Au cœur du vignoble corse, les secrets de l’AOC Patrimonio

Obtenue en 1968, cette appellation prend racine dans un terroir millénaire et regroupe aujourd’hui 37 vignerons, prêts à relever les nouveaux défis qui s’imposent à leur profession. Dont ceux de l'export et de l'adaptation au changement climatique.
Marie-Françoise Devichi, présidente du Syndicat des vignerons de l'AOC Patrimonio.
Marie-Françoise Devichi, présidente du Syndicat des vignerons de l'AOC Patrimonio. (Crédits : Magali Cancel)

Depuis près de 60 ans, l'AOC Vins de Patrimonio puise sa source au cœur de la microrégion de Conca d'Oro réputée - et baptisée ainsi - pour la richesse et la fertilité des sols qui la caractérise :  une terre argilo-calcaire, ventilée par les brises marines du golfe de Saint-Florent qui offre un environnement idéal pour la culture de la vigne. Première femme nommée à la tête du syndicat de l'appellation, en mai dernier, Marie-Françoise Devichi, 41 ans, a repris le flambeau familial. « Nos aïeux avaient déjà reconnu le potentiel de ce territoire » dit-elle.

Sur son domaine fondé en 1734, désormais baptisé « Mlle D » et s'étalant sur 27 hectares à Barbaggio, elle représente la sixième génération. C'est en 2012 qu'elle a succédé à son père, Jacques-François, parmi les pionniers de l'AOC Vins de Patrimonio. Barbaggio qui fait donc partie des 7 communes -avec Farinole, Oletta, Patrimonio, Poggio d'Oletta, Saint-Florent et Santo-Pietro-di-Tenda - sur lesquelles se concentre l'appellation, la plus ancienne et emblématique des neuf que compte la Corse. Elle se distingue par ses cépages identitaires à la renommée mondiale, notamment le « niellucciu » et le « vermentinu », aujourd'hui cultivés sur 450 hectares par 37 vignerons.

90% du vignoble en bio

« Nos vins possèdent également le label européen "AOP", obtenu pour contrer les vins de coupage et de négoce et mettre en valeur le travail de nos producteurs » explique la présidente du syndicat des Vins de Patrimonio. « Nous avons voulu ainsi protéger un savoir-faire unique et à haute valeur ajoutée. Tout ceci étant régi par un cahier des charges, tel un garde-fou. Nous avons vocation à y inscrire à présent des règles pour la préservation de l'environnement, à l'image de l'interdiction du glyphosate ».

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Un herbicide classé en 2015 par l'Organisation Mondiale de la Santé comme « probablement cancérigène », alors que le 16 novembre dernier, les 27 pays de l'Union Européenne ne sont pas parvenus à trouver un terrain d'entente sur l'interdiction de ce produit, autorisant ainsi - avec l'abstention de la France - son utilisation pour dix années supplémentaires. Marie-Françoise Devichi précise par ailleurs que « près de 90% de l'appellation est en bio certifiée ou pas - et l'irrigation y est interdite ».

Sous sa présidence, le syndicat AOC Vins de Patrimonio entend axer sa stratégie sur le développement d'actions d'œnotourisme et l'exploration de nouvelles voies pour l'élevage des vins rouges. « Les moyens modernes permettent de pouvoir allier des "cuvées plaisir" ou "glouglou" comme on dit maintenant - qui assurent une trésorerie régulière et des cuvées d'élevage, plus contraignantes, à mon sens » indique-t-elle.

La schizophrénie du challenge

« On ne base pas une grande appellation sur des cuvées jeunes et on a souvent reproché aux Vins de Patrimonio d'être mis sur le marché trop tôt ». Et d'ajouter : « Il faut donner aux vignerons, les moyens de leurs ambitions, en leur permettant de choisir un contenant de bonne facture et d'imprimer leur marque sur leurs cuvées. Pour ma part, je n'impose rien qui peut le plus, peut le moins - mais j'aimerais que les gens qui aspirent à faire ce travail soient valorisés et protégés ».

Au premier rang des autres défis qui s'imposent, « par la force des choses, celui du réchauffement climatique. Les vignerons de l'AOC Patrimonio s'efforcent de s'adapter et la diversification dans l'activité agricole est une nécessité. Nous avons certes des "métiers passion", mais il faut aussi gérer une entreprise, des emprunts, des salariés, et parier uniquement sur l'agriculture est très risqué et puis, n'ayons pas honte de le dire, on travaille dur, parfois 35 heures de travail pour nous c'est en deux jours, alors on mérite de gagner notre vie et de pouvoir développer nos outils de travail comme nous le souhaitons », insiste Marie-Françoise Devichi, en soulignant à la fois les difficultés mais aussi la beauté de la profession. Elle évoque « une certaine schizophrénie du challenge, le fait d'être toujours sur la brèche, en perpétuel mouvement ».

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Une production de 20.000 hectolitres par an

« Vous pouvez être tranquille, le matin, au pied du mont Sant'Anghjulu, à regarder depuis votre tracteur le lever de soleil sur la vigne et le soir même, à Paris, dans un très bel établissement qui met en valeur votre travail et sert vos vins à ses clients ».

Selon Marie-Françoise Devichi, la recherche de la qualité du produit peut se révéler sans limite. « La vinification, c'est la chance de recommencer chaque année en se disant, je vais faire encore mieux ».

« Nous sommes sur un marché de niche, celui des vins de cépages identitaires, et le monde est curieux de ça » poursuit-elle. « Malgré les changements climatiques, les rendements sontparmi les plus élevés de Corse et les ventes, en hausse, s'étendent tant sur l'île que sur le continent et à l'étranger, avec comme principaux importateurs : la Belgique, le Royaume-Uni, le Japon, la Chine ou encore les Etats-Unis ».

Chaque année, la production de l'AOC Patrimonio avoisine 20.000 hectolitres dont près de 50% en rouge, 30% en rosé et 20% en blanc.

Le maintien de l'esprit de partage

Marie-Françoise Devichi salue l'engagement et l'action essentielle de l'interprofession dans la conquête de marchés extérieurs. « Ensemble, lorsque nous nous déplaçons sur des salons comme Wine Paris, nous sommes d'une grande efficacité ». Des stratégies d'export sont en réflexion, misant sur des voyages de presse et salons internationaux, avec le soutien d'institutions régionales (Chambre de Commerce et d'Industrie, Agence de Tourisme de la Corse...).

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Les projets futurs incluent, d'autre part, le maintien de l'esprit de partage des festivités de la San Martinu (le Saint-Patron des vignerons), des actions collectives, des nuits du millésime ainsi que la valorisation du label "Grand Site de France" attribué au territoire de Conca d'Oro, du vignoble de Patrimonio et du golfe de Saint-Florent. « Cette prestigieuse distinction a été acquise pour valoriser le paysage, en partie façonné par les vignerons »estime Marie-Françoise Devichi. « Aujourd'hui, j'essaie de tout mettre en œuvre pour que cela reste un outil pour les vignerons, plus qu'une contrainte, et que la production agricole ne soit pas pénalisée par une envie de figer le territoire ».

« La cohésion » est enfin un enjeu - de taille - pour Marie-François Devichi. « Il est difficile pour certains de faire la part des choses entre l'intérêt commun et le collectif ; pour ma part même si je suis très autonome dans mon travail, je trouve qu'ensemble on est plus fort, on va plus loin. En Corse, particulièrement la jalousie et l'envie sont des fléaux ». In vino veritas...

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