« La Corse de l’agriculture est confrontée aux mêmes problèmes puissance 10 ! » (Joseph Colombani, FDSEA Haute-Corse)

Président de la chambre d’agriculture et de la FDSEA de la Haute-Corse, Joseph Colombani, solidaire de la révolte des agriculteurs, estime que les problèmes structurels et conjoncturels dont souffre l’agriculture insulaire rendent encore plus difficile la situation sur l'île que dans l'Hexagone.
Pour le président de la FDSEA de Haute-Corse, un changement de « paradigme de la PAC est indispensable  ».
Pour le président de la FDSEA de Haute-Corse, un changement de « paradigme de la PAC est indispensable ». (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Pour quelles revendications la Corse de l'agriculture est-elle solidaire des autres régions de France ?

JOSEPH COLOMBANI - Celle qui se situe au sommet de la pile, c'est la toute-puissance de la PAC, la politique agricole commune, à entraver nos capacités de production. Elle tourne le dos à la fonction productive de l'agriculteur et elle compense ce carcan par des aides qui ne sont pas à la hauteur des besoins. Notre agriculture est capable de produire sain et local, mais des marchés lointains, sans foi ni loi en matière de respect des normes et invasifs, viennent la corrompre. Un changement de paradigme de la PAC est indispensable.

L'insularité aggrave-t-elle les difficultés, fussent-elles communes ?

Oui, et même puissance 10 ! L'entrave à notre capacité de produire est décuplée par le retard de développement que nous accusons alors même que le potentiel est énorme. Nous nous heurtons à l'impasse d'un foncier non maîtrisé, à la désorganisation du marché, au coût du transport et aux surcoûts de l'éloignement. La Corse n'a pas d'unité de fabrication des aliments. La tonne de céréales qui se vend 200 euros sur le continent débarque en Corse à 440 euros !

Quelles sont les normes qui accablent spécifiquement la Corse ?

Je pourrais déployer tout un catalogue, mais prenons l'exemple des traitements phytosanitaires. Tout le monde s'accorde sur un point : il n'est pas question d'empoisonner le consommateur. Sauf qu'à la proscription normative de certaines molécules, on ne propose aucune alternative. Et lorsque les recherches biologiques débouchent sur un plan B, il est utilisé par les agriculteurs du continent mais pas chez nous, la biodiversité de la Corse ne le tolère pas ! On nous interdit l'importation de ces auxiliaires de lutte biologique sans pour autant trouver des solutions propres à notre biodiversité. J'ajoute qu'on interdit ces molécules à la production mais pas à la consommation pour les produits à bas prix venus de pays qui s'affranchissent de toutes les règles et ils ne sont pas aux antipodes, ce sont l'Espagne et l'Italie. La Corse est lésée à tous les étages !

La discorde avec Bruxelles sur les parcours d'élevage est-elle enfin levée ?

Pas du tout ! Cette autre aberration que nous subissons de l'Europe a la peau dure. Elle ne reconnaît pas - sauf pour le porc - que nos animaux, ovins et caprins, consomment des glands et des châtaignes. Or, nous avons préservé nos races endémiques qui sont adaptées à ce régime alimentaire et à cette tradition séculaire. Nous ne demandons pas d'argent mais la reconnaissance à leur juste valeur de nos espaces agropastoraux pratiqués depuis la nuit des temps. Si nos éleveurs les déclarent comme parcours alimentaires, au pire ils sont considérés comme des fraudeurs, au mieux on ne leur verse pas les primes auxquelles ils ont droit au même titre que tous les autres bergers.

La sacralisation des espaces agricoles dans le Plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (Padduc)* vous rassure ou, comme vous semblez le dire, la problématique foncière persiste ?

Le principe acté dans le Padduc est très louable mais ça reste un vœu pieux. Sur les 100.000 hectares théoriquement dévolus à l'agriculture, seuls 30.000 sont exploités. Les autres ne sont pas mobilisables. À la pression spéculative se greffe l'insuffisance de moyens pour la mise en valeur. Le développement agricole, il faut le considérer dans sa globalité. Il y a le foncier, certes, mais il y a aussi les obstacles liés au marché, au transport, à l'irrigation, à la structuration des abattoirs, au financement qui se heurte à la frilosité des banques et à l'absence de contre-garanties qui facilitent l'obtention des prêts comme elles existent sur le Continent. En Corse, seuls les gens qui ont une garantie personnelle peuvent envisager un prêt bancaire.

Où en est la balance entre les installations et les cessations d'activités ?

À l'équilibre, malgré tout, même légèrement en positif et c'est à contre-courant de ce qui se passe partout ailleurs. Je l'explique par deux choses. D'abord, les jeunes ne veulent pas prendre le bateau, s'exiler pour trouver du travail comme ont dû s'y résoudre leurs grands-parents ou arrières grands-parents. Ensuite, la Corse est la région où l'on recense le plus de familles qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté et les jeunes restent au village pour, même à toute petite échelle, travailler la terre et élever des animaux. Contrairement à ce que préconise Emmanuel Macron pour trouver un emploi, dans la Corse de l'intérieur, lorsqu'on traverse la route, on passe du maquis... au maquis !

La situation permet-elle à la Corse d'être autosuffisante, au moins dans des proportions raisonnables ?

Vous êtes à des années-lumière de la réalité ! L'autoconsommation en Corse est de 4 %, pas davantage. 96 % de l'alimentation que les Insulaires consomment franchit la mer. On en revient aux problèmes soulevés tout à l'heure, le foncier, l'abattage, l'organisation du marché.... Si on a la connaissance des besoins, on peut organiser la production à partir des quatre paramètres suivants : le produit, la quantité, la période et le prix. Aujourd'hui, on travaille à l'instinct. À titre d'exemple, quand un exploitant agricole fait dix hectares de tomates, il espère en commercialiser cinq ou six sans avoir ni contrat ni visibilité sur les prix. Si le marché était organisé, il ne planterait que la surface qu'il est sûr de rentabiliser. C'est d'autant plus regrettable que les acteurs de la distribution en Corse, que nous avons rencontrés, seraient prêts à jouer le jeu.

En quoi, selon vous, un statut d'autonomie pourrait aider l'agriculture corse à sortir de l'ornière ?

La réponse que je vais vous faire ne vous paraîtra pas très rationnelle. Mais historiquement, j'observe que chaque grand événement politique a été bénéfique à l'agriculture corse. Au début des années 60, l'indépendance de l'Algérie a amené l'installation des pieds-noirs qui ont fertilisé la Plaine orientale. Un an après l'élection de François Mitterrand, la Corse a obtenu son premier statut particulier et les crédits publics mis sur la table agricole ont sauvé la viticulture et lui ont donné un nouvel élan avec la reconversion de 7.000 hectares avec des cépages endémiques. En 2002, le processus de Matignon piloté par Lionel Jospin a déroulé le tapis rouge à la clémentine corse désormais appréciée dans le monde entier. Eh bien, en 2024, avec l'autonomie, on veut sauver les vaches !

Vous avez demandé à rencontrer le ministre de l'Agriculture. A-t-il accédé à votre demande ?

Non, et c'est une rupture avec une longue tradition de visites régulières. La dernière visite notable est celle de Stéphane Le Foll en 2015. Il faut croire qu'ils n'aiment plus notre prisuttu...

Justement, la Corse sera-t-elle présente au Salon de l'Agriculture ?

Bien sûr. Je peux même vous annoncer que la Corse a été choisie pour y organiser le traditionnel Grand dîner. C'est là une reconnaissance pour nos produits les plus emblématiques, notre savoir-faire et notre gastronomie. Le président de la République y est évidemment invité...

*Encadré par la loi du 5 décembre 2011, le Plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC) est un document de planification qui fixe les objectifs de la préservation de l'environnement de l'île et de son développement économique, social, culturel et touristique. Il sanctuarise 100.000 hectares d'espaces agricoles.

Commentaires 3
à écrit le 30/01/2024 à 8:23
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Tiens la Corse serait un bon territoire test pour imposer de la permaculture, peu d'habitants et beaucoup de nature, une géographie exigeante, la biodiversité régnante, ça vaudrait le coup de tenter au moins. Bon c'est sûr ensuite pour s'opposer à la...

à écrit le 29/01/2024 à 18:16
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Ce monsieur nous dit que la Corse est autosuffisante à 4%. 96% est donc importé et en partie subventionné. L'autonomie...une bonne solution? Pas sûr que nombre de Corses voient cette perspective avec ravissement.

le 29/01/2024 à 20:56
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Si ça "sauve" les vaches, il faut voir. :-) Certaines sont bien maigres, elles escaladent les pentes. J'avais acheté des pomelos une fois, les corses et importés sont au même prix ça facilite le travail en caisse et évite de les 'marquer'. Y a des p...

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