Pour un assureur, cela veut dire revenir sur son rôle social qui est de préserver contre les sinistres collectifs, d'être solidaire, de limiter les conséquences négatives de ce genre d'évènement. Il était hors de question de tirer un quelconque bénéfice de la crise. Nous assurons les automobiles et comme les gens étaient chez eux, on a connu une baisse 85% de l'accidentologie. Il ne m'a pas semblé légitime de garder ces primes, que nous avons pris la décision de rembourser à nos sociétaires.

Quelle leçon en tirez-vous ?

Pascal Demurger. Que lorsqu'on prend des décisions alignées avec nos valeurs, ce sont des décisions justes. Cela nous a coûté 100 millions d'euros. Nos résultats 2020 en portent la trace. On est passé de 127 à 36 millions de résultat. Mais dès la fin du premier confinement, on a senti une courbe de développement très forte. Une attractivité de la marque Maif. En 2020 on a eu des résultats de développement historique et 2021 est parti sur une tendance encore supérieure. Quand on fait des choses justes, à long terme on en tire profit.

Jean-Dominique Senard, est-ce que la RSE marche quand tout va bien, mais que lorsque cela va moins bien cela peut se retourner contre vous, à l'image de ce qui est advenu chez Danone ?

Jean-Dominique Senard. Chez Renault nous avons publié récemment notre raison d'être qui est : « nous faisons battre le cœur de l'innovation pour que la mobilité nous rapproche les uns des autres. » C'est une belle phrase et les réactions sont positives lorsque je rencontre les salariés qui ont retrouvé un élan. Il n'y a pas de contradiction. Si on évoque le cas particulier de Danone, la direction d'Emmanuel Faber n'est pas en cause, tous les plans prévus vont se poursuivre. Il ne faut pas se laisser décourager par des cas particuliers. Globalement, les choses vont dans le bon sens, mais on a besoin d'un cadre pour permettre à ce capitalisme de se développer. La politique a un rôle à jouer, notamment au niveau de la Commission européenne, pour que les investisseurs retrouvent un cadre pour investir dans des entreprises affichant certaines valeurs. En Europe, la directive sur l'information extra financière est sur les rails. On a une année pour arriver à des normes fondées sur des valeurs européennes. Si on y arrive, l'histoire va aller très vite.

Pascal Demurger, est-ce qu'on peut imaginer un capitalisme européen ?

Pascal Demurger. Par nature, les entreprises n'iront pas vers des engagements forts en matière sociale et environnementale si elles n'y trouvent pas un intérêt. Michelin, Renault et Maif ont démontré que l'engagement est créateur de performance. Mais cela peut être long. Les pouvoirs publics doivent accélérer ce mouvement. Cela renvoie au comportement de l'Etat à l'égard des entreprises, de la conditionnalité des politiques publiques. Est-ce que la politique fiscale doit être la même en fonction du comportement des entreprises, est-ce que la commande publique doit intégrer de manière obligatoire des dimensions environnementales et sociales, est-ce que les aides publiques doivent être accordées sans tenir compte de l'engagement des entreprises ? Ma conviction est que les politiques publiques doivent être de plus en plus conditionnées pour arriver à un mouvement plus ample. Et les consommateurs doivent être éclairés, pour cela ils pourraient disposer, sur le modèle du nutriscore, d'un impactscore.

Jean-Dominique Senard, la Renaulution que vous avez mise en marche illustre cette stratégie RSE ?

Jean-Dominique Senard. Cette expression est celle du directeur général Luca de Meo recouvre un ensemble de décisions et de perspectives exemplaires : une fusion entre amélioration économique et de gros engagements RSE. Renault va se redresser et redevenir d'ici quelques années une entreprise de pointe qui sera un exemple européen en matière de RSE.

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Philippe Mabille
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